Déprimant voyage [FB Velvet - Asbjörn]

Un début de sourire. Velvet eut droit à ce petit éclat de lumière sur le visage de celui qui avait tout perdu. Comment cette simple chose pouvait tant la réconforter alors qu'ils se connaissaient à peine ? Aucune idée. Juste des hypothèses, dont la plus probable : cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas croisé quelqu'un de suffisamment intéressant. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était plus sentie comprise. Là était la différence.

Alors, lorsque le Suédois se mit à lui essuyer les joues, comme pour masquer toute trace de tristesse, elle ne broncha pas. Pourtant, il y avait de quoi, surtout avec elle. Mais elle n'avait rien dit. Peut-être parce qu'il s'était montré gentil et bienveillant depuis le début et qu'elle n'avait pas envie de gâcher ce moment qui, à ses yeux, devenait étrangement précieux.

C'est pour tout cela qu'elle le remercia. En réalité, il était totalement normal de ne pas comprendre les intentions de la demoiselle derrière ce simple mot. Il était trop vague. Cela pouvait tout dire et rien dire à la fois. Asbjörn ne saurait peut-être même jamais de quoi il en retourne et c'était sans doute mieux comme ça parce que l'Autrichienne se perdrait certainement dans ses explications.

Ils se regardèrent. Longtemps. Encore une fois, on pouvait se poser la question : pourquoi ? Et là encore, Velvet n'avait pas la réponse. C'était juste comme ça. Un moment suspendu dans le temps où elle contemplait les yeux humides de son sauveur. En y repensant, c'est complètement dingue. Tellement dingue qu'elle détourna le regard.Heureusement, il se mit à parler l'instant d'après pour terminer de la réconforter. Finalement, il n'avait fait que ça depuis qu'elle s'était mise à parler d'elle.

Sentant ses doigts lui caresser la joue une dernière fois, Velvet leva les yeux et vit à nouveau un sourire. Il était différent du précédent, beaucoup plus grand. S'ajouta alors une question toute bête ; c'était mieux de la voir sans larmes ? Sans doute. Elle n'aimait pas ça non plus et cherchait toujours à éviter cette situation. Les yeux baissés, elle esquissa à son tour un sourire timide.

"Oui."

Velvet semblait avoir recouvré son calme. Elle était même sur le point de reculer mais son pied avait à peine eu le temps de se plier qu'elle sentit ses mains emprisonnées dans celles d'Asbjörn. Sans gestes brusques, ce dernier ne fit que déplacer les mains de la jeune femme. C'est en le voyant faire qu'elle comprit que son geste - celui de s'être agrippée à lui - avait sans doute été une erreur de sa part. Par la suite, elle n'entendit qu'à moitié ce que disait le Suédois, trop gênée. Alors qu'elle sentait ses joues en feu, elle ravala sa salive. Pourvu qu'il ne remarque rien. Mais non, car lui aussi était complètement rouge à l'idée de lui proposer de le suivre. De le suivre ? Attendez, pardon ? Velvet arqua un sourcil tout en relevant la tête. Le garçon s'était littéralement emmêlé les pinceaux. La proposition le mettait mal à l'aise et il y avait de quoi. Que devait penser Velvet de tout cela ?

Tout d'abord, elle recula d'un pas. Cet acte pouvait être pris comme une marque de peur ou de rejet, mais il fallait bien qu'ils s'éloignent un peu. Ensuite, elle ouvrit la bouche pour parler mais se ravisa. Comment dire les choses ? Ce n'était pas qu'elle ne voulait pas qu'ils continuent leur discussion, c'est juste que, depuis le temps, elle avait appris à se méfier de ce genre de demandes.

"Comme tu le dis... c'est étrange de proposer ça."

Ses doigts remirent en place une mèche de ses cheveux, juste derrière son oreille.

"Tu sais, je pense réellement être capable faire la différence entre des gens mal intentionnés et des gens foncièrement bons. Et... tu es dans cette deuxième catégorie. Et ça faisait bien longtemps que je n'avais pas eu la chance de tomber sur quelqu'un comme ça."

Et ça me fait du bien.

"Je sais que tu comprendras mon choix... Je ne peux pas te suivre dans cet endroit qui m'est inconnu."

Après un soupir, Velvet se retourna presque dos à lui. Embêtée, voilà ce qu'elle était. Tout au long de son voyage, elle n'avait pensé qu'à une chose : mettre la main sur Silfrid le fugueur. Jamais, depuis le début, elle ne s'était octroyé un moment pour faire ce qu'elle avait envie de faire. Ici, pour une fois, elle s'était intéressée à cette personne qui était sorti du lot, qui l'avait épaulé. Est-ce que toute cette histoire devait s'arrêter là ? Maintenant ? Ils allaient donc repartir chacun de leur côté vers leur auberge et regagner leurs lits respectifs. Puis, les jours suivants, Velvet travaillerait encore dans ce bar tandis que lui partirait vers d'autres aventures, on ne sait où ? Cela s'achèverait comme ça et ils ne se reverraient plus jamais. De toute façon, c'était le deal. Miss Crowe ne pouvait décemment pas s'ouvrir de la sorte face à une personne qu'elle verrait à nouveau. Du coup... pourquoi ne pas prolonger leur discussion, juste l'espace de cette nuit ? Quelques heures tout au plus.

Les bras croisés sous sa poitrine, elle tourna son buste vers Asbjörn, le regardant un moment. Puis, elle baissa la tête, soutenant son menton à l'aide son poing. Sa décision était prise. D'un pas décidé, Velvet se mit à marcher en direction de son auberge. A peine quelques mètres plus loin, elle s'arrêta net et se retourna.

"Alors, tu viens ?" demanda-t-elle d'un air beaucoup plus ouvert qu'en début de soirée.

Hors de question de le suivre jusqu'à son auberge. Cependant, rien n'empêchait le garçon de venir avec elle jusqu'à la sienne. Là-bas, elle se sentirait davantage maîtresse de la situation, si ça devait mal tourner. Mais... cela n'arriverait pas.

Elle était si agréable à regarder. Ses petits sourires timides la rendaient si adorable. Elle n'avait rien à voir avec le personnage qu'elle jouait jusqu'à maintenant, dont la retenue excessive pouvait la faire passer pour une coquille vide, sans émotion. Une pensée plutôt paradoxale, je l'avoue, puisqu'elle avait elle-même précisé s'être intéressée au Suédois principalement pour ses problèmes sentimentaux. En tout cas, elle était toute mignonne, et c'est tout ce qui importe.
Les joues rosies par la gêne, Velvet recula d'un pas à l'entente de la proposition du garçon aux cheveux bleus. À première vue, cela ne l'enthousiasmait guère, et il y avait de quoi. En effet, une invitation de ce genre n'était pas très subtile, et mal amenée en plus de ça. Le malaise qui émanait de lui fut possiblement l'une des raisons qui faisaient que la jeune femme ne s'était pas enfuie à toutes jambes.

Elle devait le percevoir, elle avait dû s'en rendre compte. Asbjörn ne savait pas manipuler les mots. C'était déjà difficile pour lui de s'adresser aux hommes, alors à des femmes aussi jolies qu'elle... Il n'était pas loin de perdre sa langue à chacun des mots qu'il prononçait. Surtout lors d'une telle demande. « J'aurais peut-être dû la laisser partir », s'était-il dit. « Ça valait toujours mieux que de passer pour un imbécile et sournois pervers... ».
Il allait lui tourner le dos. Réellement. Le garçon ne voulait pas vivre cette déception trop brutalement. Des mots d'excuses ne feraient que remuer le couteau dans la plaie. Mieux valait s'en aller. Mais alors qu'il s'était décidé à partir, Velvet ne lui en laissa pas l'opportunité. Celle-ci avait su choisir les bons termes afin d'apaiser l'anxiété provoquée par sa maladresse.

La femme aux yeux ambré n'avait pas pris les paroles du Suédois trop au sérieux, mais elle ne pouvait accepter. C'était compréhensible. Même s'ils se retrouvaient étrangement proches, les deux inconnus ne se connaissaient que depuis quelques heures.
Asbjörn laissa tomber son menton contre son torse, la mine déçue, les poings serrés. Velvet lui tourna le dos dans un soupir. L'aventure était donc bel et bien terminée ? Sur une fausse note d'un garçon un peu maladroit ? Le ressentit était terrible. Son cœur se serrait dans sa poitrine. Il allait laisser s'éloigner une des deux seules personnes pour qui il avait encore de l’intérêt dans sa triste vie dévastée. Il tendit légèrement sa main en avant pour tenter de la rattraper, mais étonnamment, la demoiselle n'avait pas bougé. Elle était toujours là, planté devant lui. Indécise, peut-être ? Asbjörn l'espérait.

Velvet se tourna une fois de plus, en direction du Suédois. Elle le fixa un instant, l'air songeur, puis se mit en marche avant de s'arrêter après quelques pas. D'une voix amicale, elle l'invita à son tour à la suivre.
Perturbant. Qu'allait-il se passer ? Elle refusait pour accepter ensuite ? Une façon d'agir assez singulière, mais intéressante. Quoi qu'il en soit, le garçon à la crinière bleue afficha un large sourire, avant de le faire disparaître un court instant après. D'une démarche heureuse et décidée, il suivit la charmante jeune femme en calquant sa cadence.
Les premiers mètres s'étaient parcourus dans le calme. Il n'osait pas ouvrir bouche, de peur d'exprimer une autre sottise. Il réfléchissait alors consciencieusement, afin d'être sûr de ne pas la brusquer avec quelques questions indiscrètes.
Finalement, il trouva un sujet de discussion, qu'il mit tout de même un temps à se convaincre de lui partager.

-Tu as dû voir beaucoup de pays différents avec un tel voyage, et apprendre des cultures exotiques. Ce doit être enrichissant, dit-il avec appréhension.

Bien sûr, Asbjörn faisait tout pour apaiser la situation. Les deux compagnons de Hongrie auraient toute la nuit pour rediscuter de ce qui les avaient rapprochés. À ce moment précis, mieux valait simplement faire redescendre toutes leurs émotions. Repartir sur de bonnes bases.
Plus ils avançaient, plus le Suédois reconnaissait les rues, les pavés, les bâtiments... Comme un air de déjà vu. Au bout de leur route, ils se retrouvèrent devant son auberge. Là où travaillait la serveuse, là où il avait décidé de boire sans s'arrêter, là où ils s'étaient retrouvés pour la seconde fois. Surpris, il jeta un regard interrogateur à la belle aux yeux ambré. Il ne comprenait plus.

-Je... Je pensais que tu ne voulais pas venir dans mon auberge. J'ai compris un peu tard que ça te mettais mal à l'aise, de par ma maladresse verbale et... également parce que c'est l'endroit où tu travailles. Tu as changé d'avis ? Je pensais que nous nous rendions autre part. Je ne veux pas te l'imposer...

Pauvre petite pomme... Le rouge lui montait jusqu'aux oreilles. Il n'avait ne savait pas encore que tout cela partait d'un simple quiproquo... Il n'allait toutefois pas tarder à le savoir.

Asbjörn venait d'accepter de la suivre. Parfait ! Velvet n'aurait pas voulu qu'il en soit autrement. S'il s'était lui aussi rétracté, elle aurait sans doute trouvé une autre excuse pour prolonger la soirée en sa compagnie. Heureusement pour la demoiselle, elle n'aurait pas à le faire et, étrangement, elle avait senti qu'il en serait ainsi. Après tout, il n'allait pas refuser après avoir lui-même fait une proposition similaire à la sienne.

Dans un premier temps, le chemin se passa dans le calme. Velvet remontait comme elle pouvait le col de sa chemise, qu'elle avait même pris le temps de boutonner au maximum. Les nuits étaient vraiment froides par ici. Au bout d'un moment, la voix du Suédois se fit entendre. Contrairement à elle, il avait cherché de quoi alimenter leur conversation, plutôt creuse. Discuter, ils auraient tout le loisir de le faire au chaud ; voilà ce qu'elle s'était dit alors qu'elle marchait à bonne allure. Cependant, la jeune femme n'était pas contre l'échange, elle avait juste l'esprit ailleurs. Mais à présent, il l'avait quelque peu sorti de ses pensées. Miss Crowe regarda en direction de son compagnon du jour.

"C'est vrai... je suis passée par énormément de pays. Cela n'a pas toujours été évident d'ailleurs mais je m'y accommodais."

Elle baissa les yeux, un petit sourire naquit alors sur son visage.

"J'ai vu plein de très beaux endroits, tous différents les uns des autres. Même si mon but n'était pas de découvrir tout cela.. C'est impossible de passer à côté ou d'être indifférent. Je garderai au moins ça de mon voyage."

Et ce, même si elle n'arrivait pas à mettre la main sur Silfrid.

"Ce qui est plus compliqué quand on entreprend ce genre de périple c'est d'accepter qu'on sera seul tout du long. Ce n'est donc pas à la portée de n'importe qui."

Se retrouver face à soi-même et à ses pensées quotidiennement n'était pas chose facile. D'ailleurs, Velvet avait déjà imaginé cent fois ses retrouvailles avec Silfrid... et cent fois qu'elle le retrouvait mort. Mais alors qu'elle songeait à tout cela, ils arrivèrent enfin face à la devanture de l'auberge. Il s'agissait évidemment du même établissement où elle avait travaillé tout à l'heure. Mais alors que la jeune femme posa sa main sur la porte d'entrée pour la pousser, son attention fut retenue par Asbjörn.

*Mais qu'est-ce qu'il raconte ?*

Miss Crowe se tourna vers lui et lut toute l'incompréhension dans son regard. Il ne savait pas qu'elle séjournait au même endroit où elle travaillait. C'est vrai qu'elle ne l'avait pas précisé. Par contre, lui avait omit de dire qu'il dormait au même endroit où il se saoulait. Et le voilà qui s'emballait tout seul... Les bras croisés sous sa poitrine, un sourire au coin des lèvres, Velvet l'observa un petite moment, amusée. Cette petite pomme n'avait décidément rien compris ! Mais c'était mignon comme tout.

"Du calme Asbjörn... Tu n'y es pas du tout." sa main se libéra de l'emprise de son bras et montra la devanture de l'établissement "Ceci est l'endroit où je loge. Nous sommes juste dans la même auberge, si j'ai bien compris."

Son bras s'entremêla à nouveau avec son binôme tandis qu'elle poursuivait son discours.

"Il y a un peu trop de coïncidences. Tu es sûr que je ne te suis pas ?" dit-elle en plaisantant "Non mais plus sérieusement... c'est pratique. Tu ne devras pas beaucoup marcher pour rejoindre ta chambre.
Bon, on entre ?"

C'est vrai ! Ils avaient l'air bêtes devant la porte, dans le froid. Velvet prit les devants et pénétra dans la vieille bâtisse. En passant devant l'accueil, elle salua l'homme qui était de garde durant la nuit. Simple question de politesse, histoire qu'ils ne se fassent pas interpeler par ce dernier. En montant les escaliers, elle jeta un œil vers le Suédois.

"Ma chambre est au deuxième, tout au fond à gauche. La tienne se trouve où ? Parce que, chez moi, il n'y a pas de trous dans la toiture."

Oui, elle se souvenait de la description de sa chambre.

"Par contre, le lit n'est pas très moelleux.. ça, c'est vrai."

D'ailleurs, les voici arrivés à la sienne ! Miss Crowe tourna la clé dans la serrure et, d'un petit geste de la main, ouvrit la porte, dévoilant par la même occasion la petite pièce qui lui servirait de chambre dans les prochains jours. L'endroit était peu spacieux, tout était en bois et semblait trôner là depuis bien des années ; une armoire et une chaise sur laquelle était posé le gros sac à dos qu'elle portait quotiennement. Le lit était contre le mur et, juste à côté, une petite table de chevet où résidait une lampe. Non loin de cela, la seule fenêtre de la pièce, dont les rideaux faisaient peines à voir, était ouverte.

"Mince ! J'ai complètement oublié de la fermer en sortant." s'exclama-t-elle alors qu'elle se dépêchait d'aller la fermer  "Ça sentait le renfermé... je déteste ça." ajouta-t-elle en faisant un tour sur elle-même afin d'avoir une vue sur son invité "Fais comme chez toi... j'imagine que n'est pas fort différent de ta chambre."

Velvet avait froid. Asbjörn l'avait vu. Elle redressait le col de sa chemise et la reboutonnait jusqu'en haut pour réchauffer son cou. Le jeune homme lançait de brefs coups d’œil vers elle, il était hésitant. « Comment réagirait-elle au fait que je me rapproche ? Je n'ai pas envie qu'elle prenne froid... Si seulement j'avais pris la peine d'emporter mon manteau, plutôt que de le laisser à l'auberge ! » Finalement, il ne fit rien de tout ce qu'il avait en tête. Sa timidité excessive et son appréhension ne lui laissèrent guère le choix.
Toutefois, les quelques mots qui sortirent de sa bouche parvinrent à débloquer cette situation de calme intense qui le dérangeait profondément. Tirée de ses songes, la serveuse leva ses prunelles en direction du Suédois. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire lorsqu'elle commença à résumer son voyage. Des endroits magnifiques, divers et variés. Le garçon aux cheveux bleus rêvait déjà de pouvoir, lui-aussi, scruter ces paysages dignes des plus belles toiles.
Quand bien même il avait fait éclore de petites étoiles dans les globes oculaires du futur Guerrier Divin, son court récit se termina sur une note négative. La solitude. Une chose qu'il connut de nombreuses années, mais qu'il avait espéré ne jamais recroiser. Un ressenti qu'il subissait à nouveau depuis des semaines. Depuis le malheureux départ de Liv.

Devant l'auberge, les bredouillements d'Asbjörn décrochèrent un franc sourire à la brune aux iris ambrés. Cette dernière, amusée, l'observa faire ses petits gestes gênés, puis le rassura sur la raison de leur venue en ce lieu. C'était une pure coïncidence ! En effet, elle logeait au même endroit que lui, compte tenu de son travail. Le cœur du Suédois battait la chamade pendant qu'il reliait les points dans sa tête. « Oui... Ça se tient... » se dit-il nerveusement.
Velvet finit de l'apaiser avec une plaisanterie qui le fit souffler du nez, puis dévoiler toutes dents. Il était amusant de voir que la jeune femme était également capable de rire. Une nouvelle de ses facettes, dont l'apprenti d'Håkan était loin de soupçonner l'existence, venait d'être dévoilée. C'est avec soulagement qu'il la voyait enfin le sourire aux lèvres, à plaisanter. Leur relation ne faisait que s'accroître positivement, aidée par une compréhension mutuelle, sans jamais être menacée de se rompre. Heureux était l'homme à la crinière bleue, qui n'avait pas vécu ça depuis longtemps.
Pourtant, cela était bien bête de sa part. Il ne connaissait la voyageuse que depuis ce matin, mais comme d'habitude, ses émotions allaient bon train, si elles n'explosaient pas d'un seul coup dans son cerveau. La faute à une confiance trop soudaine envers les inconnus ? Le désir de connaître cette personne singulière, qui lui ressemble ? À une envie de laisser son passé derrière-soi, juste pour aujourd'hui ? De nombreux éléments pouvaient jouer leur rôle, mais quoi qu'il en soit, son bonheur ne pouvait durer, car le jour de leur séparation n'était pas très loin.

« Autant en profiter... Profiter de ces moments qui ne se font que trop rares dans ma vie, et peut-être aussi dans la sienne. »
Velvet poussa la porte du bâtiment, puis se alla directement à destination, saluant au passage le garde de nuit. Asbjörn, dans une marche plus lente, fit un signe de la main à l'employé de sécurité, puis balaya du regard la salle de restaurant. Il n'y avait pas âme qui vive, et régnait un silence agréable. Les tables et le sol étaient propres, il ne restait rien des beuveries et bousculades de la soirée. Si les chambres étaient comparables à des taudis, le Suédois put constater que tout ce qui touchait à l'environnement culinaire était impeccable, bien tenu, et respectueux de l'hygiène. « Rassurant. » pensa-t-il avant de rejoindre la jeune femme prestement.
Une fois dans les escaliers, elle indiqua précisément où se trouvait sa chambre, et lui demanda la même chose tout en signalant qu'aucun trou ne perçait sa toiture.

-Oh, quelle chance ! De mon côté, on dirait que le toit est à deux doigts de s'effondrer. Je suis au même étage, le dernier, mais dans l'aile Est. J'imagine que la partie Ouest est intacte, bien que le mobilier reste le même, expliqua-t-il alors que la serveuse glissait la clé dans la serrure.

Dans la pièce peu lumineuse se trouvait les mêmes vieux meubles que comportait sa chambre, à l'exception près qu'ils avaient l'air en bien meilleur état dans celle de la demoiselle. L'odeur y était également beaucoup moins présente. Il n'y avait pas d'effluves putrides provenant du bois de la charpente, ni ces fragrances de vieilleries poussiéreuses. Une vraie chambre de luxe, comparée à celle d'Asbjörn. Bon, en omettant le lit, qui était presque aussi délabré.
Velvet se hâta de fermer la fenêtre avant de proposer à son invité de faire comme chez lui. Peu à son aise, le Suédois commença par prendre ses marques. Chaque objet fut la cible de son regard. Une fois l'intégralité du lieu passé au crible, il prit place sur un tabouret, à côté du lit.

-Au contraire, ta chambre n'a rien à voir avec la mienne ! Apparemment, il suffit de traverser le couloir pour atterrir dans un autre monde, dit-il avec un léger rire. Mon armoire est bancale, je ne peux rien y stocker sous peine de la voir s'écrouler. Ma commode est intacte, mais il lui manque tous ses tiroirs, impossible de ranger quoi que ce soit. J'ai dû garder toutes mes affaires dans leurs sacs, qui eux-mêmes sont déposés juste au pied des planches pourries qui me servent de lit, car je n'ai même pas la malle qui trône juste ici. (Il pointa du doigt un vieux coffre, qui, mise à part sa triste allure, avait l'air d'être fonctionnel.) On peut dire que tu es chanceuse, finit-il dans un large sourire.

Il laissa passer un instant, la laissant s'installer là où elle voulait, avant de reprendre la parole.

-Bon... Nous voilà à nouveau au chaud. Je te remercie d'avoir bien voulu continuer de me parler. Est-ce que tu veux continuer de parler de notre passé à chacun ? Je t'avoue que je n'ai plus grand-chose à raconter... Je ne cherche pas la vengeance, je ne cherche que l'apaisement. Ce soir, pour la première fois, j'ai réussi à en trouver un peu, grâce à toi, lança-t-il en se grattant l'occiput.
Je... hmm... (Il chercha un moyen de détendre l'atmosphère, tout en permettant à Velvet de lui répondre. Retroussant les manches de sa chemise marron, il paraissait avoir trouvé un sujet de conversation.) Est-ce que tu connais l'endroit dans le monde, où il fait tellement froid que seule la chaleur intense d'un volcan peut te réchauffer ? Le seul endroit, où une légende dit que l'on peut croiser un cheval à huit jambes, comme celui-ci, chevauché par un vieil homme borgne, prononça-t-il avec une mine enjouée, en tendant son poignet devant lui, autour duquel pendouillait encore son pendentif de métal.

Les deux jeunes gens étaient enfin au chaud. Enfin, presque ! Il faudrait un petit moment pour que la chambre retrouve une température décente, mais ce serait toujours mieux que de passer sa soirée dans la rue à observer la buée sortir de leurs bouches respectives.

Après avoir scruté ce qui se trouvait dans la chambre de la demoiselle, Asbjörn s'autorisa à s'asseoir sur le tabouret qui se trouvait non loin du lit. Miss Crowe ne fit que le suivre du regard, observant ses faits et gestes comme s'ils lui apportaient des informations supplémentaires concernant le jeune homme. Toujours contre l'appui de fenêtre, elle écouta la comparaison qu'il faisait entre sa chambre et la sienne. A l'entendre, ce n'était vraiment pas beau à voir. Les pauvres, ils devaient passer la nuit dans un endroit aussi insalubre. Peut-être même qu'ils y passeraient plusieurs nuits ! D'ailleurs, combien de temps le Suédois comptait-il loger dans cette auberge avec son maître ? S'ils restaient plusieurs jours, ils pourraient peut-être se revoir. Une idée plaisante mais sur laquelle Velvet ne voulait pas trop miser car, dans le cas contraire, elle serait déçue.

*Pourquoi ça m'embêterait autant ?*

Question qui resterait en suspens parce qu'elle n'était pas seule et qu'elle devait déjà répondre aux dires du futur Guerrier Divin.

"Ta chambre ressemble plus à un débarra où ils laissent tous les vieux meubles inutilisables. Et vous payez pour ça ? Je trouve ça scandaleux..."

Malgré sa malchance, son sauveur avait l'air d'aller parfaitement bien ; il souriait et prenait toute cette histoire avec légèreté. Cette attitude rendit la situation moins pesante et empêcha Velvet d'aller en toucher deux mots à l'accueil. A la place, l'Autrichienne alla s'asseoir sur son lit. Elle n'était ni trop proche, ni trop éloignée de son invité ; la distance était respectable.

"Si vous voyez que ça ne va vraiment pas, venez frapper à ma porte... Parce que s'il se met à pleuvoir et que vous vous retrouvez trempé... Quoi qu'il en soit, n'hésite pas ! Il suffira de transporter vos vieux matelas et de les mettre ici." finit-elle par proposer en pointant le plancher de sa chambre.

Sa phrase fut ponctuée par un petit sourire sincère. Si elle pouvait l'aider en retour, elle en serait ravie. D'ailleurs, il avait payé les consommations dans le bar ? Un léger mal être s'empara d'elle en repensant à ce qui s'était produit. Bien qu'il ait effectivement prévu de régler la note, Velvet aurait espéré que les événements se déroulent un peu différemment. Prendre la poudre d'escampettes n'était pas son objectif. Mais voilà, ce qui était fait, était fait ! Et ils étaient là à parler de tout et de rien, puisque ressasser leurs passés avait déjà été fait et qu'il valait certainement mieux le laisser de côté s'ils souhaitaient partager un moment plus agréable. C'est ce que proposait Asbjörn, qui arborait un air peu à l'aise lorsqu'il avoua trouver un peu de calme et de sérénité en la personne de Velvet. Cette révélation réussit à décrocher un nouveau sourire à la demoiselle. Elle n'avait pourtant pas fait grand-chose, de son point de vue.

"Je pense qu'il vaut mieux qu'on en reste là concernant les histoires douloureuses."

Surtout qu'elle le trouvait beaucoup plus souriant depuis qu'ils s'étaient mis en route vers l'auberge. Ce serait dommage de gâcher cette bonne ambiance et ces sourires échangés.

L'observatrice refit surface lorsque le jeune homme commença à parler, puis se ravisa. Il hésitait encore une fois à lui dire quelque chose ? Les manches retroussées, il était fin prêt à reprendre son discours, laissé à l'abandon quelques secondes auparavant. Que voulait-il bien lui dire qui demandait une préparation pareille ? Velvet ne broncha pas. Ses yeux le fixaient aussi intensément qu'à son habitude, curieuse de savoir de quoi il en retournait. Les mots défilaient les uns après les autres et l'intérêt de la demoiselle à la chevelure d'ébène ne faisait que croitre. La princesse autrichienne aimait les histoires et celle-ci risquait d'être particulièrement captivante, surtout si elle avait un lien avec ce fameux collier.

Doucement, Miss Crowe s'approcha du jeune homme, juste pour être assez proche que pour placer sa main sous le poignet orné du collier. Un petit coup d'œil, c'est tout ce que souhaitait la serveuse qui, depuis leur rencontre, ne faisait qu'admirer ce fameux bout de métal. Ses grands yeux ambrés se mirent alors à détailler les moindres recoins du bijou.

"Non, je n'ai jamais entendu parler de cet endroit." dit-elle en levant les yeux vers Asbjörn "Mais, j'imagine que tu ne vas pas tarder à le faire..."

Planter le décor de cette manière donnait évidemment envie d'en savoir davantage. Le jeune homme n'en était peut-être pas conscient. Quoi qu'il en soit, Velvet avait hâte d'entendre parler de cet endroit et surtout du cheval à huit jambes qui y galopait.

Un débarras. Voilà à quoi ressemblait la chambre d'Asbjörn, dans l'esprit scandalisé de la demoiselle. Celle-ci était indignée de la description péjorative qu'il lui livra. Elle s'assit sur son lit, puis lui assura qu'il serait le bienvenue, si toutefois la pluie viendrait à le tremper, lui et sa literie. Le jeune homme sourit discrètement, préférant ne pas lui avouer qu'il ne dormait pas sur de vrais matelas, de peur qu'ils entament une nouvelle conversation peu joyeuse.

-Je te remercie de ton hospitalité, c'est très gentil.

Heureusement, Velvet avait également pour souhait de passer à des échanges plus agréables, et c'est avec le sourire qu'elle lui proposa de ne plus revenir sur leurs passés tumultueux. D'un hochement de tête, le Suédois afficha son adhérence à ses propos.
Enfin, ils allaient pouvoir partager plus que des tristes sentiments. L'occasion de se découvrir un peu plus, de se prouver l'un à l'autre qu'ils n'étaient pas des coquilles vides, dépourvues d'âme et de chaleur. Alors que le garçon s'était préparé à commencer son récit, il sentit les yeux de Velvet se poser sur lui, d'une façon à la fois gênante et agréable. Il tint tout de même son discours sans que sa voix ne vacille, mais fuyait son regard de temps à autre. Lorsqu'elle le fixait ainsi, elle était si belle, si hypnotisante, qu'il devait faire preuve d'une concentration extrême pour ne pas sombrer dans une béatitude telle qu'il en resterait muet.

La demoiselle s'approcha lentement de lui, puis, dès l'instant où elle fut suffisamment proche, elle tendit la main pour saisir le pendentif qui pendouillait au poignet du Suédois. Ce dernier se mordilla les lèvres en sentant les poils de ses bras se hérisser. Il l'observait, un peu perdu, ne sachant quoi penser de son grand intérêt pour lui et sa babiole. « Peut-être aime-t-elle les chevaux ? » se dit-il. « Ou alors est-elle simplement intriguée par Sleipnir, comme l'était Liv... »
Une boule naquit dans sa gorge alors qu'elle leva ses prunelles vers lui, tout en demandant d'en savoir plus. Il commença par rester scotcher dans le blanc de ses yeux pendant une poignée de secondes, puis s'en détourna d'un geste vif. Un rouge écarlate colora ses joues, et sa langue se perdit dans sa cavité, à faire des allers-retours le long de ses gencives.
Son bras était toujours bien tendu, il ne voulait pas vraiment le retirer, même s'il ne maîtrisait clairement pas la situation, et qu'il commençait à avoir du mal à tenir cette position. Ce contact presque physique était plaisant. Pas autant que dans le bar, où ils étaient plus tôt, là où cette jolie serveuse avait agrippé sa main pour le réconforter, mais cela lui suffisait.
Étrange sentiment qui l'envahissait. Ce n'était pas concrètement de l'amour, bien sûr que non, ils ne se connaissaient que depuis si peu de temps. Non, il ignorait simplement tout de l'origine de son ressenti, il n'avait qu'une seule envie, c'est qu'elle ne lâche son pendentif que le plus tard possible. Il posa de nouveau les yeux sur elle, avant de reprendre.

-Ce... (Il se racla la gorge.) Cet endroit est considéré comme légendaire, balbutia-t-il. Un lieu irréel, glacial, mais magnifique. Des neiges éternelles y tombent et s'entassent dans les chemins montagneux ; les cascades et les rivières y sont comme figées dans l'espace et le temps ; le soleil, bien que présent, use ses rayons inutilement, car rien, même pas lui, n'affecte ce paysage fait de glace, et rien ne permet de réchauffer le voyageur qui y fait escale, puisse-t-il rester baigner des heures dans sa lumière. Les animaux qui ne réussissent pas à évoluer dans cet environnement sont condamnés à l'hibernation jusqu'à la fin de leur vie. « Impossible de vivre au milieu de ce piège mortel », te diras-tu, mais à l'intérieur de ses terres se trouve un Volcan, actif depuis toujours, vomissant une lave si ardente qu'elle dépasse de loin le pouvoir du soleil. C'est ici, et dans ses alentours, qu'on raconte qu'un vieil homme borgne est parvenu à survivre pendant des années, mais là n'est pas le plus intéressant.

Asbjörn s'affaissa, à cause de la fatigue accumulée pendant la journée, mais également pour être plus proche de celle qui écoutait attentivement son récit. Ses lèvres lui présentèrent un sourire pour la remercier de son attention. Ses paupières plissées traduisaient le plaisir que le Suédois avait à partager cette histoire. Les doigts de sa main gauche, posée sur son genou, se frottaient les uns contre les autres, prouvant que la nervosité était, malgré tout, toujours présente.
D'un ton plus affirmé, l'homme aux cheveux bleus poursuivit.

-Chaque fois que le vieillard fut aperçu, il était en compagnie d'un animal imposant et singulier. Un animal qui serait béni des dieux. D'apparence, il est semblable à un étalon vigoureux, muni de huit jambes et d'un regard perçant. Son puissant hennissement lui permet de repousser les prédateurs du volcan, tel le gardien de ce sanctuaire. Ses sabots si particuliers lui permettent de parcourir plus de cent kilomètres en un quart de seconde. On dit également qu'un seul de ses crins permettrait de réaliser un élixir fabuleux, capable de redonner la vie à ceux qui sont morts trop tôt...

Les traits si joyeux du Suédois perdirent de leur éclat, il effleura de sa main le pendentif qui restait encore suspendu dans les airs, accroché à son poignet droit.  

Velvet n'avait d'yeux que pour ce canasson à huit pattes. Pourtant, elle en avait croisé des babioles de ce genre lors de son voyage mais nul doute que celle-ci était la plus jolie. D'une part parce qu'il s'agissait d'un cheval et, de l'autre, de par son étrange aspect. Ajoutez à cela le mystère qui planait autour depuis qu'elle avait remarqué l'insistant regard du jeune homme à son égard. Tout était fait pour qu'elle s'y intéresse, inutile de le cacher.

Le récit d'Asbjörn débuta avec quelques complications. Difficulté d'articulation ? Non... L'Autrichienne avait décelé que le problème venait d'ailleurs. Sa présence, trop envahissante, semblait le perturber. C'était certainement cela, à moins que ce ne soit l'histoire en elle-même qui ne l'émeuve d'avance ? Au final, peu importe la raison, Velvet préféra lâcher prise et se rasseoir correctement, tout cela de manière très naturelle. De cette manière, il n'éprouverait plus de difficultés à se concentrer et elle pourrait également écouter plus attentivement ses explications. Par contre, si l'histoire était le cœur du problème, elle ne pourrait rien faire avant qu'il ait achevé son monologue. Ecouter, puis aider. Comme elle l'avait fait durant toute la soirée.
Les descriptions se succédaient, permettant ainsi à la demoiselle à la sombre chevelure de se faire une image mentale parfaite des lieux. Le tableau prenait forme dans sa tête ; il suffisait de fermer les yeux et c'est comme si elle s'y trouvait.

"Je vois... et qu'est-ce qui l'est ?" demanda-t-elle en rouvrant les yeux.

Un sourire persistait sur les lèvres de la demoiselle qui le croisa le regard passionné de son conteur. Rien qu'à le voir et à l'entendre, on pouvait ressentir toute l'affection qu'il éprouvait envers cette histoire. Du moins, c'est ainsi que l'avait interprété notre observatrice, qui ne manqua pas de voir le soupçon de nervosité qui l'animait toujours. Il avait peur de quoi ? C'était vraiment un très bon orateur !

Plus son discours progressait, plus Velvet le trouvait passionnant. Mais voilà, à la fin, la jeune femme comprit ce qui, selon elle, agitait le cœur de son sauveur. Tout était parfait dans cette histoire, même la fin. En tout cas, ce serait les pensées d'une personne normale n'ayant jamais perdu un être cher. Pour eux, cette conclusion était synonyme d'un rappel de leurs blessures. D'ailleurs, les yeux du Suédois n'exprimaient plus du tout la joie d'il y a peu, ce qui eut pour effet de refroidir la belle. Peut-être n'aurait-elle pas dû se montrer si enthousiaste à l'idée d'en apprendre plus. Ils avaient dit "plus d'histoires douloureuses".

Miss Crowe leva les yeux vers son invité, cherchant rapidement des mots qui pourraient les aider à repartir sur des bases plus joyeuses. Même si, en réalité, elle avait juste envie de rebondir sur ce qu'il venait de lui raconter. Oh et puis zut ! La future Spectre n'aimait pas se brider et commença par réagir à son récit.

"Ce serait formidable qu'un animal pareil puisse exister. C'est une fabuleuse histoire... vraiment. J'ai beaucoup aimé t'écouter la raconter. Tu sembles tellement y tenir. Merci de l'avoir partagée avec moi. Mais, je me demandais..."

Soudain, une question plutôt déplacée lui vint à l'esprit. Déplacée parce qu'elle le rendrait certainement encore plus triste.

"Euh... non, oublie." finit-elle par lui dire en baissant les yeux.

Velvet préféra la garder pour elle. Peut-être que sa curiosité trouverait la réponse tôt ou tard. Elle saurait alors le lien que partageait le cheval à huit pattes et sa défunte moitié.

"Cette créature a un nom ? J'aimerais m'en souvenir." reprit-elle d'un ton un poil plus jovial.

Peut-être aurait-elle besoin de son nom si, d'aventure, elle tombait sur lui. Qui sait ? Enfin, en boutique... Soyons clairs ! Puis, l'Autrichienne changea complètement de sujet, évitant celui du triste passé. Il n'y avait plus rien à ajouter, de son point de vue. Si l'homme à la crinière bleue tenait à y apporter des détails supplémentaires, elle l'écouterait avec plaisir.

"Tu sais combien de temps vous comptez rester dans cette ville ? J'imagine qu'il ne s'agit que d'une halte sur votre route. Il n'y a pas grand-chose à voir dans les parages, de ce que j'ai pu observer. Je pense que la place du marché où nous nous sommes rencontrés était l'endroit le plus intéressant d'ailleurs." un petit rire ponctua sa phrase.

Depuis tout à l'heure, cette question lui taraudait l'esprit. Il fallait bien qu'elle finisse par la poser ! En plus, le moment était plus qu'opportun. Si leur voyage consistait à traverser plusieurs endroits, comme elle le faisait, ils allaient certainement lever l'ancre dans peu de temps. Peut-être même partiraient-ils demain matin ? Un soupir retentit mais uniquement dans sa tête. La réservée Velvet avait quand même ses limites en matière de démonstrations émotionnelles.

"Et d'ailleurs, si ce n'est pas indiscret, où comptez-vous vous rendre ? Il a un objectif, un lieu bien en tête ton... sauveur ?"

Impossible de le nommer correctement. Asbjörn avait bien vaguement parlé de son mentor mais il n'avait jamais mentionné son prénom. L'unique information qui vint à l'esprit de la belle brune, fut le fait qu'il l'ait sauvé. Il n'en avait pas dit beaucoup plus à son sujet. Pour le coup, Velvet ne chercherait pas à en savoir davantage sur cette personne puisque cela impliquerait un retour au sujet qui fâche.. ou plutôt qui attriste.

Ses yeux ambre grands ouverts, Velvet écoutait attentivement l'histoire de son invité. Le jeune homme ne pensait pas dégager une telle passion, mais, se surprenant lui-même, il parvint à cacher son étonnement. La beauté de son interlocutrice, par contre, réussi à lui arracher quelques sourires, et il lui fallait la fuir du regard pour ne pas s'égarer lors du partage de ses connaissances sur la Légende de Sleipnir.
Miraculeusement, il n'oublia rien, si ce n'est des détails qui n'auront aucune importance pour la suite des événements, car le seul élément qu'allait retenir Asbjörn, voire même sa nouvelle amie, était le fameux crin, source de renaissance. Pas de certitude, cela dit, sur l'existence du cheval aux huit jambes, et encore moins sur la capacité de sa crinière à réanimer les morts. L'histoire ne pouvait être que mythe, l'espoir restait entier. L'espoir fou d'un être malheureux, accablé de remords et de sinistres pensées, ne survivant que par miracle, ou à l'aide inestimable de personnes extraordinaires qui toujours intervinrent à point nommé.
Parfois, néanmoins, même en présence de ses sauveurs, il lui arrivait de baisser la tête à en frôler le sol, préférant compter la multitude de grains de poussière afin d'éviter ses idées sombres et sanglantes. Pourtant, en cet instant, il ne suffisait que d'une chose : lever le menton, regarder droit devant-lui, et contempler le seul être qui lui apporta compréhension et réconfort.

Celle-ci, aux longs cheveux noir de jais, refusa de le voir sombrer dans ses ténèbres intérieures. Alors, elle ne perdit pas de temps, et avoua ô combien elle avait apprécié le récit. Après des compliments sincères, une question tenta de se faufiler au travers de ses lèvres qui restèrent solidement scellées. Rien de pire que de subir cela pour un curieux, mais était-ce vraiment le cas du Suédois ? On pouvait le dire, mais lui vous aurait répondu qu'il y a deux sortes de curiosités. L'irréfrénable et déplaisant besoin de commérages d'un côté, et la satisfaisante et bienfaitrice soif de connaissances de l'autre. De quel camp pouvait-il bien faire partie ?...

-Tu sais, commença-t-il en pointant son nez vers elle, tu sais que tu peux me poser n'importe quelle question. Je serais ravi d'y répondre, dit-il en forçant ses lèvres à s'étirer. C'était un plaisir pour moi de te raconter cette histoire, je suis content qu'elle t'ai plu.
Cette créature se nomme Sleipnir. On dit que du sang divin coule dans ses veines et que c'est de là d'où sont tirés ses pouvoirs. Personnellement, je me suis demandé comment cela serait possible, mais les dieux sont déjà très mystérieux en soi, alors... j'ai très vite arrêté d'y réfléchir.

Soudain, la conversation dévia sur un autre sujet. Velvet se demandait si leur séjour allait se poursuivre ou si, au contraire, il allait bientôt se terminer. La jeune femme posa la question d'un ton rieur, mais pour Asbjörn, on ne pouvait s'interroger là-dessus de façon anodine, elle était forcément motivée par une envie, un désir. Une joie quasi non dissimulée envahie le futur Guerrier Divin. Il montra ses dents, puis répondit calmement à l'interrogation.

-Notre voyage devait nous conduire au centre de la Grèce. C'était l'objectif lorsque nous avons pris la route. Malheureusement, nous ne nous étions pas bien préparé, nos vivres sont déjà épuisés de moitié et notre argent ne suffira pas à en racheter, nous allons donc devoir rebrousser chemin, et revenir à notre point de départ. Là où tout est gelé, recouvert de neige et... enfin, ce n'est pas très important. Cela dit, puisque nous sommes allé moins loin que prévu, nous allons sûrement prolonger notre escale ici. Le but était surtout de nous ressourcer, de voir du pays, il n'y a rien que nous devions ou voulions absolument voir.
Concernant le marché, j'espère que ce n'est pas le seul endroit à visiter ici, mais pour le savoir, il faudra certainement prendre nos jambes et vérifier tout cela par nous-même, dit-il en riant comme elle l'avait fait. Et toi est-ce... Est-ce que tu vas rester longtemps ici ?

Il tripota ses doigts en les emmêlant entre eux, puis se tortilla étrangement sur son tabouret. Ses joues se colorèrent de rouge et une grimace vint défigurer son visage mélancolique. Le menton collé contre son torse, seuls ses yeux se relevèrent timidement vers la demoiselle. Conscient du caractère singulier de la scène, il tenta de se débarrasser au plus vite de ce qui le mettait dans un tel état.

-Je me disais que... Si tu restais encore un peu sur place, et que moi aussi... Nous pourrions visiter le reste de la ville ensemble, prononça-t-il d'une manière extrêmement confuse. Ne te méprend pas sur mes intentions ! C'est juste que... Tu es la seule personne qui a accepté de me parler et... j'ai envie d'en profiter le plus possible.

Le Suédois disait vrai. Il ne dissimulait aucune mauvaise intention. Il ne désirait qu'un peu d'attention, autant qu'on pouvait lui donner. Le temps s'écoulait, la nuit était noire, bientôt, leurs bâillements leur ordonneront d'aller se coucher.  

Velvet pouvait donc lui poser n'importe quelle question... D'ordinaire, elle ne serait pas passée par quatre chemins et l'aurait fait sans attendre. Mais ici, le passé d'Asbjörn l'empêchait de faire cela. Il lui était impossible de le questionner à propos d'un sujet douloureux. Etant elle-même dans un mal-être similaire, elle ne pouvait que comprendre ce qu'il endurait. Voilà pourquoi la belle brune ne lui offrit qu'un sourire en guise de réponse et garda cette information, non sans importance, dans un coin de sa tête. Qui sait, cela pourrait lui servir une prochaine fois ?

"Tu sais, avec ce genre d'histoires, il vaut mieux ne pas s'attarder sur ce qui est possible ou non. Tu as bien fait d'arrêter d'y penser.
Mais... Sleipnir, c'est noté."

La conversation vogua totalement ailleurs, laissant loin derrière eux les histoires tristes ou toutes autres allusions. Ils pouvaient enfin parler du moment présent ; de ce qu'ils comptaient faire. Miss Crowe se sentit directement beaucoup plus à l'aise et, si le jeune homme l'avait observé un minimum depuis le début de leur soirée, il pourrait le remarquer sans peine. Lui aussi semblait aller mieux. Il passa rapidement en revue l'objectif principal de son voyage avec son mentor ; se ressourcer. De ce que la jeune femme avait pu voir, son compagnon de soirée n'avait pas encore atteint ce fameux but. Son chagrin, qu'il tentait tant bien que mal de noyer dans l'alcool, en était la preuve. D'ailleurs, quelle tristesse que de laisser un homme d'une telle gentillesse dépérir de la sorte.

"Je vois..."

Ils n'auraient donc pas de quoi arriver en Grèce... L'Autrichienne ne connaissait que trop bien cet ennui de ne pas avoir assez d'argent et de vivres pour poursuivre son voyage. Venant d'assez loin, elle s'était faite à l'idée de travailler ponctuellement afin de pouvoir continuer son voyage. Seulement, leurs objectifs différaient totalement. Il était donc naturel que lui et son mentor ne retournent chez eux, dans le grand nord.
Tout en songeant à cela, Velvet fut bousculée dans ses pensées par les mots du jeune sauveur .

*Prendre nos jambes et vérifier tout cela par nous-mêmes ?*

Parlaient-ils de son mentor ou d'elle ? Question qui restait sans suite pour le moment puisque le Suédois avait déjà posé la sienne.

"Je crains de devoir rester un petit temps. Malheureusement, je n'ai plus du tout d'argent... Je suis donc dans l'incapacité de poursuivre mon voyage. C'est pour cela que j'ai pris ce travail de serveuse dans cette auberge."

Les grands yeux ambrés de la demoiselle descendirent jusqu'au mains d'Asbjörn. Ce dernier n'était pas à l'aise et elle n'arrivait pas à en comprendre la raison. Avait-elle dit quelque chose qui l'avait mis dans cet état ? Le regardant à nouveau droit dans les yeux, cherchant à entrevoir la raison cachée derrière cette attitude, Velvet s'apprêta à le questionner...

"Qu'est-ce qu-...."

... mais, encore une fois, il la devança. Et là, tout s'éclaira dans l'esprit de la jeune femme. Enfin presque. Elle arqua un sourcil en plein milieu de son explication, toujours un peu sur ses gardes malgré leur bonne entente. Mais, très vite, son visage n'exprima plus que bonté et joie. Il était vraiment trop mignon.
Miss Crowe se pencha vers l'avant, vers lui et son menton collé à son torse. Elle voulait lui répondre en se plaçant au même niveau et elle voulait surtout lui montrer qu'il n'avait nul besoin de se sentir si mal à l'aise en sa présence.

"Tu te souviens... il y a quelques instants, tu m'as dit que je pouvais te poser n'importe quelle question. Hé bien... sache que toi aussi. Tu ne dois pas te mettre dans un état pareil avec moi. Il est vrai que je suis de nature un peu méfiante mais je ne suis pas du genre à me vexer à tout bout de champ et je ne vais pas m'enfuir en courant, surtout après ce que nous avons échangé." un sourire vint ponctuer cette phrase avant qu'elle ne reprenne de plus belle "Pour en revenir à ta proposition, je trouve l'idée très attirante ; ce serait un plaisir." ses lèvres ne cessaient de s'étirer de joie "Je ne suis de service qu'au dîner, nous aurons donc tout le loisir de visiter la ville le reste de la journée. Nous pouvons même commencer cela demain, si tu n'as rien de prévu avec ton mentor."

Oui car la nuit était déjà tombée depuis longtemps. Ils y verraient plus clair demain et, surtout, ils seraient plus en forme.

"Bon..."

Ses deux mains se portèrent au second bouton de sa chemise qu'elle s'apprêtait à libérer, le tout en se levant du lit.

"... si ça ne te dérange pas, je vais me changer. J'en ai marre de porter cette chemise."

Hop ! Un bouton en moins, ce qui laissa entrapercevoir le début de son soutien-gorge blanc. Ah oui, avais-je précisé que Velvet était tout sauf pudique ?

"Je reviens vite. Fais comme chez toi." dit-elle très spontanément avant de disparaître derrière la porte pour rejoindre la salle de bain.

En passant, sa main s'empara de ce qui semblait être une nuisette. Quelque chose de simple, de sobre et d'uni. Un vêtement qui mettait en avant le fait que cette fille n'avait pas de temps à perdre avec la mode ou la beauté d'un habit qui ne servait qu'aux heures de sommeil. L'Autrichienne revint d'ailleurs auprès de son sauveur quelques minutes plus tard vêtue de ladite nuisette. Cette dernière, une fois arrivée aux genoux, laissait place aux jambes minces et pâles de la demoiselle. En rejoignant l'unique fenêtre de sa chambre, la femme aux cheveux de jais reprit la parole, les yeux rivés vers le ciel. La nuit était belle et le ciel dégagé, ce qui permettait l'observation des constellations.

"Je me disais que, si vous vouliez repasser un soir à l'auberge, pendant mon service, je me ferais un plaisir de vous recevoir. Après... j'ai conscience que cet endroit n'est pas des plus propres et accueillants."

Cependant, Velvet veillerait au grain afin que tout soit parfait pour ses invités.

En effet, elle avait raison. Mieux valait ne pas se poser trop de questions concernant les divins. Quelle que soit la culture, ils avaient tous quelque chose en commun. La fonction, les pouvoirs, l'apparence, l'incohérence, le surnaturel, l'invraisemblable. Les similitudes étaient si nombreuses, que l'on peut encore aujourd'hui se demander pourquoi ces croyances se font la guerre depuis tant de siècles. La vérité doit se trouver ailleurs, parmi les vastes et pitoyables défauts de l'Homme. Un lopin de terre, de l'argent, du pouvoir. Des futilités que l'Homme convoite par-dessus tout, toutes époques confondues, et les dieux sont une bonne raison à invoquer pour permettre de poser la main dessus par la force, solution la plus prisée par l'opportuniste assoiffé de richesses.
Cette réflexion, Asbjörn l'avait eu, et une idée germa alors dans sa tête : « Les divinités n'existent pas, elles ne sont qu'un prétexte pour contrôler les masses, faire rentrer de l'argent dans les caisses et provoquer des guerres. » Si certain de déduction, seule une rencontre avec l'un de ces êtres supérieurs pouvait le faire changer d'avis, ou du moins lui faire réviser son jugement.

Le Suédois souffla de soulagement. Velvet devait rester en ville le temps de remplir sa bourse, pour ensuite reprendre sa route. Sa mine apaisée ne venait, bien sûr, pas d'une quelconque réjouissance de savoir sa nouvelle amie pauvre comme Job, mais de sa nécessité de loger ici. Ainsi, il allait pouvoir profiter de sa présence jusqu'au jour de son départ qui, en l'absence de son maître, était encore indéterminé.
La jeune femme, penchée en avant, contribua à la coloration de ses joues teintées de pourpre. Bienveillante, elle désirait simplement lui révéler qu'il pouvait également poser toutes les interrogations qu'il souhaitait.
Le climat de confiance qui s'était installé entre lui et l'Autrichienne lui plaisait beaucoup. À cause de cela, il se refusait à céder à ses lubies. Des détails qu'il aurait aimé savoir, des demandes qu'elle aurait pu prendre mal. L'important pour lui était de préserver cette relation.
Asbjörn décocha un timide sourire lorsqu'il entendit la serveuse accepter son offre. Elle prit même les devants, et proposa de faire cela dès demain. Les yeux ridés de joie, il lui répondit :

-C'est avec plaisir que je passerai ma journée de demain avec toi, Velvet. Håkan n'est toujours pas rentré, j'ai donc tout le loisir de visiter la ville. (Il se racla la gorge, puis continua, comme pour anticiper une éventuelle inquiétude de la part de son interlocutrice.) Oh, je ne m'inquiète pas pour lui ! Il est vif à la manière d'un lièvre et fort comme un bœuf ! Sa course doit tout bêtement être plus complexe que prévu. On ne devrait pas tarder à le voir rappliquer à l'auberge d'ici vingt-quatre heures.

Tout à coup, elle se leva du lit, puis déboutonna sa chemise. Le visage du Suédois se barra de rouge au même instant que ses yeux, grands ouverts, trouvèrent un autre endroit où se poser. La jeune femme lui déclara qu'il pouvait faire comme chez lui pendant qu'elle se changeait. Sa petite tête recouverte de cheveux bleus comprimait un nombre d'émotions colossal, qui cherchaient toutes à se libérer d'un coup. Machinalement, il se mordilla la lèvre inférieure tout en s’assaillant de propos divers et variés bourdonnants dans son crâne.
« Que s'est-il passé ? Tout allait bien, puis elle s'est mise à enlever ses vêtements ! Faire comme chez moi, ça voulait dire quoi ? Est-ce une invitation à faire... quelque chose ? Est-ce que je devrais me déshabiller moi aussi ? » se dit-il les yeux écarquillés, les mains portées sur ses pommettes, complètement paniqué. « Ce n'était tout de même pas ce type d'invitation !? »

Ses narines frémissaient de nervosité tandis que son œil baladeur démontrait son incompréhension, mêlée à l'angoisse. Soudain, ses oreilles réagirent au son que produisaient les pieds délicats de Velvet sur le parquet grinçant. En l'espace d'une seconde, ses bras chutèrent lourdement sur ses cuisses, provocant un puissant claquement, les doigts cramponnés à l’extrémité de ses genoux. L'air de rien, Asbjörn fixait le plafond, avant de progressivement faire descendre son regard sur la jolie demoiselle, vêtue d'une nuisette qui, sans aucune prétention, parvenait toutefois à faire son petit effet.
Le Suédois ne put s'empêcher de l'admirer de haut en bas. Elle était belle, rayonnante – à sa manière –, et... en nuisette... il s'arrêta un instant, fixant les jambes soyeuses de son amie, puis secoua tête frénétiquement. « Heureusement qu'elle me tourne le dos, je me serais trouvé bien idiot... »

-J'adorerais passer te voir pendant ton service. Ta compagnie compense largement cet endroit insalubre. (Il se leva pour aller se poster à ses côtés, observant lui aussi les étoiles.) Je me réjouis à l'idée d'être avec toi pour voir tout ce que cette ville peut nous offrir, avoua-t-il avant d'être victime d'un long bâillement. (Si vous avez eu envie de bâiller en lisant cette phrase c'est que vous vous êtes fait avoir.)
Excuse-moi, il est tard. Je ferais mieux d'aller me coucher. J'ai apprécié ce moment passé avec toi, merci de me l'avoir proposé.

Délicatement, il s'arqua pour venir déposer un baiser sur la joue de la demoiselle, avant de se diriger vers la porte de sa chambre.

-À demain, je te souhaite bonne nuit.

La nuit fut longue et peu agréable. Il se leva à l'aube, les reins en compote et les yeux au milieu de la figure. Habillé d'une chemise blanche, d'une veste et d'un pantalon marron, il attendait Velvet, patiemment, sur la chaise d'une table de la salle de restaurant, tout en parcourant de son index les formes irrégulières du pendentif.
Il savait déjà ce qu'il allait dire, avant même que la jeune femme ne fasse son apparition :

-Bonjour, j'espère que tu as mieux dormi que moi. Mes muscles sont tout endoloris à cause de cette planche de bois sur laquelle j'ai passé la nuit, expliquera-t-il en s'étirant. Enfin, cela ne m'empêchera pas d'avoir une fantastique journée en ta compagnie, finira-t-il avec un large sourire.

Ils passeraient donc leur journée de demain ensemble ! Rien qu'à l'idée, un large sourire se dessina sur le visage pâle de la serveuse. C'était idiot, ils allaient juste marcher et discuter. Pourtant, cette activité aux allures anodines lui procurerait un bien fou. Cela lui changerait les idées et, surtout, de l'habituel train-train quotidien dans lequel elle s'était fourrée en voulant entreprendre ce voyage seule. De plus, comme le mentor d'Asbjörn était toujours aux abonnés absents, la demoiselle aurait tout le loisir de profiter de son sauveur (en toute amitié).

Accoudée à l'appui de fenêtre, les yeux rivés vers les étoiles, elle se sentait chanceuse. Finalement, avoir percuté l'échoppe de ce vieux marchand grognon avait été une bénédiction. Qui l'eut cru !? Certainement pas le jeune homme qui venait de la rejoindre à la fenêtre. Encore une fois, c'est avec une immense gentillesse qu'il répondit présent à son offre avant de commencer à bâiller. Etait-il si tard ? Très franchement, Velvet n'avait pas vu le temps passer en sa compagnie. Mais comme un bâillement n'arrive jamais seul, l'Autrichienne fut contrainte de céder à son tour. Tout en posant sa main devant sa bouche, elle secoua la tête de gauche à droite en réponse à son invité.

"Il n'y a pas de mal. Je pense que j'en ai tout autant besoin. Et c'est moi qui te remercie d'avoir accepté. C'était très agréable."

A peine eut-elle achevé sa phrase que le Suédois vint déposer un baiser sur sa joue. Surprise au premier abord, Velvet sentit ensuite ses joues rosir légèrement. Un sourire affectueux s'étira sur son visage.

"A demain Asbjörn."

Et le voilà parti, la laissant dans cette petite pièce froide et silencieuse. Après s'être glissée entre ses draps, la jeune femme ne tarda pas à trouver le sommeil. Sa nuit avait été partiellement bonne ; agitée par moments à cause de cauchemars relatifs au décès de son père et à la disparition de son ami.

Ayant complètement oublié de fermer les tissus qui lui servaient de rideaux, l'Autrichienne s'était réveillée assez tôt, dès que les premiers rayons du soleil pointèrent le bout de leur nez. Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour se vêtir ; un pantalon noir, un pull col roulé rouge et sa paire de boucle d'oreilles, la même que la veille. Rien de plus simple ! Sa main attrapa son manteau avant de quitter la chambre.

De bonne humeur, elle rejoignit la salle de restaurant. Celle-ci avait été désignée comme lieu de rendez-vous et, étonnamment, le Suédois s'y trouvait déjà. Matinal dit donc ! Mais... rien de surprenant finalement lorsqu'il expliqua avoir mal aux muscles. La demoiselle se sentait désolée pour lui, même si elle n'y était pour rien. Son index vint gratter sa joue plusieurs fois. Puis, elle se mit à sourire. Encore une gentille phrase !

"J'ai bien dormi."

Non, elle ne s'étendrait pas sur les détails. Ce n'était pas son genre et elle ne souhaitait pas démarrer cette journée par des histoires tristes. Aujourd'hui serait une belle journée, comme il l'avait décrite !

"... Hé bien, commençons donc par trouver de quoi ravir nos estomacs. Je ne sais pas toi mais moi, j'ai très faim ! En arrivant, hier, j'ai remarqué la présence d'une petite boulangerie. Elle doit être à un quart d'heure de l'auberge. Qu'en dis-tu ? On pourra déjà commencer la visite de la ville par la même occasion." fit-elle en enfilant une à une les manches de son long manteau gris.

Sans attendre réellement une réponse de la part de son sauveur, Velvet se dirigea vers la porte de sortie. Une fois dehors, elle remonta le col de son manteau. La fraîcheur matinale n'avait rien à envier à sa grande sœur de la veille. On apercevait même la fumée s'échapper de leurs bouches respectives. Malchanceux avec la météo ? Pas du tout ! En compensation, les deux jeunes gens avaient droit à un beau ciel bleu qui les accompagnerait certainement tout au long de la journée.

"Je me demandais... tu appelles Håkan ton "mentor" mais... en quoi l'est-il ? Il est juste une sorte de guide te permettant d'aller un peu mieux ? D'ailleurs, je trouve ça extrêmement gentil et généreux qu'il soit resté avec toi alors que vous ne vous connaissiez pas avant... enfin, si j'ai bien compris."

Difficile d'aborder un sujet sans s'approcher de trop près de celui qui fâche (ou plutôt, dans ce cas-ci, de celui qui attriste). Cependant, Asbjörn éveillait la curiosité de l'Autrichienne et elle n'allait pas s'empêcher de le questionner sous-prétexte qu'un mot ou qu'une phrase avait un lien de près ou de loin avec ce qu'il avait vécu. Elle veillerait juste à ne pas le heurter.

*Est-ce que je devrais aller rembourser le reste de ce que je dois au grincheux ?* songea-t-elle, l'air pensif.

Quel plaisir de voir le visage radieux de Velvet sourire ainsi. Depuis leur rencontre, c'était comme si l'un était lié à l'autre. Ils étaient malheureux ensemble, remplis de joie ensemble. Étrange sensation que de ressentir cela. Une harmonie qui était née sans que l'on s'y attende, mais celle-ci était plus que bienvenue, surtout en ces moments difficiles. En cet instant, c'est comme si un feu d'artifice aux innombrables couleurs brillait dans son petit cœur tout mou. Balayant, l'espace de quelques précieuses secondes, les moucherons piégés dans les toiles d'araignée qui y régnaient depuis fort longtemps.
Son léger baiser sur la joue eut l'effet d'une petite petite bombe à cotillons. Sur le coup, on s'amuse bien, c'est agréable et on en redemande, mais vient ensuite l'ennui et le désarroi où l'on se rend compte qu'il faut à présent tout ramasser. Perturbante, cette petite action qui n'avait pas plus de signification qu'une tape amicale sur l'épaule, si ce n'est afficher la proximité qu'il aimait éprouver entre eux deux. Rien de plus qu'un bisou neutre, sans prétention, et n'appelant pas à autre chose, il réussit tout de même à l'empêcher de dormir une bonne partie de la nuit.

Pour y remédier, il aurait fallu penser à des moutons, par exemple. Il est reconnu que ces bestioles touffues au langage braillant possédaient de forts pouvoirs d'endormissement. Malgré cette connaissance occulte, le jeune Suédois ne put se faire à l'idée de ne pas penser au lendemain. Dans sa tête, la journée promettait d'être merveilleuse. Le ciel d'un bleu azuréen accompagné de doux rayons de soleil, la tendre chaleur et la lumière éclatante. Les bâtiments aux pierres blanches et impeccables, surmontés de toits en ardoise noir corbeau, séparés par de larges rues pavées de briques reluisantes, plantés de manière parfaitement symétrique et parallèles. Les gens passant un sympathique moment en famille, rieurs, pointant du doigt un saltimbanque rigolo, ou un arc-en-ciel enjambant le Danube. D'autres se précipitant à ses pieds pour y trouver quelques trésors fabuleux... Le trésor d'Asbjörn était déjà là : cette journée avec Velvet.

Le matin tant attendu, il était assis dans la salle de restaurant, le dos souffreteux. Il y avait de quoi déprimer d'un tel état de santé, mais l'apparition de l'Autrichienne lui fit oublier ses douleurs en un claquement de doigts. Celle-ci, vêtue chaudement, lui rappela néanmoins que sa veste maigrelette ne suffira peut-être pas à le réchauffer. Malgré tout, il allait s'en contenter. Rien ne devait ternir ce moment de sa vie où tout malheur était absent.
La jeune femme avait bien dormi et le gratifia d'un sourire charmant. Immédiatement, elle lui proposa d'aller trouver à manger, afin de soulager la faim qui les grignotait tous les deux petit à petit. Rien que d'imaginer les mets succulents qu'ils auront à disposition, Asbjörn en salivait d'avance. Ce n'était pas très loin, et puis une marche d'un peu plus de dix minutes n'allait pas faire de mal aux pauvres muscles du Suédois. Il décrocha un sourire, dévoilant toutes ses dents, puis lui répondit, les yeux débordants d'envie.

-Une boulangerie ? Oh oui, ce serait tout à fait adapté pour racheter mon levé difficile ! J'espère que celui ou celle qui y travaille est doué(e) en pâtisserie. Rien de tel qu'un peu de sucre pour bien nous roborer et commencer la journée ! dit-il, l'air jovial, à la façon d'un petit garçon, tout en suivant la jolie demoiselle qui se dirigeait dehors.

Une fois baigné dans la lueur du soleil, le visage d'Asbjörn pointa immédiatement vers le haut. L'instant d'après, il souffla de soulagement. Il faisait plutôt froid, mais le ciel était comme il l'avait imaginé, à quelque chose près. Le rêve prenait vie, même si ce n'était que partiellement.

-C'est formidable, nous avons droit à un temps magnifique, s'écria-t-il. J'espère que le déluge d'hier soir ne réapparaîtra pas aujourd'hui, le plancher de ma chambre s'en souvient encore...

Avant de réellement partir, l'Autrichienne eut une question à propos d'Håkan. Elle avait du mal à comprendre son statut. Quelle était sa place dans la vie du Suédois ? Que lui apportait-il ? Il est vrai que, d'un point de vue extérieur, cela pouvait être compliqué à cerner.

-Mon mentor, j'ai dit ça ? répliqua-t-il en se grattant la tempe, le sourire aux lèvres. Eh bien, il est celui qui me n'a pas laissé tomber, lorsque tout... (Ressasser une fois de plus le passé ne lui plaisait guère, il préféra alors aller droit au but, plus ou moins.) Disons qu'il m'aide à retrouver un peu d'humanité, un but à ma vie. Je lui dois beaucoup mais... il s'avère que je suis un élève difficile. Il a été seul pendant des années, je ne me suis pas étonné de cette générosité à mon égard, et puis ma rencontre avec lui était... Hum... je n'étais pas au sommet de ma forme et... certainement pas dans de bonnes conditions pour réfléchir à tout ça.

Il avait peur. Peur d'expliquer ce qu'était le cosmos, les Guerriers Divins, son entraînement... Tous les ingrédients étaient réunis pour le prendre pour un fou... Un fou alcoolique... Le silence à ce sujet était volontaire, afin de préserver leur relation à laquelle il tenait beaucoup. La seule qui avait réellement une importance depuis le drame. Même si, au fond, il savait que le futur ne leur laisserait que très peu de chances de se revoir.
La boulangerie se dressant à l'horizon, il se permit de changer de sujet. Son ventre gargouillait comme s'il n'avait pas mangé depuis des jours.

-Enfin la voilà ! Je pourrais manger des tonnes de biscuits tellement j'ai faim !

Il hâta la marche, alors qu'au loin les cris d'un homme résonnaient dans la rue, sans pour autant être parfaitement audible. Sans en tenir compte, le Suédois poussa la porte de l'établissement, puis laissa Velvet passer avant lui. Les délicieuses pâtisseries s'étalaient sous leurs yeux. Le choix était difficile, il avait besoin de réfléchir, de peser le pour et le contre de tous ces sucres si savoureux.

-Tu as une idée de ce dont tu as envie ? demanda-t-il en se tournant vers la demoiselle aux yeux ambré. Personnellement je n'arrive vraiment pas à me décider.

Parfait. Tout était absolument parfait pour commencer cette journée qui s'annonçait aussi mémorable que la précédente. Le ciel azure et la lumière éclatante du soleil seraient leurs guides ; veillant à ce que tout se passe sans encombre de leur côté. Le reste était entre les mains des deux jeunes gens. Le démarrage se faisait dans la joie et la bonne humeur. L'adorable sourire d'Asbjörn provoquait naturellement chez l'Autrichienne une irrésistible envie de lui rendre la pareille. Allez savoir pourquoi, il dégageait quelque chose de singulier... en tout cas, aux yeux de Velvet. Cette dernière, non peu fière de sa proposition, acquiesça de la tête les dires de son compagnon du jour. Le sucre, c'est la vie. C'est vrai ! Et si, en plus, la pâtisserie comportait des pommes, c'était l'extase assurée pour la demoiselle !

"Tu as raison... cette personne a intérêt à être à la hauteur !" dit-elle sous le ton de l'humour. "J'espère qu'il y aura du choix... et de la pomme." finit-elle par avouer un cran plus bas.

Miss Crowe se retourna vers le Suédois. Celui-ci appréciait le temps irréprochable qui s'offrait à eux, la tête levée vers la lumière. Un nouveau sourire vint étirer les lèvres de Velvet et se prolongea lorsqu'elle l'entendit faire son petit commentaire.

"Comment une matinée si magnifique pourrait-elle se transformer en déluge ? Ne parle pas de malheur ! Tout se déroulera parfaitement." Elle marqua un temps d'arrêt. "Et puis... même si le temps nous joue des tours, ce n'est pas bien grave. Je suis certaine que nous pourrons nous amuser tout de même." renchérit-elle.

Le visage gai de la demoiselle à la longue chevelure de jais devint tout à coup plus sérieux lorsque son sauveur lui expliqua qui était réellement Håkan. Ce sujet avait ressassé le passé tumultueux du jeune garçon, mais ce dernier était parvenu à ne pas tomber dans le mélodrame, expliquant avec simplicité et douceur ce que cet homme représentait pour lui. Un sauveur, un vrai ! Quelqu'un qui permet à autrui de ne pas s'enliser dans la tristesse, de ne pas succomber aux ténèbres. Du moins, il s'efforçait chaque jour de sortir Asbjörn de ses douloureuses pensées, non sans difficulté.

C'est avec beaucoup de bienveillance que l'orpheline voulut s'approcher pour poser sa main sur son épaule mais, tout à coup, le jeune homme repartit sur le sujet des biscuits, voyant la boulangerie se profiler à l'horizon. Velvet se mit à rire discrètement en soufflant du nez. Son état d'esprit était le bon, celui à adopter. Ne plus se focaliser sur ce qui faisait mal et profiter du temps présent. Miss Crowe veillerait à ne plus le bousculer avec ses sempiternelles questions ou, du moins, elle les choisirait avec plus d'attention.

"Merci d'avoir répondu..." laissa-t-elle échapper tout bas, en le voyant se hâter devant elle. "Et moi alors !? Je pourrais avaler un éléphant !"

Beaucoup plus à l'aise avec lui, elle se permettait de répondre des choses totalement farfelues. Il ne manquait plus qu'elle lui dise qu'un biscuit à l'antilope lui conviendrait merveilleusement. Mais trêve de bêtises ! L'Autrichienne se dépêcha de le rejoindre, à peine alertée par les cris de l'inconnu se trouvant au bout de la rue. Ses yeux se portèrent vers lui un instant avant qu'elle ne passe la porte de la boulangerie, sans y prêter plus attention.

"Merci." gratifia-t-elle Asbjörn alors qu'il lui tenait la porte.

Tadam ! Les voilà à présent devant le dilemme de leur vie. Ce mot n'était même pas adéquat, ou alors il y en aurait plusieurs. Des gâteaux et des biscuits en veux-tu en voilà ! Quelle peine de ne pouvoir tous les goûter ! Ils avaient l'air tous plus succulents les uns que les autres. Le choix serait rude et...

"...."

Velvet se mit à fouiller dans la poche de sa veste, cherchant son portemonnaie. Il fallait qu'elle fasse quelques comptes histoire de ne pas se faire avoir et tomber à court d'argent durant la journée.

"Je... A vrai dire, je suis tout aussi embarrassée que toi. Tout à l'air si bon." Elle finit part relever la tête, croisant le regard d'Asbjörn. "Je pense que..."

"Si je peux vous conseiller, nous avons ces biscuits. Ils sont à moitié trempés dans du chocolat. Sinon, ceux-ci viennent de sortir du four à l'instant. Ils sont encore tout chauds." La dame se pencha un peu pour pointer un dernier gâteau en particulier. "Il y a également ce roulé aux noix et au citron."

Avoir été coupée dans sa phrase ne l'avait pas dérangée. En effet, les propositions de la vendeuse avaient été faites avec beaucoup de gentillesse, d'une voix posée et agréable. Malheureusement pour la voyageuse, aucune pomme à l'horizon mais ce n'était pas si grave. Goûter de nouvelles saveurs et s'ouvrir à la gastronomie locale faisait partie des aspects positifs de son périple. Reposant son attention sur son voisin, elle se demandait s'il allait craquer pour l'une de ces merveilles, à moins qu'il n'en choisisse une autre ?

"Je vais me laisser tenter par le roulé. Il a l'air particulièrement bon. Et toi, Asb ? Oups euh... pardon... Asbjörn..." finit-elle par dire sans trop changer le ton de sa voix.

Son index vint gratter à plusieurs reprises sa joue alors que la jeune femme reposa les yeux sur les biscuits. Cette familiarité soudaine ne l'étonna qu'à moitié. Elle était du genre à faire comme elle le sentait (comme voler des clopes aux personnes avec qui elle ne discute que depuis 2 minutes) mais, pour le coup, c'était vraiment sorti tout seul et très vite. Une volonté irrépressible de faire les choses correctement dictait ses actions depuis hier. A aucun moment, la demoiselle aux yeux ambrés n'avait feint être une autre personne mais elle ne souhaitait pas gâcher leur relation, peu importe sa longévité. Celle-ci serait courte, très courte. Voilà ce qui les attendait depuis le départ. Consciente de cela, Velvet restait tout de même dans ce même état d'esprit ; celui de ne rien abîmer.
D'après ses observations, le Suédois n'était pas du genre à prendre la mouche pour des détails. C'en était un, n'est-ce pas ? Il n'y avait donc aucun souci à se faire. De l'autre côté du comptoir, la pâtissière les mirait à tour de rôle d'un air amusé, sans y mettre son grain de sel.

Ses cheveux brillants virevoltants au gré du vent, son sourire si joliment étiré, la jeune Velvet était si radieuse qu'elle en aurait ébloui un aveugle et enflammé sa canne. Pour Asbjörn, c'était un véritable plaisir de la voir dans cet état. Rien à voir avec les tristes discussions passées, à présent il fallait rire, profiter, s'amuser. Elle-même était en parfaite adéquation avec ceci, n'hésitant pas à faire semblant d'être plus méchante qu'elle ne l'est, sous-entendant que si le pâtissier n'était pas à la hauteur de ses espérances, ça allait chauffer pour ses oreilles !
Observant pleinement son visage illuminé pendant ce temps, le garçon aux cheveux bleus ébouriffés s'orna d'une expression béate. Tout en la regardant, il cru comprendre que sa nouvelle amie était friande de pommes. Cela l'amusa, car il n'avait encore jamais vu une tel envie dans le regard de quelqu'un qui parlait simplement de ce fruit sphérique aux couleurs diverses.

-Je plaisante ! ria-t-il de bon cœur. Moi aussi, je suis sûr que nous allons passer une formidable journée, finit-t-il gaiement.

Après avoir brièvement reparlé de son passé, le suédois et la demoiselle pénétrèrent ensemble dans la boulangerie, tous deux bavant intérieurement devant tant de délices. Pour autant, aucun d'eux ne semblait réussir à faire un choix. Bien trop difficile de n'en prendre qu'un, mais il allait bien falloir se décider. Peut-être après les avoir vu hésiter longuement, la personne responsable de vente – et de la production de ces sucreries abondantes – s'approcha des amis pour tenter de les conseiller.
Une manœuvre avisée, car l'autrichienne choisi directement l'une des pâtisseries après qu'elle ait été si merveilleusement mise en valeur. Asbjörn, par contre, restait dans son indécision. Il avait toujours été comme ça, et le restera certainement toujours. Mais pour éviter de trop faire attendre, il fit le même choix que son amie qui se laissa la permission de l'appeler par un diminutif.

-Je vais prendre la même chose, répondit-il en souriant agréablement.

Il prit ensuite le paquet que lui tendait la boulangère avant de la payer et de lui souhaiter une bonne journée. En sortant de l'établissement, le jeune homme alla tout naturellement vers le premier banc venu.

-Nous pouvons les déguster ici, au soleil. Qu'en penses-tu ? demanda-t-il, toujours le sourire aux lèvres.

Sans vraiment attendre de réponse, il s'assied expressément mais convenablement, une façon d'amener Velvet à dire oui devant l'adolescent qui tentait tant bien que mal de ressembler un mignon garçon à qui on ne peut dire non. Ensuite, il tapota légèrement la surface en bois à sa droite, invitant la jeune femme à se placer à ses côtés. Il avait tant hâte de discuter à nouveau avec elle, de retrouver ce bonheur étrange de partager son temps avec une personne quasi-inconnue. L'autrichienne avait ce petit quelque chose qu'il ne retrouvait nulle part ailleurs. Enfin, il avait trouvé un peu de joie dans sa vie qu'il considérait parfois comme la plus triste de toute.

Malheureusement, mêmes les plus belles parties d'une existence ont toujours une fin. Et cette fin se lie inlassablement à une frustration au moins aussi grande que la joie accumulée pendant ce moment de plaisir.
Des bruits de semelles claquants contre contre les pavés de la rue s'approchèrent des deux nouveaux amis. Nonchalamment, Asbjörn détourna son attention dans la direction de l'inconnu perturbateur. Son visage, éclaircit par son début de journée, se teint peu à peu de tristesse et de détresse. Loin d'être un inconnu, le propriétaire des semelles bruyantes n'était autre que son maître, de retour de sa course.

-Eh bien, je ne pensais pas que me voir te mettrait dans cet état ! Enfin, je suis content que tu aies repris un peu de couleurs ! Bref, il faut m'excuser mais nous devons partir immédiatement, j'ai eu quelques soucis avec les locaux et... bon, disons qu'il ne faut pas s'éterniser, si tu as laissé des affaires à l'auberge, tu peux les y abandonner, on a pas le temps.

D'un ton déprimé, son élève lui répondit.

-Qu'avez-vous donc fait pour vous attirer une telle malveillance ? Moi qui aurait voulu... (il souffla, puis se leva tout en douceur, la mine déconfite.)

-Ce n'est vraiment pas de ma faute ! Hmm, pas entièrement... J'ai oublié de payé ce que je devais au marchand, je suis sorti de son échoppe mais tout à coup il a crié au voleur. Me rendant compte de mon étourderie j'ai tout de suite voulu lui donner son argent, mais ce bougre m'a demandé un supplément pour ma « fourberie ». Tu entends ça ? Jamais je ne paierai un sou de plus! J'ai donc déposé ce que je devais réellement sur son comptoir puis je suis parti à toutes jambes. À présent, cher disciple, tu m'en vois navré, mais nous devons vraiment nous en aller !

Arraché une fois encore à un bonheur simple, Asbjörn n'eut même pas le courage de protester. Levant simplement la main vers Velvet en guise d'au revoir, il suivit son maître d'un pas mollasson, les bras ballants.
Au bout de quelques mètres, le jeune secoua tout à coup la tête, puis se retourna, accourant vers la demoiselle aux yeux ambrés. Arrivé devant elle, il retira le pendentif attaché à son poignet, puis le lui tendit amicalement.

-Je n'avais aucunement l'envie que l'on se quitte comme ça, mais je ne peux rien y faire. Toutefois, je ne veux pas m'en aller sans te dire adieu correctement. (Il saisit délicatement la main de la jeune femme, puis y plaça l'objet en forme de Sleipnir avant de fermer ses doigts délicats dessus.) Je serais très heureux de pouvoir te recroiser un jour, dans le futur. Malheureusement, il n'y a que peu de chance que cela arrive, je ne dois pas me le cacher... Ma rencontre avec toi a illuminé mon séjour ici, je te souhaite tout ce qu'il y a de mieux en ce monde, Velvet. Au revoir, dit-il avant de lui adresser un baiser sur la joue.

Sans ajouter un mot, il s'en retourna vers son maître, sans se retourner cette fois. Au fond de lui, malgré ce qu'il avait dit, il espérait de tout cœur la revoir un jour.