Visite de courtoisie

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Venir depuis l'autre bout du sanctuaire sous-marin prit quelques minutes, même pour un général aguerri tel que Simbad. Ici, la vitesse de la lumière et les téléportations étaient freinées par l'omniprésence du vieux cosmos de l'empereur des mers, et chacun allait donc à l'allure maximale que lui conférait la nature de son armure ou de sa condition physique.
Ce fut ainsi qu'en volant, l'hôte de Scylla arriva sur les lieux le premier. Il se posa tout en souplesse à une centaine de mètres du dieu et finit de parcourir la distance qui les séparait à pieds, par égard pour la divinité. Il stoppa sa marche à quelques pas de ce nouvel arrivant divin et fut assez troublé de voir le visage de Kakyo. Il était au courant de l'incarnation du dieu des dieux, mais avoir escorté le prêtre autrefois n'aidait pas à réaliser aujourd'hui sa véritable transformation. Il espéra que le maître de la foudre ne prendrait pas offense du regard scrutateur qui examina chaque détail de son visage sans permission. Il fallait vraiment dire que la puissance surhumaine qui se diffusait de ce corps en apparence fragile avait de quoi étonner.

"Ka... Zeus..."

Après un temps, Simbad posa genou à terre et baissa les yeux, seul privilège qu'il se permettait d'offrir à Zeus en plus de Poséidon. Il avait des révélations à lui faire sur la conduite de son fils, des questions à poser, il avait à porter en cet instant le poids des positions politiques des Marinas. Chacun de ses mots aurait une importance. Il ne fallait pas froisser la divinité mais il s'interdisait pour autant de se montrer docile et inoffensif comme un agneau. Sa fierté, il ne l'avait pas ravalée devant les jumeaux de Léto. Zeus y ferait face également.
Ses bonnes manières l'empêchèrent de prendre la parole aussitôt, de même que de relever pour parler à Zeus les yeux dans les yeux, mais l'envie le brûlait de le faire. Et quand il y pensait, il ne saurait pas par où commencer s'il agissait ainsi. Les sujets à évoquer demandaient tact et raison, surtout pas de précipitation et un grain d'audace. L'avenir de l'Empire se jouerait peut-être là. Seul l'avenir en était le témoin privilégié.

Il fit un bref résumé dans son esprit. Il lui fallait savoir ce qu'il en était de l'opinion générale des dieux sur Eges, de la situation au sanctuaire d'Athéna, demander sa protection tant que Poséidon n'était pas incarné pour éviter de nouvelles cuisantes défaites puis enfin connaître l'état de l'âme de l'Empereur. Cela dit, il resterait peut-être d'autres questions qui lui viendraient à l'esprit, mais il ne pourrait pas le prévoir. Il ne connaissait pas le caractère du dieu. Etait-il colérique ? Patient ? Méprisant à l'égard des mortels ? Une crainte assombrit tout à coup les pensées de l'enfant des mers : Zeus venait peut-être venger son enfant de l'affront subi par son entrevue avec Simbad. Il s'était précipité sans savoir ce que l'Olympien voulait et allait finir en brochette de Marina sans avoir eu le temps de méditer son erreur. Cruel destin...

*Calme-toi et attends qu'il te pose des questions. Ne t'emporte pas.*
*Je sais, je suis nerveux. Ce n'est pas tous les jours que l'on parle à un Olympien de cette envergure.*

J'étais parti peu de temps après Simbad. Personne à Eges n'avait ignoré la voix du "roi de l'Olympe" et une certaine fébrilité régnait dans les centres d'habitations. Tous avaient le souvenir de l'attaque des spectres et le traumatisme était visible sur la plupart des visages. Je ralentissais donc et m'arrêtait quelques instants au milieu d'une vaste rue, offrant la vision d'un général confiant et serein, prodiguant rapidement quelques paroles apaisantes, promettant la paix. Puis je repartais et laissais le bouche à oreille faire son travail. Ces quelques mots rassureraient la communauté. Après notre dieu, le peuple atlante était bien entendu ma priorité. Fonçant au plus vite, j'arrivais peu de temps après mon frère d'écaille.

Simbad de Scylla se trouvait déjà face au dieu de la Foudre, qui était en apparence un jeune homme. Leurs deux cosmos si proches pouvaient presque rendre l'air vibrant. J'arrivais à côté de mon frère d'écaille et me présentais à mon tour devant la divinité, retirant mon casque et le mettant sous le bras, posant un poing sur le coeur et inclinant la tête humblement avant de poser genou à terre un court instant. Bien sûr, mon dieu seul avait acquis mon indéfectible loyauté, mais cela ne devait pas entacher le respect dû aux autres divinités, d'Olympe ou d'ailleurs. De plus, Zeus était le frère de notre Empereur et rien que pour cela il méritait l'attention et le respect. Quelle était la raison de sa venue ? Quand j'étais encore dans l'autre monde, j'avais uniquement suivi en pensée les péripéties de quelques Maninas et non des autres camps, encore moins des dieux. J'ignorais donc tout.

Il y a 400 ans, avant de choisir l'enfermement au plus profond des Enfers comme pénitence de ma défaite face aux juges d'Hadès, il m'était arrivé, une fois, de me trouver en présence de Zeus. Humble mais aussi fier, j'espérais qu'il me reconnaîtrais, moi, Général dévoué à la garde rapprochée de Poséidon il y a quatre siècles. A nouveau debout, le casque de mon écaille sous un bras, je garde la tête légèrement baissé et m'adresse à la divinité.

- Seigneur Zeus, maître des foudres et roi de l'Olympe, le peuple de Poséidon est honoré par votre présence. Je me nomme Kartar Hatt'Mhêm, Général de Polyphème, et je loue l'estime que vous portez au Sanctuaire de notre Empereur en vous présentant dans le premier domaine de la Sirène Aquatique.

Rendre grâce au visiteur, se présenter, servir les intérêts de son dieu, et faire preuve d'audace autant que de déférence en prenant la parole, que puis-je faire de plus ? Je garde la tête légèrement baissée, attendant qu'il m'adresse la parole pour relever les yeux. Une divinité de ce rang ne se déplace pas pour une bagatelle et encore moins par courtoisie. La guerre ? La paix ? Voilà ce qui traversais mon esprit, en plus de me retrouver face à une telle présence.

J'attends en silence qu'il prenne la parole et, je l'espère, demande pacifiquement à traverser les domaines jusqu'au Temple de mon Seigneur.

Le général de Scylla fut rassuré à première vue d'entendre que leur conduite plaisait à Zeus. Cela signifiait qu'il venait en paix, pour ne pas dire en ami. Tant qu'ils l'honoreraient comme se devait de l'être le dieu des dieux, ils n'avaient rien à craindre.
Toujours genou à terre et le regard baissé, Simbad se permit de prendre la parole :

"Je me vois contraint de reconnaître que l'état de nos forces est préoccupant. Les réincarnations récentes qui ont eu lieu ne subsistent pas. Je déplore la disparition d'une bonne dizaine de compagnons sans savoir pour tous s'ils sont absents, morts ou en mission quelque part. Nous n'avons pas les moyens de résister aux attaques des serviteurs de votre frères Hadès et il semblerait qu'Arès votre fils se soit servi d'eux pour envahir divers lieux. J'ai entendu parler d'Asgard et du sanctuaire d'Athéna auquel j'ai envoyé une jeune capitaine en éclaireur... Nous serions déjà en route pour la retrouver si nous n'avions pas reçu la visite pour le moins étrange du dieu Apollon. Et à ce propos, il me faut avec votre permission, traiter avec vous d'un sujet important."

Il marqua une pause, essaya de remettre en ordre ses idées qui déjà s'embrouillaient, se bousculaient. On disait parfois que les dieux préféraient maîtriser la conversation et éviter les oreilles indiscrètes. Ne sachant pas si Zeus considérait Kartar comme trop inconnu pour être le témoin du "sujet important" dont il souhaitait l'entretenir, le général ne poussa pas plus avant pour le moment. Réorientant ses priorités, il reprit un bref instant :

"Avant de poursuivre, j'aurais voulu savoir si vous connaissiez la situa..."

Il fut interrompu par un pouvoir sans commune mesure. L'on sentait une puissance extraordinaire venir du Sanctuaire, qui n'était pas si loin que cela d'Eges puisque la Grèce et l'antique mer se touchaient, appartenaient l'un à l'autre. L'intensité du cosmos déployé ne pouvait dire que deux choses : deux dieux s'affrontaient au sein des douze maisons du zodiaque, et si combat divin il y avait précisément là-bas, Athéna devait s'être réincarnée moins d'une heure avant. Le cœur du Marina se serra. On parlait de Thor, d'Athéna, d'Arès, d'Apollon, d'Artémis, de Thanatos... Poséidon était le seul à ne pas être revenu prêter main forte à ses soldats. Attendait-il la preuve, encore une fois, de leur vaillance ? Etait-il trop faible face au sceau qui le retenait prisonnier pour ressusciter ? Voulait-il que les écailles des généraux trouvent enfin porteur à leur mesure pour venir se présenter à eux au su et au vu de tous ?
L’Élu d'Atlantide serra les poings. Oui, la situation était critique... désespérante... Ils pouvaient difficilement aller plus bas.

"Le monde sous-marin sera prochainement détruit si aucune aide ne nous est apportée. Nous avons conclus récemment une alliance avec les Asgardiens dont je ne connais pas la teneur et qui n'a eu aucune utilité jusqu'à maintenant car ils étaient et sont peut-être toujours en plein affrontement avec les cavaliers d'Arès. Aucun prêtre ne demeure en ces lieux pour prier notre Seigneur de revenir et amplifier sa force spirituelle ! Les civils ont peur ! Les guerriers défilent et tombent comme on souffle des bougies ! Écoutez donc le silence qui règne ici ! Je suis de nature optimiste mais devant un tel constat je peux que mendier votre protection, laissant mon honneur et mon orgueil de côté..."

L'explosion de cosmos qui avait eu lieu un instant plus tôt à la surface... je n'y songeais déjà plus. Cette situation ne me concernait pas, d'autres problèmes m'accaparaient davantage. Zeus rendit hommage au respect dont ils avaient fait preuve tous les deux et demanda un rapport sur l'état actuel des écailles de Poséidon. D'ordinaire, je me serais senti bien plus légitime que le Général de Scylla. Mais certains faits faisaient que je ne l'étais pas. "D'ordinaire", c'était il y a 400 ans et alors que j'étais au mieux de ma forme et de ma puissance. C'était avant de m'être terré dans les Enfers, aussi. Simbad était donc le véritable général légitime pour répondre à la requête de Zeus. C'était aussi la personne la plus compétente dans tout le Sanctuaire sous-marin, la plus apte et la plus renseignée.

Effectivement, l'exposé de mon frère d'écaille ne souffrait aucune erreur. Le tableau était triste, mais c'était bien le leur. Manque d'effectifs, absents ou en missions en des lieux inconnus. Même moi, malgré mes pouvoirs psychique très puissants, je n'ai pas réussi à les retrouver. Et cela a de quoi inquiéter je dois dire. Qu'en pensera Zeus ? Et Poséidon, le jour où il se réveillera ? Cette idée me faire bien peur. Et le camp d'Asgard, qui aurait oublié son pacte d'alliance... Vils.

Simbad conclut sa tirade et demande de l'aide. Ma fierté me crie de m'y opposer. Que penserait Poséidon ?? Mais je de Général de Polyphème, je n'en ai pas que le titre. Je me retiens, ravale mes mots, et réfléchis. Polyphème, cyclope fils de Poséidon et de Thoosa, muse de la réflexion qui précède l'action, guide mes pas et mes mots. Et je comprends que la fierté n'a rien à voir, ou plutôt tout à voir ! Alors je m'autorise un mot également, appuyant mon compagnon.

- Seigneur Zeus, je... je vous conjure d'accepter la requête du Général Simbad de Scylla ! Le Sanctuaire sous-marin est déjà grandement affaibli et un regard protecteur de votre part nous permettrait de redonner au Peuple la confiance en l'avenir qui lui manque. Tous ici attendent le retour de notre Empereur et de ses fidèles sujets, mais en l'état, nous ne pouvons qu'espérer un miracle, ou la présence d'un dieu, son frère.

J'ai parlé avec mon coeur. Le Peuple, les écailles, l'Empereur, ceux-là seuls comptent. Ma fierté n'est rien. A quoi servirait-elle si mon dieu revient et découvre un royaume dévasté ? Non. Il faut un royaume protéger, sûr, et fort.

Ma tête baissée se relève et j'observe une demi-seconde Simbad du coin de l'oeil. Il avait souhaité parler à un moment d'un "sujet important", mais n'en avait rien dit. Serais-je de trop ? Je prends la décision d'écouter la réponse du dieu des dieux, et quand je saurai sa décision, je me reculerai d'un pas. Je ne peux pas quitter la conversation avec une divinité en prétextant avoir des choses à faire. S'il veut me voir me retirer, il me le demandera.

La perche tendue, Simbad se releva de lui-même et planta son regard de braise dans celui de Zeus et de son hôte. Peut-être cela donnerait-il un plus grand impact à ses mots de mauvais augure. Il inspira un grand coup et se mit à parler avec un calme des plus olympiens :

"Avant tout sachez que mon but n'est pas de répandre la discorde entre les dieux, et j'en serais fort mal avisé en votre présence et après avoir demandé votre protection. Lors de sa visite, le seigneur Apollon a prétendu que vous dirigiez de vous-même la tête des cavaliers d'Arès en feignant de les combattre pour une raison vague qui me paraît plus qu'absurde. Étant donnés les événements récents, je n'ai pu m'empêcher de penser qu'il fomente avec son frère une rébellion destinée à vous renverser, tout comme vous avez renversé votre père Cronos et comme le fut Ouranos avant lui. En tant que serviteur de Poséidon et garant des océans avec mes confrères Marinas, je ne puis laisser une telle chose advenir. Permettre à deux dieux qui m'ont menacé de mort pour que je leur laisse détruire ce paisible sanctuaire et menacer ainsi l'humanité entière me serait impardonnable. Pour vous prouver ma bonne foi, je suis prêt à répéter ces mots devant les deux divinités concernées s'il le faut, et au risque de ma propre mort. La prudence est de mise..."

Marquant une pause, le général de Scylla se tourna vers Kartar qui devait se sentir bien exclus de la discussion. Il aurait voulu lui demander d'aller à la rescousse de Mégara au sanctuaire d'Athéna pour protéger la capitaine, mais cela aurait été une offense à l'autorité divine de Zeus. Il essaya de le lui faire comprendre par le regard. Puis, recentrant son attention sur le dieu, il prit une voix plus solennelle, posa le poing sur son coeur et baissa de nouveau le regard.

"Pardonnez mon arrogance si vous souhaitez la qualifier comme telle, mais je souhaiterais vous présenter une dernière requête avant votre départ. Vous disiez à l'instant ne protéger que les piliers et nous laisser responsables de nos vies. Je le conçois tout à fait et vous en remercie, nous ne sommes pas à l'heure d'être maternés... En revanche, j'oserais vous demander à titre personnel si, pour me donner les moyens de former les nouvelles recrues et protéger mon peuple, vous accepteriez de prêter votre savoir à un humble mortel. Je ne demande que quelques jours, voire quelques heures à peine de votre éternité pour devenir digne de me prétendre fort et de résister à l'adversité. Entraînez-moi, au nom de Poséidon, et en votre nom !"

Scylla salua cette initiative d'un sifflement mental et d'une pique acide que l'Elu d'Atlantide s'empressa d'ignorer. La démarche était audacieuse, elle lui était venue à l'esprit à mesure de la conversation. Fortifié, il enseignerait ce qu'il pourrait à ses congénères et formerait peut-être des troupes dont les spectres ne sauraient se défaire aussi facilement que Kazuki s'était débarrassé de lui auparavant. S'il comparait son cosmos à ceux des cavaliers choisis par Arès, et si la puissance était le seul critère de sélection qu'un dieu pouvait appliquer à un mortel, il s'estimait à la hauteur. Ni surpuissant ni médiocre, il avait le niveau pour pourfendre la terre d'un coup de pied et déchirer les cieux d'un battement d'ailes. Il s'était entraîné durement pour y parvenir et ces efforts, peut-être, trouveraient récompense ici. Partager un dixième, un centième des connaissances de Zeus, dieu des dieux, ne pourrait qu'être bénéfique.

Zeus accepta la demande conjointe de Simbad et moi-même. Je dois dire que même si cela réchauffa mon coeur, en grande partie pour mon Peuple, c'était aussi un coup dur pour mon égo. C pendant, il me fallait préciser un point.

- Seigneur Zeus, merci pour cet engagement. Je suis heureux de la protection que vous souhaitez offrir au Sanctuaire Sous-marin en intervenant, si besoin est, en dernier recours. Nous, généraux de Poséidon, ne sommes pas nombreux. Cependant je préférerais donner ma vie pour défendre mon pilier avant de recevoir votre aide. Ne prenez pas cela comme une insulte mais comme le devoir prenant le pas sur un instinct de survie. Tant que je serai apte à combattre, je le ferai, et si je tombe, mon âme se réjouira de votre venue. J'espère que nous nous comprenions dès le début sur ce point, et que si tel n'était pas le cas, vous ne prendrai pas ombrage de ma requête.

Simbad prit la parole à son tour puis m'observa un très court instant avec ce regard que je connaissais déjà pour l'avoir vu il y a 400 ans. Visiblement il était gêné et aurait voulu lui parler de quelque chose. A l'époque, son incarnation savait user de la télépathie, n'avait-il donc jamais appris cela dans cette vie ? Bon sang, si c'est le cas, il faudra y remédier.

J'ai envie de le contacter à ce moment-là, mais il poursuit son adresse à Zeus et lui demande son soutien et... son savoir ? Ca, c'est ce que j'appelle de l'audace. Moi, j'avoue que je n'aurai pas oser. Pas à Zeus en personne. C'est là une des choses qui a toujours fait la différence entre Scylla et moi : lui ose là où je suis servile. J'ai ma place, j'ai fait beaucoup pour grimper dans les échelons, mais je me suis toujours trouvé limité dans mon esprit, borné à ma place et au respect silencieux dû aux dieux. Simbad de Scylla quant à lui ose demander la formation d'un dieu. Je voudrais intervenir, dire que moi aussi, mais je ne le fais pas. Je refuse de me porter en suiveur. Je suis le général de Polyphème, et je suis un "imbécile", c'est à dire que je ne me sers de rien ni de personne pour avancer, je suis littéralement un "sans béquille", un imbécile. C'est là ma force et ma faiblesse, qui aujourd'hui me porte préjudice.

Finalement, dans le court laps de temps pendant lequel le dieu des dieux réfléchit à la demande, je contacte Simbad en esprit et je constate qu'ils sont deux. L'âme de Scylla l'habite. Je ne m'y attendais pas et cela me provoque un court vertige. Enfin, je sens que la créature sortie du fond des âges accepte mon intervention.

*Simbad, souhaites-tu que je te laisse discuter avec Zeus ? Tu m'as fait comprendre à deux reprises que ma présence était gênante pour toi. Porter l'armure de Polyphème ne représente donc pas un gage de confiance suffisant, faut-il que nous commencions ainsi, dans le secret ? Le respect que je porte à notre dieu me poussent à rester ici et à assurer avec toi l'image du Sanctuaire et l'image d'un camp peu nombreux mais fort et au moral intact.*

Ces mots ont été dit avec calme, mais ils ont fusé à la vitesse de la pensée, comme toute télépathie avancée. Nul doute que Simbad aurait le temps de répondre avant la réponse de Zeus. L'écaille de Scylla souhaitait donc mon départ ? En tant que nouvel arrivant, je m'inclinerai, mais n'oublierai pas cet exigence à moins d'obtenir une très bonne raison.

Une fois sa demande effectuée, Simbad était resté muet comme une tombe et immobile comme une statue à l'exception de ses cheveux caressés par moment par le vent. Le dieu des dieux rendit finalement son verdict et disparut.
L'audace du général le laissa lui-même tremblant et vacillant jusqu'à ce qu'il inspire autant qu'il le pouvait pour ensuite expirer puissamment. La peur... Cette peur bienfaisante qui lui permettait de ressentir la vie et l'adrénaline en même temps, venait encore une fois de le transpercer de part en part et son regard ne s'en fit que plus intense, plus brûlant, plus déterminé. Il se tourna vers Kartar et un sourire de défi et de soulagement orna ses traits, lui donnant un air plus guerrier que jamais.

"Pardonne ma non-réponse à tes pensées, mon frère. Je viens de repousser les limites de mon courage à celles de l'insolence, et je me suis vu y passer encore une fois... De plus, je n'ai pas encore bien l'habitude de la télépathie. Sache que mes regards insistants n'étaient pas destinés à te faire comprendre que ta présence me gênait, bien au contraire. Je suis finalement content que tu ne sois pas parti mais plutôt resté pour me soutenir. Le message que j'essayais de te faire parvenir était d'aller au Sanctuaire, où comme je te l'ai dit j'ai envoyé une capitaine il y a quelques heures. Je me fais du soucis pour elle, et plus encore après la secousse cosmique que nous avons ressentie tout à l'heure. Puisque Zeus n'est plus là, et que personne ne nous empêche plus de nous mouvoir à notre guise, il est temps de voir de ce que devient Mégara. J'hésite à y aller alors que j'ai la faveur si précieuse d'un dieu acquise. Mais je ne peux laisser celle qui fut brièvement mon élève à son sort. Puis-je te demander de la ramener ? Ou de m'accompagner tout du moins. Laisser Eges déserte ne me paraît pas bien enviable mais Mégara ne mérite pas non plus ce sort. Si l'on ne peut protéger un seul capitaine, à quoi bon protéger un empire..."

Peu à peu, le général de Scylla avait repris son aplomb, et Scylla en lui sa méfiance. Le général de Polyphème avait été plutôt acharné à établir le contact mental pendant ces quelques secondes, et son âme puissante attirait de plus en plus l'attention de la défunte nymphe. Cet être était-il vraiment celui qu'elle pensait ? Pourquoi ne se révélait-il pas si c'était le cas ? Le porteur quadra-centenaire de l'écaille du cyclope le plus connu de la mythologie... Scylla n'osait pas infliger cette révélation à Simbad tout de suite. Le jeune homme avait déjà ses inquiétudes et son marché à mener à son terme. Pouvait-on dire qu'il servait à présent deux dieux ? Peu probable. Mais avec les divinités, on ne savait jamais ce qu'il pouvait advenir.

"J'espère ne pas te sembler trop égoïste... Cette demande à Zeus sans prévenir, aller porter assistance à mon élève et la ramener, laisser le sanctuaire vide de présence. Même s'ils peuvent paraître impulsifs, j'ai tout de même soupesé les bienfaits de ces choix. Notre empire a besoin de force et de nombre. Avoir une Marina de plus avec nous et un général plus puissant ne peut qu'aller en ce sens. Ma confiance te viendra peu à peu si tu te montres digne de ton écaille. Je ne doute pas que Poséidon choisisse ses chevaliers très soigneusement. Toutefois, tant d'hommes ont disparu, tant d'entre eux sont tombés au combat que j'ai besoin, maintenant, de preuves."

Zeus était parti dans un nuage, et Simbad se tourna enfin vers moi, après plusieurs secondes d'immobilité quasi totale. Il répondit en détail à mes questions, et même à certaines pensées que j'avais eu et gardé pour moi seul, comme sa demande d'enseignement de la part du dieu des dieux. Décidément, avec un partage d'expérience, il serait possible de réveiller ses capacités mentales très rapidement.

Puis le Général de Scylla me briefa davantage sur Mégara. Je l'avais déjà observé, très succinctement. L'individu portait l'écaille de la sirène aquatique et elle était partie au Sanctuaire d'Athéna, où avait eu lieu l'explosion cosmique formidable quelques minutes plus tôt. Oui, quand bien même la jeune Mégara est une Capitaine, cela ne signifie pas qu'il faille la laisser se débrouiller toute seule. De plus, un tel dégagement de puissance divine ne laissait rien présager de bon. Le bon sens de Simbad était donc tout à fait opportun.

- Je ne jugerai pas l'audace dont tu as fait preuve face à Zeus en requérant son apprentissage. Cette demande est louable et tout à ton honneur. Je l'envie, mais jamais ne la condamnerais. Au contraire, je salue ce trait de caractère qui a toujours fait ta différence ! Mais laissons ce point de côté. Zeus vient de quitter le Sanctuaire Sous-marin et ne reviendra certainement pas dans les prochaines minutes.

Je laissais passer quelques secondes afin que mes mots aient le temps de s'imprégner : non, je ne lui en voulais pas et malgré mon statut d'ultime gardien de notre Seigneur, j'estimais Simbad de Scylla comme son premier représentant actuel.

- J'accepte de suivre ta dernière proposition : rendons-nous au Sanctuaire d'Athéna où a eu lieu le terrible choc de cosmos et recherchons notre alliée. Sache cependant que je ne combattrais qu'à la condition que le camp de Poséidon soit agressé. Les problèmes du Sanctuaire grec ne me concernent actuellement pas. Avant de partir, je te propose de rédiger un mot destiné à Zeus, et qu'un servant portera sur lui ici même. Dans le cas ou le roi de l'Olympe devait venir pendant notre absence, il apprendrait la noble raison de notre départ et se montrera indulgent quant à notre absence. Pars immédiatement, car Mégara est peut-être blessée. Je m'occupe de rédiger la missive avec ton accord, et te rejoindrais ensuite à la maison du Bélier. Au vue de ta puissante cosmo-énergie, je ne doute pas que comme moi, la téléportation ne t'es pas étrangère.

L'envie de révéler notre complicité d'âme me brûlait de plus en plus, pourtant je savais que ce n'était pas le moment. Chaque chose devait être faite en temps et en heure, quand la situation l'exigeait. Clairement ici, la priorité était donnée à la recherche et à la protection des quelques marinas égarés. Bon sang, c'était comme si le Sanctuaire Sous-marin sombrait dans l'oubli. Poséidon, maître... où êtes-vous donc ? Votre Peuple vous attend, vous espère et vous réclame !

- Es-tu prêt à déployer tes ailes afin de rejoindre la Grèce, Simbad de Scylla ?

Les mots du général du pilier central rassurèrent le jeune Élu d'Atlantide. A vouloir assumer son rang avec sérieux, il avait parfois des réactions excessives, comme lorsqu'il avait giflé Mégara par le passé... Ce détail ne lui fit que plus se reprocher d'avoir envoyé la sirène aquatique seule au Sanctuaire. Il n'était vraiment pas fait pour être le maître de qui que ce soit, mais plutôt pour apprendre au contraire et se nourrir de toutes les sources d'enseignements qu'il pouvait tirer.
Tout à coup, quelque chose fit siffle ses oreilles et il dévisagea Kartar, intrigué.

*Ce trait de caractère qui a toujours fait ta différence...*
*Tu l'as remarqué aussi. Il me parle comme s'il me connaissait déjà...*
*Un ancien ami ?*
*Pas à ma connaissance. Après l'invasion d'Eges j'avais perdu tous mes amis sans exception. J'ai identifié leurs corps, ils étaient morts.*
*Nous verrons plus tard ! Tu t'inquiétais pour la sirène d'abord !*

Quelque chose disait à l'enfant de Chalcidique que Scylla savait quelque chose et qu'elle n'était pas près de le dire tant que son hôte n'aurait pas fait ses preuves lui aussi, encore une fois. Une épreuve de sagesse et de volonté certainement. Combien de fois fallait-il surmonter les obstacles pour contenter dieux, prêtres, guerriers, civils, humains, spectres, fantômes ou esprits ? Ce monde était décidément bien compliqué. Se reprenant, Simbad hocha la tête vers son confrère et déploya grand ses ailes.

Il était évident de son point de vue qu'il ne contraindrait jamais le général de Polyphème à combattre pour un serment qu'il avait personnellement prêté, tout comme il n'avait jamais contraint ou ordonné à Mégara de le faire. Ils étaient libres et il respectait leur liberté tant qu'eux respecteraient la sienne. Sur ce point, nul besoin de tergiverser. Un simple signe suffit à garantir à Kartar qu'il avait été entendu. Et de toute façon, Simbad n'avait jamais parlé devant lui d'aider les Saints pieds et poings liés. Seulement de ramener Mégara. Si quelqu'un devait se mettre en péril ce serait lui, car il l'avait promis à Scareface. Pour la Terre et pour empêcher les Spectres de tout ravager sur leur passage.

"Je confie mon allégeance nouvelle à Zeus entre tes mains. Tu m'as l'air de manier suffisamment le verbe pour le reproduire par la plume. Quant à ce qui est de la téléportation, je ne la connais pas. Mais personne n'est capable de reconnaître les courants marins primordiaux et de les emprunter aussi vite que moi ! Vingt minutes suffiront à me sortir de l'eau et à voler jusqu'à destination ! Je t'attendrai sur le seuil de la première maison, ne tarde pas !"

Avec allure et souplesse, l'invocateur fléchit les genoux tout en élevant son cosmos. D'une rapidité impressionnante, il fit brûler l'onde lapis-lazuli autour de moi et décolla en un bond pour n'être plus qu'une traînée de lumière qui fendit la barrière de protection de Poséidon d'un éclat. Ne restait de lui dans la seconde d'après qu'un mince faisceau de lumière déjà mourant et quelques centaines de bulles dans les profondeurs abyssales, direction la mer Egée, direction la Grèce terrestre, direction la terre d'Athéna.

Simbad avait filé dans un trait de lumière qui fit naître un éclat de plaisir intense dans mes yeux de Général de Polyphème. Voilà quelqu'un qui avait du panache. Mon frère d'écaille avait promis d'arriver en vingt minutes, c'était jouable pour moi aussi. A la condition de trouver la bonne personne ainsi que les mots justes.

Et ça mit plus de temps que prévu. Je finis par trouver un vieil homme dévot, sage et aveugle de naissance. C'était donc la personne idéale pour une telle mission. Cette homme avait mené d'après son entourage une vie de bien et avait même servi Poséidon en temps que simple marina pendant un temps. En fouillant ses souvenirs avec son accord, je corroborais toutes ces déclarations et constatais également qu'un ancêtre lointain avait étudié avec moi quand j'avais 8 ans. La vie apportait parfois de drôle de surprise. Ce vieil homme s'appelait Miririan Kobat. Je lui promis donc de ne pas oublier son nom et de le transmettre au Général de Scylla. Il se sentit fier, investi d'une mission sacrée, et il fallait avouer que c'était bel et bien le cas. Après tout, combien de mortels pouvaient donc se targuer d'avoir rencontrer, même sans lui adresser la parole, même sans le voir, le roi de l'Olympe en personne ? Désormais, Miririan Kobat en ferait partie, peut-être.

Arrivé avec lui à l'entrée du domaine de la Sirène aquatique, je le briefais davantage sur sa mission afin de m'assurer de notre entente. "Miririan, je t'ai préparer de quoi attendre, de quoi t'allonger et t'asseoir, de quoi te rassasier et de quoi boire. Fais usage du repos tant que tu le souhaiteras, mais dès l'arrivée du dieu des dieux, le frère de notre Seigneur, Zeus, tu te devras de te relever immédiatement. Tu adopteras une posture humble, lui offrant les mêmes égards qu'à Poséidon lui-même. Si je t'ai choisi, c'est aussi parce que tu respectent les dieux, tous les dieux. Je te demande de garder cette missive à l'abri des regards des hommes. Tu tendras cette enveloppe en baissant la tête et attendra qu'il s'en saisisse. Ne parle que s'il t'adresse la parole. Sommes-nous donc d'accord Miririan Kobat, fils d'Atlante, habitant d'Eges, cité de Poséidon ?" Le vieil homme acquiesça, tendit la main et je lui remis l'enveloppe.

Tout ce blabla était important, non pas pour m'assurer de sa bonne compréhension, mais parce que l'homme a besoin de se savoir estimé. Miririan a donné sa vie à son Seigneur et a prié pour son retour. Je ne peux que lui offrir cet estime qu'il mérite tant. J'ajoutais "Miririan Makar, moi, Kartar, Général du pilier central de l'écaille de Polyphème, je te remercie. A bientôt, vieil homme !"

L'homme inclina profondément la tête. Je le devinais souriant et versant des larmes chaude. Quand il releva la tête, j'étais parti pour la Grèce.

J'échangeais quelques derniers mots avec le vieil homme lorsque je sentis le retour de Simbad. Sa vitesse était vertigineuse, compte tenu du fait qu'il ne se téléportait pas. Je regardais par la pensée, Simbad arrivait, traversait l'océan en utilisant les courants, et atterrit quelques secondes plus tard. Immédiatement il avança vers moi et répondit aux questions qui allaient quitter mes lèvres. Mégara était en sécurité, le Sanctuaire d'Athéna était protégé par la déesse en personne, incarnée dans le corps d'Orion du Bélier, le mercenaire ayant attaqué Eges.

Le Général de Scylla congédia le vieil homme et partit pour se reposer au côté d'un récif de corail. Il voulait connaître mon histoire. Elle était bien longue. J’acquiesçai et m'installai à son côté, espérant ne pas être surpris ainsi par un villageois égaré, comme si nous étions deux miséreux fatigués. Installés côte à côte, je laissai s'écouler quelques secondes, rassemblai mes idées, puis me lançai, les yeux fixant le vague, perdus dans le passé.

- Je suis né en 1322, ici même en Eges. A l'époque, l'éducation était... différente. J'ai grandi et ai développé mes talents dans de multiples domaines tels que l'astronomie, la télépathie, le calcul mental, l'histoire, mais aussi le combat, l'acrobatie... J'ai été un bon élève, disons. J'ai ensuite axé mon apprentissage sur les talents mentaux : télépathie, téléportation, expansion de conscience, techniques de rêve lucide et voyages temporels. A douze ans, le Seigneur Poséidon est apparu, s'incarnant dans le corps d'un enfant. J'ai alors décidé de lui offrir ma vie.

J'ai été écuyer, soldat, Marina sous-capitaine, capitaine, et enfin Général du pilier central, à 25 ans. Il m'a alors envoyé en mission à Jamir et dans d'autres contrée du monde, j'ai beaucoup voyagé sur la surface. Puis la Guerre sainte à débuté. Notre Sanctuaire se défendait loyalement et parvenait tant bien que mal à repousser les vagues ennemis, des spectres et des berserkers. Alors notre Seigneur nous a demandé de partir pour les Enfers, afin de régler cette guerre inutile

Accompagné du Général des Lyumnades, nous sommes parti. L'avenir de la guerre tenait sur nos épaules et le temps était compté, car privé de trois généraux, le Sanctuaire Sous-marin ne pouvait tenir que quelques jours, nous le savions. Nous avons avancé profondément, grâce aussi au sacrifice de quelques capitaines. Puis les trois juges d'Hadès sont apparus. Lyumnades a péri. Toi tu combattais la Wyverne et tu as accouru pour sauvé notre frère d'écaille. Tu l'as réduit à l'état de gravier, mais il avait eu le temps de vaincre notre frère. Wyverne en a profité, tu es tombé. j'ai poursuivi le combat mais en Enfers, aucun spectre n'est mortel, et les trois se sont relevés. J'ai d'abord été emprisonné, j'ai assisté à la défaite et à la destruction de notre cité. Poséidon a été enfermé, et on m'a laissé en vie, brisé. C'était une humiliation insoutenable. Je suis resté exactement 400 années dans les geôles, honteux. Suite aux récents évènements, et en vous observant, en te retrouvant aussi, j'ai compris que j'avais été lâche et je suis revenu. Dans les Enfers, le temps ne passe pas, voilà pourquoi je n'ai pas vieilli. Mais ce long séjour à grandement affaibli mon cosmos.

Voilà ma vie et mon fardeau, Simbad. J'ai servi, jai failli, j'ai fui ma honte, et aujourd'hui je l'accepte. L'armure m'a reconnu, et je la sens heureuse de me retrouver. C'est aussi mon cas. Je suis heureux de... retrouver mes frères d'écaille !

J'avais parlé, mes mots avaient coulé, et j'avais totalement raté mes erreurs. A plusieurs reprise, j'avais annoncé ouvertement avoir connu l'âme de Simbad. Mais ça, je ne le savais pas encore.

Il ne fallut guère longtemps au général pour répondre à l'invitation de Simbad. Assis côte à côte comme deux vaillants blessés de guerre, il entama un récit pour le moins déconcertant... Ses mots étaient ceux du repentir et il mentionnait une existence de quatre longs siècles ! De quoi le faire passer pour un fou aux yeux de n'importe quel être humain !
Et pourtant, au fur et à mesure du récit, l’Élu d'Atlantide ferma les yeux et imagina tout... Il VIT tout. Par bribes confuses et floues, comme de lointains souvenirs trop bien enfouis et à peine redécouverts.

Une fois le silence revenu, Simbad resta silencieux, les yeux écarquillés par ces affabulations trop bien ficelées à son goût. 400 ans, c'était impossible, impossible ! Il ouvrit les lèvres pour répondre mais son cosmos changea tout à coup pour plus sombre. Sa bouche se mut en un sourire à la fois démoniaque et narquois.

"Je savais bien que je connaissais ton âme et tes manières... Le temps des Croisades et de la Guerre de Cent ans sont révolus, mais tu gardes cet éclat particulier et ce tempérament bien trop imprévisible. Comme lorsque tu as réduit ce pauvre clerc en petits dés par mégarde alors que ta mission était de le conduire à l'archevêque de ton état. Un bien maladroit compagnon. Aux poings efficaces cela dit. Lorsque Simbad concevait les plans de bataille, il n'y avait pas meilleur que le général des Lyumnades pour battre dans le tas désigné sans réfléchir et toi pour rattraper les fuyards qu'il avait laissés s'enfuir. J'intervenais alors pour vous recentrer sur votre mission et rectifier les pots cassés autant que possible. Cela fut pis encore le jour où tu as rencontré cette femme... Complètement hypnotisé. Mais passons. Se réfugier 400 ans dans les Enfers, comme tu le dis si bien, est loin d'être courageux pour l'élite de la garde de Poséidon. Il va falloir te rattraper mon cher."

Dans un ricanement, l'esprit de la nymphe laissa son hôte reprendre le contrôle et il regarda Kartar avec de grands yeux un peu égarés.

"Je crois avoir une vision de nous trois devant l'imposante stature de Poséidon... Il était furieux à cause des dégâts que nous avions provoqué malgré notre réussite... Et le général des Lyumnades n'a pas trouvé mieux que de dire qu'il allait réparer. Ce à quoi Poséidon a répondu qu'il était hors de question qu'il fasse encore pire. Et nous avons éclaté de rire..."

Les iris rouge braise se baissèrent vers le sol et il repassa dans sa tête ce qu'il venait de dire, il essaya d'en retrouver la consistance. Scylla semblait savoir, Kartar semblait savoir... Que se passait-il au juste ? Il passa une main sur son front sans y déceler de fièvre ou de symptôme particulier. Il avait juste cette impression tenace.

"Maintenant que tu en parles, j'ai l'impression de posséder des souvenirs qui ne m'appartiennent pas, si lointains et sans rapport avec ma personne que je ne peux pas les avoir vécus même si je peux me convaincre du contraire. Pourquoi ? Comment peux-tu savoir ces choses que moi-même j'ignore ? Je ne suis jamais allé en Enfer mais je m'y vois ! Explique-moi... Suis-je en train de rêver ? Me suis-je endormi sans m'en rendre compte ?"

Le ton avait changer. C'était soudain Scylla qui m'avait adressé la parole, mettant en relief certains épisodes bien peu glorieux de mes premières années en tant que Capitaine d'Anthée. J'étais alors bien maladroit. L'épisode de la jeune femme remonter à notre première mission ensemble, et le reste...

- Scylla, tu tronques le passé par amour du sarcasme et des gênes que tu te plais à provoquer. Mais cette période est révolu, de même que mon passé aux Enfers. J'ai vécu ma honte et l'ai surpassé. Seul compte le pardon de Poséidon pour achevé le repentir que je cherche. Et pour ta gouverne, je te rappelle que ces fameux plans, tu ne faisais que les vérifier et qu'on partaient à deux pour rattraper les chevaliers dispersés par Lyumnades !

J'avais dit tout ça avec le sourire, car le passé était le passé, et que je connaissais Scylla pour l'avoir déjà côtoyé en Eges. La nymphe était ainsi, parfois virulente, et précise, comme une aiguille chauffée à blanc qu'on enfoncerait sous les ongles. Pour la supporter, parfois, il fallait encaisser !

Puis Simbad retrouva ses sens et manifestement, Scylla avait apporté un soutien à son éveille aux sciences de l'âme.

- Ce que tu revois, c'est notre victoire face aux berserkers d'Arès, alors qu'aucun pilier n'avait été détruit. Mais tout le reste était un véritable champ de ruines. Nous étions alors trois capitaines, jeunes et formidablement puissants. Tu étais le plus expérimenté et Scylla habitait déjà ton corps de l'époque. Oui, ton "toi" de l'époque été déjà Général de Scylla, et entre temps, ton âme a un peu vadrouillé, mais ça, ce sera à toi de le découvrir si tu le souhaites un jour. Ton deuxième souvenir se situe quelques mois plus tard seulement. Les Enfers...

Il semble que tu t'éveilles aux sciences de l'âme. Un jour, avec ta permission, nous pourrions voyager en pensée dans notre passé et revoir certains évènements de nos vies ensemble, frère d'écaille ! En attendant, sache que l'éveil est à sens unique. Dès à présent, tu vas t'éveiller progressivement, revoir peut-être un flash, un souvenir, un nom, une phrase. Tu te souviendras peut-être de ma façon de finir mes phrases ou de certains évènement de mon passé, ou du tien, plus lointain. C'est étrange au début, mais c'est normal. Alors, frère d'écailles, tu te souviens de moi ? On rigolait bien... Haha !

Un rire... Depuis combien d'années ça ne m'était pas arrivé ? Suis-je... content ? Je crois bien que oui. Simbad commence à se souvenir. Retrouverais-je bientôt mon ami d'alors ? Certes il serait différent, son âme a vieilli elle aussi, et son expérience actuelle sur Terre donne forme à son caractère, mais je revois toujours certaines choses. Une manière de regarder, un éclat sauvage caché tout au fond du gouffre de ses yeux quand Scylla se montre... son port de tête, aussi. Avec lui, nous pourrons rendre sa puissance à l'Empire des Mers. Ensemble, nous y arriverons, j'en ai la conviction. Ensemble !

Et que faisons-nous maintenant... Allons-nous nous rendre en Asgard pour demander des comptes, moi qui n'était même pas présent lors de cette attaque des mercenaires, incluant le corps qui abrite actuellement Athéna ? Je m'interroge.

Sciences de l'âme, visions d'une vie passée, vie ensemble, Scylla qui parlait comme à une connaissance... Là, tout commençait à aller un peu vite pour le général qui se massa les tempes en respirant calmement.

"D'accord... Tu es en train de me dire que j'ai vécu il y a 400 ans et que tu me connaissais à l'époque, que j'étais déjà un général de Scylla et cette même Scylla opine comme si de rien n'était. Nous avions vaincu Hadès et Arès et aujourd'hui ce sont eux qui nous exterminent. J'ai porté l'écaille du Dauphin avant d'obtenir celle que je porte actuellement et je ne me souviens... de rien. Pas précisément du moins. Suis-je le seul à trouver tout cela absurde et complètement tiré par les cheveux ?! Et même si c'était vrai, comment peux-tu expliquer que je sois aussi jeune que tu l'aies sans avoir passé ma vie en Enfer ! Car enfin je suis sûr de ne pas y être resté 400 ans, je suis mort récemment pour preuve !"

Un soupir d'agacement franchit ses lèvres et il se passa une main sur les yeux. Se calmer. Il donnait beaucoup dans le surnaturel depuis qu'il était soldat chez Poséidon mais là on atteignait une certaine apogée. Quoiqu'il en soit, ce n'était pas cela qui les ferait avancer sur le chemin du renforcement de l'Empire. Il se surprit à penser un instant à Atlantis. Reprendre possession des lieux était une mission dévolue à Davy Jones et Yoruchi, mais on n'avait plus eu de nouvelles d'eux depuis leur départ. Sauf que Simbad était coincé à Eges en attendant le retour de Zeus qui se ferait sûrement avec fracas, encore plus s'il était absent.

"Changeons de sujet si tu veux bien. Faute de soldats à entraîner, il faut absolument rester actifs et œuvrer pour renforcer notre force de frappe, notre alliance si elle n'a pas été oubliée, et notre image, de façon à éviter que les Spectres et les Berserkers souhaitent étendre leur domination sur nous. A ce propos, cela me fait penser qu'une information grave m'a été délivrée au Sanctuaire : Arès serait parvenu à ses fins et aurait libéré son armée des sceaux sacrés qui l'emprisonnaient. Il faut donc s'attendre à rencontrer de nouveaux ennemis. Personnellement je voulais aussi me rendre sur les côtes européennes proches voir quels dégâts ont été causés par la chute du pilier de l'Atlantique nord. J'ai réparé le pilier suffisamment vite pour qu'ils soient minimisés mais je voudrais m'assurer de la santé des civils. Le Nouveau continent ne compte pas trop d'habitants encore, alors je doute qu'il y ait encore quelque chose à sauver s'ils ne sont pas morts... Cependant, je dois attendre le retour de Zeus. Tu es donc libre de tes mouvements contrairement à moi. A quoi souhaites-tu donner la priorité ?"

Cela devait faire beaucoup d'informations à assimiler pour lui aussi... Simbad n'avait pas d'autres choix que de tout lui dire sur le tas, au fur et à mesure, et d'espérer qu'il s'adapte au carrosse en marche. La bonne gestion des lieux, actuellement, lui revenait intégralement puisque Gastone n'était pas revenu, ni Yoruichi, ni aucun autre général à part Liam et Kartar donc la récente réincarnation en chair et en os ne permettait sans doute pas une omniscience de leurs problèmes... Enfin, là était la déduction rapide que faisait Simbad de tous les événements qui avaient eu lieu.

Aïe, le bonhomme n'avait rien compris. Il va falloir lui refaire un topo afin qu'il comprenne bien qui je suis, mais aussi qui il est, et ceci passe entièrement par la compréhension de ce qu'est une âme, et la réincarnation. Alors voilà, il va falloir que j'y aille lentement...

- Alors, laisse-moi te donner quelques détails. Au niveau historique, sache que nous avons su repousser les berserkers, qui ne ressuscitaient pas. Mais en descendant aux Enfers, Lyumnades et toi êtes tombés, et j'ai vaincu les deux derniers. L'un des deux était agonisant grâce à toi. Enfin, "toi", je veux dire l'être qui hébergeait ton âme.
Imagine que tu as une part de toi qui est immortelle. C'est l'âme. Celle-ci vit depuis toujours, depuis le Big Bang. Depuis qu'elle a été poussière de Big Bang, elle a évolué, c'est "l'élévation de conscience". Elle est passée du niveau minéral au niveau animal, puis humain, en résumé. De manière générale, une âme évolue toujours ainsi, mais il arrive que lors de certaines réincarnation - la réincarnation c'est quand une âme revient sur terre en tant que forme de vie animale ou végétale - l'âme choisisse de se réincarner dans un animal par exemple. Un sorte de retour aux sources. Ca peut se voir chez certaines personnes. Je te montrerai. Toi, tu glisses dans les eaux... (Je ponctue ma dernières phrase d'un clin d'oeil.)
Tu sembles perplexe, pourtant il n'y a rien de neuf ici. L'âme, les réincarnations ont toujours existé. Tu as été animal à ta dernière vie. Et tu fus homme avant, et femme aussi, et ainsi de suite. Si tu es dans un nouveau corps, jeune, c'est parce que ton âme est arrivée dans ce corps, comme lorsqu'un dieu s'incarne dans un nouveau-né. La naissance, l'incursion d'une âme dans un corps, c'est aussi ça, notre part de divinité.

Je le laissais digérer un peu. Ça risquait de prendre du temps. Un temps que j'utilisais pour réfléchir à ses actes futurs. Enfin, je déclarais l'avancement de ma pensée. Au final, je ne pourrais décider qu'une fois que j'aurai obtenu une réponse.

- Arès... Si ses berserkers viennent jusqu'ici, nous serons taillés en pièces. Ceci doit être évité mais si nous prenons les devant, nous ne ferons qu'attirer leur regard alors que nous sommes déjà en sous-effectif. Je pense qu'il vaut mieux les éviter pour le moment. Vérifier et rappeler notre alliance avec les ases serait juste, mais pour conserver une image forte, celle d'un peuple fier, nous ne devons pas aller les voir. Ils ont fauté, ils doivent venir. Enfin... cela dépend. Est-ce qu'un Marina s'est rendu en Asgard pour leur porter main forte, ou bien nous avons été avertis trop tard ? Sache que l'état de l'Europe ne fait pas partie de mes priorités, du tout. La France, l'Espagne, l'Irlande... ils peuvent attendre et espérer plutôt l'aide de la déesse légitime à défendre la Terre, Athéna. Pour ma part, je préfèrerais ramasser les gravats de ma propre cité.
Je le laissais digérer. A l'écoute.

"Notre part de divinité"... Voilà des mots qui résonnaient dans l'esprit du Marina. Il était en accord avec son dieu, en accord avec sa foi, et Poséidon le lui rendait en lui prêtant parfois une infime portion sa puissance, qu'il démultipliait grâce à sa volonté et son courage.
Il traça un petit schéma dans le sol sableux près de lui afin de s'imaginer concrètement le principe de réincarnation pendant qu'ils passaient à autre chose. En clair : il existait depuis la nuit des temps mais avait emprunté des corps, des noms, des physiques, des caractères différents... Il sourit en s'imaginant s'appeler Hassan, vivre en Australie au temps de l'Antiquité européenne, brun et très noir de peau à cause du soleil, à pourchasser les kangourous.

"Notre cité n'est pas en ruines ! Regarde les huit piliers qui se dressent fièrement à l'horizon ! J'ai réparé ce qu'il y avait à réparer et les traces du passage d'Arès sont déjà effacées. N'oublie pas que nous sommes les gardiens des océans du monde ! Si des côtes ont été ravagées c'est par notre faute. Athéna n'a à gérer qu'un quart de la Terre, mais un quart rempli de millions d'hommes comme toi et moi, et parmi eux se trouvent les héritiers de cet Empire, nos héritiers ! Choisis par Poséidon dans la masse grouillante que l'on appelle l'espèce humaine. Et même si tu dis vrai et que leur sort ne me regarde pas, je ne veux pas savoir que j'ai provoqué la mort de milliers d'innocents à cause de ma faible puissance sans rien avoir fait pour aider les survivants à se reconstruire. Nous n'avons été épaulés par personne depuis quelques temps et regarde où nous en sommes ! Vacillants contre chaque ennemi qui veut s'en prendre à nous. Songe que tu es l'un de ces humains sans pouvoirs abandonné dans une rue d'un village submergé par un raz-de-marée. N'aimerais-tu pas que l'on vienne à ton secours ? J'ai déjà subi la fureur des flots dans cette vie et je sais quel désespoir enfoui quelque part dans le cœur des gens peut ressurgir sans crier gare."

A mesure qu'il parlait, le visage de Simbad se refermait, sa voix devenait grave, son regard amer. La profonde blessure de la solitude et de la perte était encore là, pas tout à fait cicatrisée, pas tout à fait ouverte. Il finit par rester un moment silencieux.

"Pour répondre à ta question, je n'ai su ce qui était arrivé aux Ases que lorsque les cavaliers d'Arès ont atteint nos piliers. Ils disaient avoir détruit la forêt de Delta et été déçus par l'absence de résistance des guerriers divins. J'en conclus donc qu'il y avait encore des guerriers divins susceptibles d'honorer leur parole engagée par notre alliance et de venir nous prêter main forte. Seulement, aucun n'est venu. Thoer est parti affronter Apollon en Olympe. Ce sont des Saints qui sont venus. Un Saint. Scareface du Cancer fut le seul à essayer d'empêcher Arès de passer sur nos marches, le seul. Et c'est pour cela que j'avais promis d'aider le Sanctuaire en retour. Mais cela n'a plus lieu d'être. Aucun Asgardien n'est venu, ni avant, ni pendant, ni après les événements. Voilà pourquoi je considère nécessaire de vérifier qu'une alliance a bien été conclue et prise en compte."

Je m'étais tu. Simbad était jeune, mais il en avait dans le ventre, et son bon sens me frappait profondément, moi qui croyais pouvoir me targuer d'avoir 400 années d'expérience de la vie. Finalement, je n'ai pas 400 d'expérience, je n'ai que près de quatre siècle de stagnation. Là est toute la nuance. Peut-être que ce serait bien d'aller voir les peuples des terres émergés ? Je suis là de mes pensées, enfermé dans un silence d'apparence buté, lorsque je ressens un cosmos arriver, puis un autre, plus lointain mais bien plus puissant. Je le reconnais déjà celui-là. La première marina nous croise par hasard et... "Monsieur" ?? Je manque m'étouffer avec ma propre salive et me redresse, observe son armure et y reconnais la Sirène. Je décide de m'autoriser un grand accès de zèle, rien que pour réagir à ce "monsieur" bien protocolaire.

- Kartar, Général du Pilier central de l'écaille de Polyphème. Je suis rassuré de te voir saine et sauve, Mégara, de la Sirène Aquatique. Oublie les monsieur, maintenant que les présentations sont faites. Kartar suffira.

Je m'apprête à m’enquérir des nouvelles auprès de Mégara lorsque le second cosmos arrive. Gastone, âme ami il y a 400 ans... aujourd'hui encore, ton âme s'est décidée à endosser l'armure du Général des Lyumnades...

Je le laisse parler, sortir ce qu'il a en lui. On ne peut soigner quelqu'un d'un venin qu'il retient, alors j'attends. Et quand vient mon tour de parler, je lui offre les paroles qui, selon moi, pourraient l'aider. Car je l'ai suivi depuis les enfers, par la pensée. Et je sais...

Je m'avance d'un pas et nous sommes très proches l'un de l'autre. Lui un genou à terre, moi debout, fort de mes deux mètres passés. Pourtant un instant plus tard, cette différence n'existe plus. Moi aussi, je porte un genou au sol.

- Merci Gastone, Général du Pilier de l'Antarctique, de l'écaille des Lyumnades. (je me relève et l'invite à faire de même. Gastone est ton nom dans cette vie. Mais il y a 400 ans, nos âmes se connaissaient déjà... Nous nous regardons dans les yeux. Je l'ai suivi à plusieurs reprises, je sais sa souffrance et la motivation de ces actes.) Ce que tu as sacrifié pour ton Dieu et ton Peuple n'a pas de prix, et bien que je n'endosse à nouveau l'écaille de Polyphème que depuis quelques heures, sache que tu n'as pas mon pardon. Tu ne l'as pas car tu ne le mérites pas. Le pardon ne s'offre qu'à une personne qui a agit de manière répréhensible. Hors, derrière tous tes actes de carnage, je t'ai vu et je t'ai entendu parler de notre Dieu. Je ne peux influer sur la décision des autres, cependant, moi Kartar Hatt'Mhêm, je te remercie du plus profond du coeur, d'avoir combattu au prix de nombreux sacrifices pour protéger l'enveloppe de Poséidon.

Enfin, je me retourne vers Simbad et nous nous plaçons tous à égale distance, formant un cercle à nous quatre.

Un silence bref s'instaura entre les deux généraux adossés au mur de corail. Simbad laissa Polyphème à sa réflexion et profita du silence pour fermer les yeux un instant. Silence rapidement troublé par l'arrivée d'un cosmos nouveau, qu'il n'attendait plus vraiment. Il se releva et sourit en voyant Mégara qui commençait à courir pour s'échauffer et s'entraîner. Un exercice qu'il n'avait plus pratiqué depuis quelques temps, faute d'avoir eu le temps libre nécessaire. Il laissa à Kartar le loisir de se présenter puis ressentit une autre apparition avant même de le voir venir véritablement, et son esprit rata quelques secondes de ce qu'il se passait.
Là, ruisselant des flots sacrés qui entouraient Eges, son maître s'approcha, se prosterna devant eux en demandant pardon pour une faute qu'il avait commise. Dans la foulée, Kartar se releva et alla s'agenouiller à la hauteur du général des Lyumnades, proférant des paroles qui laissaient supposer qu'il était au courant de toute l'histoire. Mais quelle histoire ?

Le jeune général, dont la puissance désormais taquinait d'égal à égal celle de son maître, s'approcha à son tour. Il resta debout et toisa les deux hommes d'un regard perdu à nouveau.

"Maître... Non, peut-être ne dois-je plus vous appeler ainsi, j'ai depuis longtemps pris mon envol... Gastone, frère d'écaille, explique-toi. Qu'as-tu fait de si grave que tu ressentes le besoin de plier le genou devant tes propres compagnons ? Qu'as-tu fait pour qu'Arès t'oblige à... Pour Arès ?"

Le jeune homme refusa de croire ce que venait de lui souffler son esprit et s'agenouilla à son tour pour prendre Gastone par les épaules fermement, une certaine anxiété dans les yeux.

"Tu n'as pas collaboré avec lui tout de même ! Pourquoi ! Pourquoi ! Que sais-tu sur l'âme de Poséidon qui ait pu te contraindre à agir de la sorte ?!"

L'image du cercueil étrange, disparu dans le temple de Poséidon, revint s'imposer à lui. Il avait cru tout d'abord qu'il s'agissait de son enveloppe charnelle, mais peut-être au contraire contenait-il l'âme du dieu, libérée d'une quelconque manière de l'urne sacrée d'Athéna ou d'un autre qui l'avait retenue des siècles durant selon la mythologie. Mais quelque chose ne collait pas. Si l'âme de Poséidon avait été libérée, Gastone ne pouvait pas avoir été aux ordres d'Arès qui au contraire cherchait leur destruction... C'était illogique, incompréhensible... A moins qu'Arès n'ait désiré quelque chose qui se trouvait scellé avec l'âme de Poséidon et peut-être également celles d'Hadès, d'Odin, voire d'Athéna. Cette dernière ne pouvait s'incarner alors qu'une fois les sceaux levés et c'est ainsi qu'elle avait pu faire face à Thanatos au Sanctuaire. Simbad dévisagea son homologue en tenant compte de cette hypothèse et de son air coupable, de son attitude loin du général fier et vindicatif qu'il connaissait.
Alors, même si cela contredisait l'image autoritaire et stricte des généraux, le jeune homme serra Gastone dans ses bras avec force.

"Quoi que tu aies pu faire, je n'ai jamais entendu mentionner ton nom dans les rangs d'Arès ! Et je ne suis pas près de renier mon ancien maître d'armes ! Tu es pardonné d'avance ! Mais expliquez-moi tous les deux afin que je puisse assembler les morceaux du puzzle. Que s'est-il passé avec Arès ? Comment a-t-il pu enrôler notre meilleur élément dans son assemblée temporaire ?"