La coupe des Vainqueurs

=> Entrée des Enfers

Déjà, la Guerre semblait s’effacer au profit d’une nouvelle partie d’échec. Une rencontre entre deux divinités, autour d’un verre, voilà quelque chose qui ne m’avait pas encore été donné de voir ! Malgré ma mauvaise humeur -je ne laissais d’ailleurs rien paraitre sur mon visage, en ma qualité de parfaite Ambassadrice-échanson-magicienne-pirate… et le titre pouvait encore s’allonger indéfiniment- la curiosité prenait le pas sur le reste. Ainsi quittai-je les portes des Enfers pour traverser un portail et arriver bien plus loin.

Guidés par notre hôte, je notai que ce dernier paraissait en de bien meilleures dispositions, une très bonne chose. Mais, était-ce étonnant, pour nous, les vainqueurs ? Je me retins de soupirer. Pour ma part, n’ayant que très peu d’informations sur ce jeu d’alliance, d’imbroglio politique, je préférai m’abstenir du moindre commentaire. C’était par ailleurs, le rôle de l’échanson !

Je m’installai non loin de Poséidon. Je ne ferai pas l’erreur d’afficher notre proximité. Tenir mon rang, je pouvais le faire, mais Endymion savait à quoi s’attendre, à notre retour ! Il allait devoir payer cet « affront » à notre retour !
Des serviteurs arrivèrent finalement, les bras chargés de plateaux. Aussitôt, je me redressai pour m’occuper personnellement d’Endymion. Celui-ci m’accorda un bref baise-main qui eut au moins le mérite de me faire sourire.

Toi, tu ne manques rien pour attendre ! Lui dis-je par biais télépathique, affichant toujours ce sourire doux et aimable.

« Si vous me le permettez, Messeigneurs. »

Je les servis tous les deux avec déférence et grâce. Je m’effaçai alors, les oreilles grandes ouvertes. Voilà un autre pan de la politique qui me plaisait bien ! J’appris, de la bouche de mon Dieu, des informations intéressantes et qui m’avaient manqué lors de mes échanges diplomatiques. Je m’occuperai de leurs verres pour délier les langues.

Je voyais se dérouler le fil de la conversation plus vite que le travail de cette chère Pénélope en attendant Ulysse. Si je n’avais pas été familière de ces jeux-là, nul doute que je ne serai retrouvée noyée, plantée comme un piquet, inutile et sans attraits. Or, je compris très rapidement la situation et ce qu’elle impliquait.
Ce fut aussi avec une certaine surprise que j’accueillais des informations capitales : des alliances, des situations précaires, la position d’Athéna. Sans parler de l’avenir. Un conseil des Dieux ? Je me glissai une nouvelle fois dans l’esprit d’Endymion :

« Un procès divin ? J’ose espérer que tu comptes pas me refaire le coup de l’échanson ? » Je profitai d’un moment pour remplir sa coupe pour appuyer mes propos d’un regard appuyé. « Dans tous les cas, ton discours est juste. Notre position est très claire et nous devons nous montrer prudents. Surtout avec Asgard. Sache pour autant que la situation n’est peut-être pas aussi désespérée, surtout quand tu as dans ton camp, des diplomates hors pair ! »

Aedan et moi avions démontré toute la puissance du verbe face à la violence des poings. Et j’escomptais bien suivre ce cheminement de pensée.

« Ambassadrice. Au début je pensais à une mauvaise blague de ta part, mais en fin de compte. Je ne suis pas mauvaise. Mon charme naturel, sans doute ! »

Cette fois je ne sus dissimuler un sourire de satisfaction. Avant qu’il ne disparaisse tout à fait, en revenant vers le Seigneur Obscur, m’appliquant à le resservir. L’odeur du nectar me fit légèrement tourner la tête. Cela faisait bien longtemps que je ne l’avais pas sentie. Cette coupe-ci, je ne comptais pas y tremper les lèvres. Je tenais trop à ma liberté. Mon regard devint plus triste, mes yeux se posèrent sur Endymion. Le temps avait filé si vite. À quel point t’a-t-il changé, mon ami ?

Je revins derrière Poséidon, en retrait, là où était ma place désormais.  

L’une de mes mains s’envola vers celui qui fut autrefois mon Second. Un doux sourire ourla mes lèvres lorsque je me pris à passer mes doigts dans sa chevelure en une unique caresse. Un geste qui m’échappa, mais que je ne sus regretter, malgré ce moment d’importance. Un signe évident de notre attachement mutuel, mais aussi une marque de profond respect. J’étais devenue sa magicienne, je me penchais alors vers lui pour lui murmurer :

« La flûte n’existe plus, désormais. »

Je les abandonnai à leur échange, gardant tout de même une oreille sur celui-ci. Mon attention se porta vers une dame qui eut le privilège de jouer une représentation de toute beauté devant deux divinités.
Moi, l’ancienne Sirène Maléfique, je ne pus qu’en apprécier les accents justes, et clairs. Une harpiste de talent, c’était certain. Dont je saluai la performance d’une inflexion de la tête. Doucement, je me rapprochai d’elle pour lui souffler :

« S’il m’est possible de me joindre à vous, je prendrai grand plaisir à vous accompagner, ma Dame. »

Je lui offris un petit clin d’œil. Voyons donc si elle était capable d’improviser avec moi. Une qualité qui, assurément, se devait d’être jouée auprès de nous, Marinas. Hadès se risquerait-il à décliner une offre des plus avisées de notre Seigneur ?
Avec douceur, j’entamai un chant dont la délicatesse n’avait pas d’égal. Une mélopée inspirée par mes aventures sur l’eau, dans ces moments où la paix régnait sous les étoiles. Avec ma partenaire du moment, nous invitions nos spectateurs à apaiser leur âme et leurs pensées tumultueuses, à effacer tout à fait les souvenirs d’une Guerre que je savais de toute façon, infondée.
Elle était toujours ainsi. Il en allait toujours ainsi avec les Hommes et les Dieux. J’avais appris à composer avec cela.

« Vous êtes une musicienne hors pair, ma Dame. Mon nom est Nimuë O’Bannon, Sorcière Bleue de Sa Majesté. Ce fut un plaisir. »

Pourquoi sentais-je ma gorge se serrer ? Abandonnant très vite cet état que je dissimulai derrière un sourire affable, je me tournai vers Hadès, vers Poséidon. Endymion. Effectua une profonde révérence la tête inclinée pour cacher une larme qui vint à m’échapper.

« Compte sur moi Endy… »

Les derniers mots s’envolaient, scellant ainsi des promesses et une alliance dont les termes étaient encore à définir. Je jetai un regard en coin, un sourcil levé. Endymion avait décidément un drôle de sens de l’humour.
Mais, toujours habile avec les mots, je me réjouissais de l’avenir. Un avenir que je n’aurais jamais suspecté. Revenir ici-bas, après tant d’années d’errance, n’était pas dû au hasard. Je pensais que le maître des Flots était l’instigateur de ma renaissance, or, je savais au fond de moi que tout était bien plus compliqué.
Ma vie fut-elle un jour simple ?
J’écoutais sans dire quoi que ce soit, perdue dans mes pensées, dans la mélodie offerte par la muse des Enfers. Persédia. Un nom que je saurais retenir. J’eus un sourire pour Endymion à l’évocation d’une fête que je devinais déjà décadente. Je m’inclinai avec respect devant le maître des lieux avant de me tourner vers la muse et lui offrir la même révérence polie.

« Au plaisir de vous revoir bientôt, Sombre Monarque, ma Dame… »

Saisie par la taille, je disparaissais avec Poséidon.

Très bien.

Il était temps de rentrer au bercail.

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