Renaissance des disparus

On dit que, pendant son voyage de la vie vers la mort, des éléments de notre vie antérieure défilent à toute vitesse. On peut, tout de même,  en percevoir, quelques fragments cci et là. Ça n’avait jamais été mon cas. On dit aussi que, lors de notre voyage de la mort vers la vie, le même phénomène se produit. Avant, ça n’avait jamais été le cas. Pourtant…

Tatsou… Sais-tu ce qu’est l’ombre et la lumière ? Enfin, je demande cela mais je me doute bien que ces deux notions doivent t’être inconnues n’est-ce pas ? Cela n’est pas bien grave. Te souviens-tu de notre voyage dans les Grandes Montagnes Blanches où nous avons croisé le chemin de Dieng Pahat  ? L’homme à la tunique sans cheveux ? Te souviens-tu lorsqu’il te racontait ses histoires sur Bouddha et sur ses croyances ? Ne t’avait-il point évoqué la notion de lumière en tant que forme spirituelle de sagesse ? Ne t’avait-il pas parlé  de quelques préceptes qu‘il jugeait absolu ?

Je me vois tout jeune en le regardant avec mon air ahuri alors que je voyais Cronos poser son regard sur moi: des yeux d’une grande tendresse avec une patience que je lui avais toujours connu.

Voici le premier précepte: « Pānātipātā Veramaṇi Sikkhāpadaṃ Samādhiyāmi. » Cela signifie: « Je m’abstiendrai de nuire à la vie d’autrui. » Donc, tu ne tueras pas, tu ne blesseras pas d’êtres, quels qu’ils soient. Même pas les Moustiques qui te piquent. Le deuxième précepte est le suivant: « Adinnādānā Veramaṇi Sikkhāpadaṃ Samādhiyāmi. » Cela veut dire: « Je m’abstiendrais de voler. » Ainsi, tu ne t’approprieras pas la propriété d’autrui, tu ne t’emparerai pas de ce qui ne t’a pas été donné. Tu respecteras ce que tu dois en t’acquittant toujours de tes dettes. Le troisième précepte n’a que peu d’importance te concernant. Il n’est guère pour important pour toi. Passons donc au quatrième précepte: « Musāvādā Veramaṇi Sikkhāpadaṃ Samādhiyāmi. » Cela s’exprime par: « Je m’abstiendrai de paroles mensongères.» Par conséquent, tu ne mentiras pas, tu seras honnête en toutes situations.  Quoiqu’on en pense et quelle qu’en soit l’intention, un mensonge aura toujours un résultat négatif.  Tu éviteras même de médire, de jurer et de parler inutilement.  Je pourrais te rappeler les autres préceptes mais ils te seront inutiles. Il existe un dernier précepte: « Mettā Sahagatena Cetasā Sabbapāna Bhūtesu Pharitvā Vihāraṃ Samādhiyāmi. » Rappelles toi bien de sa signification mon jeune disciple: « Je m’efforcerai de rayonner un état d’esprit empli de bienveillance, de manière égale, à l’égard de tous les êtres.»

À cette époque, je me voyais le regarder avec de grands yeux, lui démontrant bien que je n’avais rien compris du tout. Quant à lui, tel un père, il souriait calmement et me caressait rapidement les cheveux. Il me disait que ce n’était pas grave  et il avait repris son chemin comme si de rien n’était.  Au bout du compte, à ce moment là, il est vrai que je n’avais absolument rien saisi de ces paroles. Mais, elles étaient restés gravés en moi. Comme dans un tiroir ouvert qui s’était fermé à clé.  Plus tard, au travers de notre chemin, après que nous ayons parlé de tout et de rien, il m’avait expliqué la notion de l’Ombre.

L’Ombre conduit aux Ténèbres qui s’oriente vers la Mort. Les Principes de l’Ombre sont régis par des Entités Spirituelles. La première  « Khaos ». Dans ce monde, c’est la véritable base de la création.  Les idées , d’aujourd’hui, sont prioritaires par rapport à ceux de demain. Il n’y a pas d’immobilisme car tout doit évoluer. L'existence elle-même est futile et sans intérêt ; tout ce qui existe et existera disparaîtra éventuellement. Il est inutile de garder une quelconque attache, car elle n'est que temporaire et précaire. La Fin est toujours plus proche que le commencement. La deuxième « Khom ».Par le cycle des morts, tu es l'ultime abysse des trépassés. Tu es le dévoreur, le transformateur. Le cycle de la mort est trop lent: tu te dois de l'accélérer en m'offrant les âmes de ceux qui ignorent la vérité. Offre donc ce qui est pur afin qu'à jamais il devienne corruption en mon être, car les corrompus obéissent à ceux qui me vénèrent. La Troisième se nomme « Alkhoorn ». Par le principe de l’ Élite : tu seras droit et fier car tu es mon élu. Ta valeur est supérieure à n'importe quel mortel tout comme je suis supérieur à tous les immortels. Agenouille toi uniquement face à moi et moi seul, les autres n'étant que des pantins et des moutons qui doivent être guidés d'une main ferme. Sois un tyran, prend le contrôle. Sur le principe de la terreur, l'épée des tyrans: le pouvoir s’obtient par la peur et le désespoir. Un ennemi sans espoir, brisé et dénué de volonté n'est qu'une marionnette qui attend tes ordres. Inspire la peur en tous, contrôle les, obtiens la gloire qui est tienne, démontre ta supériorité et prouve moi ta valeur. Sur le principe du Manipulateur: tu es magnifique, sache le prouver à tous. Tu démontreras toujours le visage de l'élite et de la suprématie, tu seras le plus grand et le plus fourbe à tes heures. Garde toujours deux visages; le calme, le devoir et la rationalité du Chevalier noir et la langue fourchue, manipulatrice et mielleuse du Serpent. Tisse une toile de mensonges, une double-vie, mais lorsque ton heure surviendra, sois brutal et sans merci. La Quatrième se nomme «  Ra’lmaha ». Par le principe de la trahison de la nuit: telle la nuit froide tu seras. Enveloppe toi dans le pouvoir de l'obscurité, des ténèbres et de la noirceur. Embrasse cette froideur et utilise la pour commettre tes actes. Frappe sans que personne ne le sache, sois une ombre aussi silencieuse que la plus douce des brises nocturnes. Sache quand frapper, quand discuter et quand maintenir le voile du mystère afin de maximiser ton pouvoir. Par le principe du pouvoir par le mystère : tisse ta propre toile d'intrigues et de mystères, fais en sorte que tes ennemis ne sachent jamais comment réagir face à toi. Entretiens cet aura de secret et utilise tes connaissances supérieures pour contrôler ton environnement. Tes connaissances sont ton pouvoir, chéris les égoïstement, ne dévoile que ce qui te sera profitable plus tard. Ne laisse jamais les autres prendre ton pouvoir ou même s'en approcher, encore moins les faibles qui cherchent à s'accaparer ma Toile. La Cinquième et dernière se nomme « Anarkéios. ».  Par le principe de la puissance par la Force: entretiens ton potentiel destructeur, sois toujours le plus fort et le plus dominant. Laisse aller ta rage et elle nourrira ton corps, le rendant prêt au combat. Sois mon chien de guerre et fait trembler les vastes terres. Par le Principe de la Violence fait le droit : la parole, les conversations et la diplomatie ne servent à rien. Elles sont pour les mous et les faibles. Tordre un bras ou casser une mâchoire est toujours plus rapide et direct. L'intimidation règlera tout tes problèmes. Par le Principe du  Seigneur de la destruction : l'anarchie doit régner, il faut détruire les alliances, les empires et l'Ordre, fais que la terre brûle sous mon sombre regard. L'anarchie permet l'entretien de la force et de la violence, d'une toute sainte désolation. Tant que l'anarchie règne je suis le maître, sois le messager de mon terrible présage; que le monde tremble!

Je l’avais écouté: cela se voyait bien à ma tête que je ne comprenais absolument rien du tout à ce qu’il me disait. Pourtant, c’était enregistré dans ma mémoire. Comme un tiroir ouvert qui s’était refermé l’instant d’après. Et, encore une fois, il y avait le sourire compréhensif et amical de mon maître. Il me paraissait si proche et pourtant si lointain. Comme intouchable.  Les années passèrent et plus ja grandis, plus je mûris, plus j’avais l’impression d’&voir compris sans comprendre. Même maintenant, c’est à la fois flou et distinct. Alors que je revis, que je ressuscite, que j’ai triomphé encore une fois de la mot, je prend enfin en considération que les tiroirs fermés doivent s’ouvrir. C’est peut être cela qui me pèse. Si ma mémoire me fait défaut, il est grand temps que j’affronte ces souvenirs disparus pour les faire renaître… Voilà donc la dernière étape que je dois franchir. Un voyage empli de mystère et de découverte sur moi-même m’attend: ce que je vais y trouver ne me plaira pas mais si cela peut me permettre de devenir plus fort, alors il n’y a pas à hésiter une seule seconde. Je suis un homme de défi, je suis un guerrier, je suis un combattant et j’affronte le monde, l’univers, les vérités et les mensonges avec opiniâtreté et volonté sans jamais abandonner !  

Encore une fois, je m’en étais bien sorti. J’avoue que j’avais assez de cervelle quand je le voulais sauf que je souhaitais que ça ne se montre pas trop tout de suite. En tout cas, me revoilà sorti des Enfers avec la ferme intention de récupérer tranquillement pour la suite des évènements. Bien que cela m’ennuie profondément, il serait bien plus sage de ne pas aller combattre tout de suite. D’ailleurs, si les Patrons du Camp n’avaient guère besoin de moi, j’aimerais bien me rendre dans quelques coins secrets que je connais pour perfectionner l’art de l’élément lumière. Aussi bien pour confirmer ce sentiment d’une toute nouvelle spiritualité que pour dominer l’art de la lumière dans toute sa splendeur, si je pouvais projeter des clones de moi en me servant de l’ombre, il serait intéressant de voir ce que je pourrais faire avec ces mêmes clones en appliquant la Lumière de ce monde. Des idées comme ça, j’en avais des tonnes qui me passaient par la cervelle. Ayant débloqué tout le savoir que Cronos m’avait enseigné, par je ne sais quel prodige d’ailleurs, je tenais à ce que cela ne se sache pas du tout. Surtout, il me fallait parcourir ce monde solitairement pour me remettre en question.

Quoiqu’on en dise ou ce qu’en pense les autres, mon comportement, en face de Ladon, avait été purement solitaire. À force de défier ce formidable adversaire, au moins, il était fort possible que Deimos et la Chipie s’en soit sorti. Après, avait-il réussi leurs quêtes ? Ce n’était pas mon problème car j’avais fait ma part de travail en prenant la majeure partie des attaques sur moi. Si j’avais été plus puissant, j’aurais pu résister un peu plus longtemps. Au final, un tour de plus ou de moins aux Enfers ne me dérangeaient pas du tout. Il était temps de me rendre vers mon domaine. On verra bien ce qui se passera : me justifierais-je ? Je n’en sais strictement encore rien. Peut-être que oui ou peut-être que non. Mais, ce qui est sûr, c’est que je compte bien me reposer un court instant, voir ce qu’on veut de moi et après basta, je m’en vais si on a pas besoin de mes services.