[Quête de camp] Un mauvais Jugement (PV Angèle & Helmwig)

Citation :

Un mauvais jugement
Protéger la veuve et l'orphelin : telle est votre mission. Vous êtes épris de justice et malheureusement, dans ce monde, cette justesse n'est pas partagée par tous ceux qui l'habitent. Vous avez été mis au courant d'un jugement arbitraire de la part d'un État contre une population. Sous couvert d'une pseudo enquête, les autorités du Saint-Empire romain germanique ont accusé une trentaine de personnes d'avoir trahi l'État lors de la Guerre de Succession d'Autriche. En représailles de ces faux agissements, la mort leur sera donnée... à eux ainsi qu'à leurs familles. Il s'agit là de sauver la vie de plus d'une centaine d'individus : hommes, femmes et enfants. Les suppliciés sont cachés dans une prison au cœur du territoire. Trouvez-la, repérez-les, sauvez-les. Serez-vous prêts à mettre votre propre vie en danger pour votre idéal de justice ? Serez-vous prêts à tuer des gens pour en sauver d'autres ?
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Kalen venait de recevoir sa première mission officielle. Il en était presque surpris. Il avait lu et relu le parchemin à plusieurs reprises. C’était bien à lui qu’il s’adressait. La missive l’envoyait en plein cœur de l’Europe, dans le Saint Empire Romain Germanique. Cela faisait un peu moins d’une dizaine d’année que la guerre de succession d’Autriche s’était achevée. La Prusse en était sortie grandie et renforcée. Et on avait forcément cherché des coupables. Le Saint Empire devait se racheter une dignité et une image dans la grande comédie des Etats.

Le chevalier de Cerbère trouvait étrange de voir Athéna se mêler aux conflits des Hommes. Après tout, le libre-arbitre n’était-il pas une de ses valeurs directrices ? Il ne pensait pas qu’il aurait un jour à intervenir dans les affaires politiques. Lui qui avait la langue de bois et les manières en horreur, il espérait juste ne pas avoir à jouer les diplomates et se casser le dos dans des révérences et autres ronds de jambes hypocrites. A moins que derrière cette injustice banale ne se cache une intervention divine, une machination ourdie par une force dépassant l’entendement humain ? C’était peut-être à espérer. Sinon, à quoi bon mobiliser une telle force de frappe ? Car, selon toute vraisemblance, il ne serait pas seul.

Le message laissait entendre que ce n’était pas un seul mais plusieurs chevaliers qui seraient envoyés accomplir cette mission. Surprenant, vu la nature des faits. Bosser en équipe n’était pas vraiment la tasse de thé de Kalen. Mais il ne pouvait pas se payer le luxe d’émettre des objections pour une première. Sa Cloth Box sur les épaules, masqué sous un large capuchon noir, il attendait au point de rendez-vous. Il était vraisemblablement le premier arrivé. Il espérait qu’il ne se retrouverait pas avec des novices venus faire une excursion en dilettante.

La pluie commençait à tomber. Lui, ressassait la même question. Pourquoi l’avoir choisi lui, le solitaire, pour une mission de groupe ? Une punition ou une façon de le forcer à nouer des liens avec ses pairs peut-être ? Athéna la mystérieuse avait une drôle de façon de mettre en avant les talents de ses chevaliers. Mais les voies de la vierge aux yeux pers étaient impénétrables. Tout du moins pour lui.  A cette pensée, il sourit derrière son masque.  Elle devait bien avoir ses raisons. Les autres se faisaient désirer alors que la pluie redoublait.

Kalen s’impatientait. A ce rythme, ils n’étaient pas près de franchir la frontière et de rentrer en Bohème. D’ailleurs, il faudrait surement réfléchir à la manière de procéder. Et puis, où devaient-ils aller au juste ? L’empire était grand et avec son allure et son accent écossais à couper au couteau, il risquait à un moment ou à un autre d’éveiller les soupçons. Il en était à ces considérations quand il lui sembla qu’une silhouette s’approchait.

Helmwig était perplexe. Quitter l'armée de Frédéric II pour revenir s’immiscer dans les affaires prussiennes et, a fortiori, germaniques, alors même qu'il était enrôlé sous une autre bannière... soit le hasard faisait très bien les choses, soit le destin lui jouait un tour au goût discutable. Bien qu'en soit, le fait de retourner en terrain connu le réconfortait un tant soit peu.

Helmwig avait toujours gardé un œil sur la situation géopolitique de son ancienne patrie depuis qu'il était arrivé au Sanctuaire, mais il n'y était largement plus autant impliqué que lorsqu'il était au service direct de son roi. Aussi beaucoup d'éléments lui manquaient. Lorsqu'il avait reçu son ordre de mission, il avait compris avoir affaire à de classiques procès fantoches, menés par des états aux abois et peu soucieux d'user de méthodes discutables. Il ne pouvait pas les blâmer : lui-même, en tant qu'ancien agent au service du trône de Prusse, avait pris part à ce genre de mascarades plus d'une fois. Mais Frédéric II savait se montrer plus fin et discret que la plupart des monarques de Germanie, et de tels agissements lui auraient été inenvisageables, car bien trop ostentatoires. La preuve : en l'occurrence, le sanctuaire d'Athéna envoyait des troupes pour intervenir.

D'ailleurs, Helmwig se demandait bien pourquoi les chevaliers du Sanctuaire devaient prendre part à ce genre d'opération. Non pas qu'il remette en cause la décision des autorités du Sanctuaire, mais il aurait bien mal pris qu'une poignée de guerriers en armure vienne perturber ses opérations secrètes, à l'époque. Sans doute les enjeux étaient-ils tout autres. D'ailleurs, il n'avait pas saisi tous les tenants et les aboutissants de la situation. Les ordres n'avaient pas été les plus clairs du monde, mais, se remémorant la joyeuse débandade et l'anarchie protocolaire qu'avait été la bataille aux Enfers, il ne s'inquiétait pas outre mesure de ne pas disposer d'informations exhaustives. Ou plutôt, si, il s'en inquiétait. Mais cette situation n'avait selon lui rien de surprenant. Dans tous les cas, il se ferait un plaisir de réclamer des éclaircissements à ses camarades, qu'il espérait plus gradés que lui. A moins qu'il ne soit la plus haute autorité de la troupe, au quel cas la mission serait tout sauf une partie de plaisir.

A bien y repenser, il se détestait d'avoir accepté cette mission sans poser de question. Il aurait du insister et demander davantage d'éclaircissements. Il s'était contenté d'accepter, par habitude. Dans l'armée prussienne, les ordres étaient toujours donné si clairement qu'il n'était jamais question de les discuter, car il n'était jamais nécessaire de le faire. Mais au sanctuaire, c'était une autre paire de manches. Sans doute une volonté de fraternité au détriment d'une hiérarchie correctement constituée. Helmwig s'en mordait les doigts. Il était le premier à accepter de se plier à la hiérarchie, et il préférerait mille fois devoir rendre comptes et rapports à des supérieurs si cela pouvait assurer une cohésion martiale et un bon fonctionnement opérationnel. Enfin, il avait déjà évoqué son scepticisme quant à cette situation auprès des autorités compétentes. Il n'était plus question de ruminer, mais de se concentrer sur la mission, si cela était toutefois possible.

A son grand soulagement, Helmwig constata que la personne qui l'attendait au lieu du rendez-vous était un homme masqué portant une caisse d'armure à peu près similaire à celle qu'il transportait actuellement sur son dos, mais de teinte différente. Un chevalier d'argent. Helmwig s'approcha, frappa son torse de son poing, et s'inclina respectueusement.

- Messire. Helmwig Schmeisser, chevalier de bronze du Cygne, au rapport.

Il espérait que son camarade et supérieur allait en savoir davantage que lui sur la démarche à adopter.

Le Sanctuaire avait donc dépêché un chevalier d’or…. C’est que la mission devait être prise au sérieux. Kalen n’était pas fâché d’avoir avec lui une personne plus expérimentée. Et l’avantage hiérarchique que si la mission était un fiasco, on irait probablement d’abord demander des comptes au plus haut gradé.

Kalen observa longuement ses deux compagnons d’arme. Il était étrange de constater que le chevalier d’or n’avait pas de Cloth Box sur les épaules. Elle avait quelque chose de farouche qui ne donnait pas l’envie de s’y frotter au premier abord. Lui, un ton martial, un regard perçant. Il était assez âgé pour un chevalier de bronze, bien que l’écossais aurait bien eu du mal à lui donner un âge précis. Un petit détail le fit néanmoins sourire derrière son masque d’argent. Ils avaient tous les trois les cheveux blancs… Somme toute logique pour le chevalier du Cygne, mais pas forcément pour le Sagittaire et lui. Une même anomalie ? Avait-elle vécue les mêmes expériences désagréables que lui dans l’enfance ? Des questions qu’il lui poserait peut-être, si l’occasion se présentait.

« Chevalier du Cygne… Armure des glaces, si je ne m’abuse… Constellation de la croix du Nord. Je fais le malin mais j’ai lu ça dans un ouvrage à la bibliothèque… Je suis Kalen, chevalier de Cerbère. Ainsi notre vénérée déesse a décidé d’envoyer le commando cheveux de neige pour cette mission… Peut-être pour qu’on se fonde dans le décor ? Savez-vous précisément pourquoi vous avez été choisis ? »

L’écossais écouta ensuite le Sagittaire afficher le plan d’action. A priori, Elle en savait bien plus que lui sur la mission. Privilège hiérarchique sans doute. Athéna préférait sans doute confier les rênes à un chevalier expérimenté et de confiance.  Logique mais quelque peu frustrant. L’analyse du chevalier d’or lui sembla plus que pertinente. Tout du moins aux vues des éléments dont elle disposait. Elle semblait en savoir plus sur eux que l’inverse. A ce titre, il suivrait sa recommandation. En espérant qu’elle ne se prendrait pas pour le chef de l’expédition.

« J’imagine que l’idée principale est de faire ça le plus discrètement possible et sans verser le sang de soldats adverses. Il faut qu’on localise nos cibles avec précision. Je vais aller jouer les éclaireurs et trouver les chemins de traverse pour prévoir une sortie rapide et sans dégâts. Par contre, il faudra peut-être que je neutralise au moins un homme. Histoire de lui emprunter sa tenue. Je tâcherai de le garder néanmoins en vie. »

Kalen n’était pas cruel. Il n’était pas du genre à verser le sang inutilement. Sauf si la personne en face de lui le méritait. La priorité pour le moment, était la réussite de la mission. Il attendit néanmoins d’avoir la confirmation du Sagittaire et la réaction d’Helmwig avant de prendre congé.

Le chevalier d'or du sagittaire. Un visage connu. Et de surcroît, celui qui représentait le mieux le concept d'autorité militaire compétente à la connaissance de Helmwig. Il n'en était que plus soulagé, et il n'avait désormais plus de doute : la mission allait bien se passer. Pour un quidam, la froideur d'Angèle aurait pu être un synonyme d'antipathie ou de mépris ; mais pour Helmwig, c'était la preuve qu'il avait face à lui un chevalier qui savait se montrer efficace et se focaliser sur une mission militaire, ce qui nécessitait la plus grande des concentrations.

Les remarques du chevalier d'argent tirèrent un léger sourire d'amusement à Helmwig. Il en savait plus sur sa propre armure que lui-même. Il faudrait qu'il aille jeter un oeil à cette fameuse bibliothèque à l'occasion. Quant à la question des cheveux blancs, il se permit d'en plaisanter.

- Oh, cela fait déjà bien trop longtemps que mes cheveux ont perdu leur couleur. La vie de soldat a tendance à accélérer le processus, même si dans votre cas, cela me semble encore plus flagrant.

Un léger sourire en coin pour souligner le ton de la plaisanterie, puis Helmwig reprit un ton bien plus sérieux pour répondre à la question qui l'était tout autant.

- Je présume que mes origines prussiennes ont fait de moi le candidat idéal. Et cela ne veut pas dire que je porte les autorités du Saint-Empire dans mon coeur, bien au contraire.

Helmwig fit ensuite le silence pour écouter consciencieusement les instructions de Angèle. Repérer le terrain, l'investir en s'infiltrant, pour enfin agir de l'intérieur en toute connaissance du terrain. Il devait bien l'admettre, il n'aurait pas fait mieux. L'art de la guerre était merveilleusement bien appliqué dans ce plan. Ou du moins, en théorie. Car en pratique...

- Sauf votre respect, dame Angèle, les armées du Saint-Empire sont un tantinet plus... rétrogrades que celle du Sanctuaire. Faire s'engager une femme en tant que mercenaire risque de ne pas être chose aisée. Je devrais y parvenir, car j'ai conservé quelques atouts politiques de mon ancienne carrière ; mais je tiens à vous prévenir que votre ascendant hiérarchique sur moi risque de devoir être passé sous silence le temps de cette infiltration. Vous m'en voyez désolé par avance.

Helmwig ne doutait toutefois pas que le chevalier d'Or saurait ne pas s'offusquer de la situation. Après tout, la fin justifiait les moyens. Mais il tenait à annoncer la couleur : en tant que mercenaires, il allait devoir se présenter comme le plus haut gradé du binôme s'il voulait paraître crédible. Et puis, pour une fois que l'apparente volonté du Sanctuaire de mettre ses soldats sur un pied d'égalité allait lui servir... Il se souvenait d'anciennes missions où lui et quelques soldats avaient du se faire passer pour ce qu'ils n'étaient pas. Les plus gradés avaient toujours du mal à accepter de jouer les subalternes, même fictivement. Mais si l'armée d'Athéna était assez avant-gardiste pour ne pas restreindre ses soldats en fonction de leur sexe, elle ne souffrirait probablement pas de telles fiertés mal placées.

En ce qui concernait la faisabilité de l'opération, Helmwig se félicitait d'avoir conservé avec lui, par pure nostalgie de son ancienne allégeance, un sceau officiel de l'état-major prussien. Ce n'était pas forcément le document le plus adapté à la situation, mais s'il parvenait à baratiner suffisemment ses interlocuteurs, et à compter sur l'ignorance des troupes du Saint-Empire sur la question des sceaux nationaux, il pouvait se faire passer pour un émissaire officiel de Frédéric II. Ce qu'il avait toujours connu comme un inconvénient se transformait en avantage : à vouloir amalgamer les royaumes, plus personne ne savait qui était qui.

La réaction du chevalier d'argent, néanmoins, partagea Helmwig. Il trouvait honorable et appréciable qu'un chevalier mette un point d'honneur à ne pas verser le sang inutilement. Il espérait toutefois que ce chevalier s'avère capable de tuer, si la situation l'exigeait. C'était son point de vue, mais si toute mort inutile était à proscrire, il ne fallait pas rechigner à se salir les mains pour autant. Mais quelque chose dans l'aura de ce guerrier lui disait malgré tout qu'il n'avait pas de raisons de s'en faire.

- Tout est clair en ce qui me concerne. "Vous caresserez l'infâme d'une main, et l'égratignerez de l'autre".

Les propres paroles du roi de Prusse étaient plus qu'adaptées à la situation. Il était temps de se mettre en route.

Logique implacable et calculée. Ne pas prendre de vie pour ne pas se faire repérer. C’est vrai qu’un cadavre était toujours difficile à dissimuler. Et puis, il fallait bien avouer que les pauvres bougres n’avaient rien demandé. A moins de tomber sur un homme aimant faire souffrir ses semblables, il était probable que les soldats de la garnison n’avaient pas eu vraiment le choix de leur affectation.

« Je ferais selon tes conseils, Sagittaire. Je vais tenter de me faufiler dans les ombres et de repérer d’abord les différentes issues et les chemins qui nous permettraient de faire évacuer autant de personnes. Par contre, pour sortir une centaine d’individus en toute discrétion, il va sans doute falloir la jouer fine. Je ferais au mieux »

A ces mots, l’écossais s’éloigna, profitant de la brume qui se levait lentement depuis que la pluie avait cessée. Cela lui rappelait l’Ecosse et les rives du Loch Murray. La forteresse était située sur le flanc d’un promontoire dominant une rivière de belle dimension. Sans doute pour plus de commodité et pour obtenir un point de vue stratégique. Mais c’était aussi une terrible faiblesse. Il n’y avait qu’une porte d’entrée et de sortie. Tout du moins, ça c’était la version officielle pour un esprit humain borné et administratif. Le chevalier d’argent avait, quant à lui, repéré plusieurs voies de sorties, qui pouvaient également être des chemins d’entrée si jamais le plan d’Helwig ne fonctionnait pas.

La première résidait dans un système ingénieux permettant d’évacuer les eaux usées et les déchets jusqu’à la rivière. Kalen avait lu qu’il en existait de semblable dans la Rome antique. Mais il ne pensait pas en trouver de tels au fin fond de la Bohème. Et surtout, leur dimension interrogeait. Un homme pouvait s’y tenir debout en se baissant. Cela ne correspondait pas aux besoins de la citadelle. Le chevalier mit du temps à comprendre qu’il s’agissait aussi d’une sortie d’urgence, sans doute envisagée au Moyen-âge pour pouvoir fuir par la voie navigable en cas de prise du fortin. Une erreur classique donnant bien souvent l’avantage à l’assaillant en facilitant le travail de sape. Ce tunnel donnait sur plusieurs grilles en fer forgé, censées dissuader toute intrusion. Aucune arme de siège n’aurait pu rentrer dans le sous-bassement et il était clair que la seule force humaine ne suffirait pas à faire plier le métal qui entravait le passage. Mais pour un chevalier d’Athéna, c’était une simple formalité. Encore fallait-il disposer d’une embarcation pour ensuite évacuer les infortunés prisonniers sans repasser devant les murs de la prison.  

La seconde solution d’évacuation, plus périlleuse, nécessitait d’atteindre le chemin de ronde et d’y fabriquer rapidement un accès qui permettrait de glisser jusqu’à la colline boisée la plus proche qui ferait un couvert idéal. Un escalier ou un toboggan de glace pourrait très bien faire l’affaire. Cependant, celle solution nécessitait qu’Helmwig soit le principal artisan de l’évasion et Kalen ne connaissait pas vraiment l’étendue du pouvoir de son compagnon. Et il était également probable que le chemin de ronde soit un lieu fortement fréquenté, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Il faudrait donc neutraliser davantage d’hommes avec le risque que cela représentait. Le chevalier de Cerbère retourna donc au campement exposer ces deux éventualités à ses compagnons.

Tout était donc convenu. Helmwig prit congé en même temps que le chevalier masqué, et se mit en route en direction des lignes ennemies, si toutefois l'on pouvait les qualifier ainsi. La prison n'était pas le lieu ou il allait devoir se rendre en priorité car, si garnison il y avait, elle stationnait très certainement, soit dans un village alentours, soit sur un campement de fortune. La seconde option étant davantage réservée aux campagnes militaires nécessitant une mobilité maximale, les soldats du Saint-Empire étaient très probablement stationnés dans un village, profitant du confort d'un logement chez l'habitant. Avec ou sans son consentement, d'ailleurs.

Helmwig prit soin de dissimuler son armure dans les bosquets alentours, se félicitant d'avoir choisi une tenue civile des plus passe-partout. Il ne prit sur lui que ses papiers civils, ainsi que le sceau royal qu'il avait soigneusement conservé dans une enveloppe cachetée. Des documents dont il n'aurait pas imaginé qu'ils lui seraient aussi utiles une fois son ancien poste quitté.

Le vieil homme entra dans le village le plus proche de la prison, un petit hameau agricole d'à peine une dizaine de maisons. Toutefois, la présence de chevaux, qui n'étaient manifestement pas destinés au trait, lui mit la puce à l'oreille. Après seulement quelques pas, son intuition se confirma, lorsqu'il aperçut un binôme d'individus affairés à fumer la pipe sur le seuil d'une grange, tous deux vêtus du même pantalon à guêtres. Un pantalon d'uniforme qui, au demeurant, n'était pas prussien. Un bon point.

L'on aurait pu penser qu'avoir affaire à des soldats prussiens aurait conféré un avantage certain à Helmwig. Cependant, il n'en était rien. Il n'était plus au fait des actualités politico-militaires prussiennes, contrairement à ses soldats actifs. Il aurait donc été difficile de leur monter un baratin. Les autrichiens, en revanche, seraient un public idéal pour gober tout ce qu'il aurait à leur servir, sans perdre en crédibilité. Même si, il devait l'admettre, son sceau royal allait grandement l'y aider.

Helmwig s'approcha des deux hommes, et articula son meilleur allemand. Ils n'auraient aucun mal à reconnaître son accent prussien, mais cela ne faisait que le servir.

- Messieurs.

Les deux hommes levèrent les yeux, non sans continuer de mâchonner leur pipe.

- Etes-vous bien la garnison rattachée à la prison ?

Faire mine d'être au courant de la situation était le meilleur moyen de s'infiltrer. Et si la réponse était non, ils n'auraient qu'à le lui faire savoir.

- Oui. Vous êtes nouveau dans le coin ? On vous a jamais vu par ici.

- Je suis un émissaire du royaume de Prusse. Veuillez me conduire à votre officier référent, je vous prie.

Les deux hommes échangèrent un regard circonspect, avant de lâcher un rictus moqueur.

- C'est nous, les officiers référents, vieillard.

Helmwig esquissa à son tour un sourire en coin. Les autrichiens n'avaient décidément aucun respect. Helmwig appuya une intonation ferme, non sans rester courtoise.

- Vous n'avez certainement pas l'allure ni la tenue d'un Sigmund von Wurmser. Veuillez dès à présent me conduire à votre officier référent, à moins bien sûr que vous ne soyiez prêts à assumer les conséquences d'un incident diplomatique avec le trône de Prusse.

Pour appuyer ses propos, Helmwig tira de sa poche l'enveloppe contenant le sceau, elle-même cachetée aux armoiries du Roi. Ce seul détail suffirait probablement à convaincre ces deux troupaillons qui, à l'instant, échangèrent un regard, cette fois inquiet. Outre l'enveloppe, le simple fait d'avoir évoqué le nom d'un officier autrichien avait probablement dû suffire à convaincre les deux hommes. N'importe quel quidam ne pouvait pas connaître ce nom.

- Bon très bien. Suivez-moi

L'un des soldats fit signe à Helmwig de le suivre, et l'emmena jusqu'à ce qui semblait être l'auberge du village. Ou du moins, du débit de boisson d'un si petit hameau. En y pénétrant, Helmwig vit une dizaine de soldats autrichiens affairés à jouer aux cartes où à entretenir leurs armes. Pas une profonde dilettante, mais pas une discipline de fer non plus.

Le soldat le mena jusqu'à l'étage, et frappa à la porte de l'une des pièces sur laquelle avait été apposé le blason d'Autriche. L'ordre d'entrer résonna, et le soldat ouvrit la porte sur un bureau improvisé, auquel était affairé un homme d'un certain âge, vêtu d'un uniforme complet de la cavalerie autrichienne. Sa moustache en guidon et ses favoris généreux ne laissaient aucun doute sur son rang : seuls les officiers supérieurs pouvaient se permettre de tels fantaisies capillaires.

- Mein Hauptmann, un soit-disant émissaire prussien demande à s'entretenir avec vous.

Hauptmann, ou capitaine. Un grade classique pour un officier référent en charge d'une garnison. Helmwig fit un pas dans la pièce, et s'inclina respectueusement.

- Obersleutnant Heinrich Von Stauffenberg, pour vous servir, herr Hauptmann.

A l'évocation du grade, le capitaine se leva de son bureau, et salua militairement et respectueusement. En voilà au moins un qui avait de l'éducation. Helmwig avait, par réflexe, inventé un nom de toutes pièces. Mieux valait ne pas évoquer le nom de Helmwig Schmeisser, qui avait probablement dû circuler parmi les ennemis passés et présents du trône de Prusse.

- Obersleutnant, ? Que me vaut la visite d'un lieutenant-colonel du bon roi de Prusse ?

- Mon souverain, soucieux des troubles à ses frontières, m'a chargé de prendre part à la surveillance du fort où sont gardés les prisonniers... disons... "sensibles". Il tient à s'assurer que la question sera réglée sans bavure. Ce sceau royal pourra vous assurer de la véracité de mes propos.

Helmwig présenta au capitaine l'enveloppe, qu'il prit à deux mains et décacheta soigneusement. Il inspecta le document qui s'y trouvait, écarquilla les yeux, et replaça le document à sa place avant de le rendre à son propriétaire.

- Les services secrets prussiens ? Frédéric II doit vraiment s'inquiéter pour cette histoire. Mais pourquoi envoyer un lieutenant-colonel ?

- A vrai dire, je ne suis pas exactement rattaché à l'armée régulière. Vous pouvez considérer que je suis ici en tant que mercenaire.

Helmwig perçut un léger mouvement dans la moustache de l'officier.

- Oui, il serait dommage de mouiller l'armée de Sa Majesté dans des affaires peu recommandables, n'est-il pas.

Helmwig se contenta de lui rendre un sourire entendu. Parfait, il n'avait même pas besoin d'en ajouter. Le capitaine autrichien se donnait lui-même ses arguments.

- Ma foi, si votre présence peut permettre à mes hommes de sauter un tour de garde. Ils y vont à reculons, de toute manière. Je vais vous signer un laissez-passer. Heinrich Von... ?

- Stauffenberg, herr Hauptmann.

- Serez-vous seul ?

- Eh bien, je suis venu avec mon détachement habituel...

Le capitaine leva vers Helmwig un regard qui en disait long.

- Mais je ne me présenterai qu'avec un seul de mes hommes. Je me permets de présumer qu'il vous serait bien inconfortable de devoir superviser la présence de tant d'individus.

L'autrichien hocha vivement la tête de soulagement. Helmwig avait mis dans le mille : pour s'assurer de permettre la présence de Dame Angèle à ses côtés, il l'avait faite passer pour un strict minimum. Pour le capitaine, mieux valait n'ajouter qu'un invité plutôt que trente... même si ceux-ci n'existaient pas. Mais ça, il n'avait pas besoin de le savoir.
Le capitaine termina de parapher une lettre de laisser-passer, qu'il tendit à Helmwig. Celui-ci la récupéra et la replaça soigneusement dans la poche intérieure de sa veste, en compagnie du précieux sceau.

- Merci pour votre coopération, herr Hauptmann. Le trône de Prusse appréciera votre diligence.

Et si le trône de Prusse apprécie, alors le trône d'Autriche aussi. Du moins, c'était ce qu'Helmwig espérait bien que ce capitaine se mette dans le crâne, afin d'éviter d'avoir à y mettre autre chose. Quelque chose de plus métallique et douloureux qu'une idée.

- Je vous invite à prendre vos fonctions demain à la première heure.

- Il en sera ainsi. Auf wiedersehen.

Helmwig salua respectueusement, et prit congé du capitaine. Sans un mot de plus, il traversa le village, récupéra son armure, et se remit en route vers le point de rendez-vous convenu avec dame Angèle. Pour son plus grand plaisir, une odeur de viande cuite l'accueillit.
Le vieil homme s'inclina à la vue du chevalier d'or, qui n'avait manifestement pas chômé. Lui non plus d'ailleurs, et il allait le prouver de ce pas.

- Dame Angèle, nous sommes tous deux attendus pour notre tour de garde de la prison, demain dès l'aube.

Pour illustrer ses propos, il lui tendit le laissez-passer signé de la main du capitaine autrichien. Une fois de plus, les services secrets prussiens prouvaient leur efficacité.

« Non, pas d’émanation de cosmos. Ou alors, il est suffisamment expérimenté pour le dissimuler. Tu penses que d’autres auraient l’envie de voir ces femmes et ces hommes exécutés ? Hadès par exemple ? »

Kalen dût réprimer un pic de colère à cette pensée. En tant que Gardien de la Porte des Enfers, il appréciait très moyennement l’idée de savoir des spectres se baladant librement à la surface comme si de rien n’était. Et quoi ? Il ne manquerait plus qu’ils dévalent une colline en sautillant avant de se ramasser lamentablement et de rouler dans l’herbe. Leur place était aux Enfers, et Cerbère comptait bien qu’ils y restent.

Il réfléchit un instant néanmoins. Il n’avait rien ressenti. Juste des présences. Des énergies plus ou moins chargées, plus ou moins négatives mais on ne peut plus humaines. Rien d’insurmontable en somme. Pour le moment, tout semblait fonctionner selon les plans du Sagittaire. Helmwig et Angèle étaient attendus le lendemain à l’aube. Le chevalier d’or avait opté pour la solution sous-terraine. Judicieux compte tenu de la situation. Mais Kalen se voyait mal manœuvrer un iceberg sur le fleuve comme elle semblait le suggérer.

« Je ne suis pas sûr qu’utiliser un banc de glace soit le moyen le plus efficace et le plus discret pour quitter les lieux. Je propose de nous laisser au moins trois jours pour que vous repériez les lieux. De mon côté, je mettrais la main sur un navire. Il me faudra peut-être soudoyer une ou deux personnes, ou les convaincre d’une autre manière mais nous aurons une embarcation. Si je n’ai pas d’autres solutions, je la volerai, voilà tout. »

Kalen n’en serait pas à son coup d’essai dans le domaine. A plusieurs reprises, il avait dû chaparder étant enfant, tantôt dans les celliers du presbytère, tantôt dans ceux de l’auberge du village, quand son père avait décidé qu’il devait mourir pour cesser  d’apporter la malédiction sur sa famille.

Il fallait par contre que le navire ne soit visible qu’au tout dernier moment. Sinon, il éveillerait immanquablement les soupçons de la garnison et rendrait plus difficile le travail de ses camarades au sein de la forteresse. Mais le chevalier d’argent connaissait l’ombre. Et quand il s’agissait de roublardise, il avait bien souvent un atout dans sa manche.

« Que diriez-vous d’agir de nuit ? Le vin engourdit les sens et la nuit est propice au relâchement des corps et de la vigilance. En plus, si mes calculs sont exacts, nous sommes proches de la nouvelle lune. Cela rendra bien plus difficile la tâche des guets et facilitera fuite et dissimulation. Qu’en dites-vous ? »

Kalen fixa attentivement le Cygne et le Sagittaire, dans l’attente de leurs observations.

Helmwig écoutait attentivement les questionnements et réflexions de chacun. Le chevalier d'argent soulevait un point auquel il n'avait pas pensé : peut-être que cette opération était orchestrée ou supervisée par des puissances plus importantes encore que le Saint-Empire. Des puissances qui justifiaient l'intervention d'une escouade de chevaliers. D'un côté, cela rassurait Helmwig sur le potentiel interventionnisme de l'armée d'Athéna. Selon lui, une armée, aussi puissante soit-elle, qui décidait de se mêler de ce qui ne la regardait pas, courait à la catastrophe diplomatique et humanitaire. D'un autre côté, l'idée d'être à nouveau confronté à des puissances comparables à ce qu'il avait pu croiser aux enfers, ne le mettait pas dans les meilleures dispositions. Dans les deux cas, la guerre faisait son oeuvre : elle ne plaisait à personne.

L'idée de dame Angèle laissa Helmwig circonspect un instant. Il est vrai qu'il avait du mal à imaginer ses pouvoirs autrement qu'en tant qu'outil de combat, mais l'idée n'était pas mauvaise. Quant à s'il était capable de le faire... il le pensait, mais n 'en était pas certain. Après tout, il ne maîtrisait pas encore parfaitement ses pouvoirs, après tant d'années passées à les dissimuler. Toutefois, la remarque du chevalier d'argent à ce sujet lui apporta d'autres éléments de réflexions, et lui permit de se constituer un opinion logique sur la question.

- Je ne peux pas vous promettre de pouvoir créer une embarcation assez solide pour transporter tout le monde, et même si c'était le cas, pouvoir la maintenir accaparerait toute mon attention, me rendant ainsi inutile au combat. Dans le doute, l'option de disposer d'un véritable navire est la meilleure. Autant garder la possibilité de créer des chaloupes de glace en dernier recours.

Toutefois, la proposition de Kalen présentait une faille.

- En revanche, passer trois jours sous une couverture aussi tendue risque de poser problème. Les soldats du Saint-Empire ne sont pas idiots, ils savent remarquer lorsque quelqu'un n'est pas à sa place. A fortiori si, comme nous le suspectons, des intervenants... disons, "extérieurs", sont de la partie, tenir un rôle factice sans éveiller les soupçons ne sera pas chose aisée. Ce n'est pas impossible, mais plus les heures passeront, plus le risque de nous attirer les suspicions grandira. Je vous le dis par expérience, autant tout jouer dès le départ quitte à forcer la main pour avoir accès à notre objectif. Tant que nous seront de nouveaux venus au sein de la garnison, nous pourrons nous permettre d'agir rapidement et au culot. L'idéal serait que l'affaire soit réglée en moins de vingt-quatre heures. Bien entendu, si vous souhaitez privilégier l'assurance d'une évacuation bien ficelée qui risquera toutefois d'avoir été anticipée, à celle d'une évacuation rapide et surprise mais plus hasardeuse, nous pouvons toujours tenter le coup. Me faire passer pour ce que je ne suis pas était l'une de mes activités de prédilection autrefois.

Vint enfin la question de l'évacuation en elle-même. La réponse à la question du chevalier d'Argent ne faisait aucun doute : la nuit était le moment idéal pour agir, comme pour toute mission un tant soit peu furtive. Quant à la question du vin...

- La réputation des prussiens pour la boisson nous précède. Il ne semblera pas hors de propos aux soldats que des émissaires de Prusse ramènent avec eux quelques bouteilles pour trinquer après le dîner.

Un léger sourire en coin anima le visage jusqu'ici impassible de Helmwig. Il n'avait jamais été lui-même un grand consommateur d'alcool, mais ce n'allait pas être la première fois que la réputation de soûlards attribuée au prussiens allait lui servir.

« Moins de vingt-quatre heures ? Madame aime faire les choses dans la précipitation… Ca va sacrément compliquer la tâche. On ne trouve pas une embarcation capable de porter plus d’une centaine de personnes sous le sabot d’un centaure… Il va sans doute falloir un convoi… Et réfléchir à un moyen de semer d’éventuelles troupes lancées à notre poursuite. Je me charge de tout ça… Mais attendez-vous à ce que ça secoue un peu. Ce ne sera pas un long fleuve tranquille. Et je pense que l’on aura tous besoin de nos armures. Par contre, je peux embarquer ta Cloth Box sur un des bateaux au besoin… »

Elle était joueuse l’archère. Le capitaine glaçon aussi. C’te bonne blague. Il allait devoir trouver une solution viable et audacieuse. La première ville suffisamment grande pour qu’il puisse trouver une ou des embarcations avec une capacité suffisante se trouvait à une dizaine de lieues en amont. Soit il parvenait à acheter le transport, ce qui ne manquerait pas d’éveiller soupçons et interrogations des personnes qui croiseraient son chemin, soit il devait les voler et couvrir toute cette distance en une seule nuit. Il allait aussi lui falloir des équipages. Autant dire que ça allait être un sacré merdier. Le genre de mission qui vous revient dans les dents avec une marge de manœuvre aussi étroite que l’ouverture d’esprit d’un prêtre jacobite.

Néanmoins, ça restait la meilleure option. Ils l’avaient compris tous les trois. Kalen joint ses mains devant son masque, comme pour exprimer un agacement contenu. Ils n’avaient pas le choix. Cela contrariait le chevalier d’argent qui aurait aimé pouvoir gérer la situation avec plus de finesse et de latitudes mais il devait reconnaître que ses deux camarades avaient raison. Plus ils passeraient de temps sous couverture, plus la mission pouvait être compromise. Agir vite et bien. Profiter de l’effet de surprise.

La nuit fut courte et désagréable. Réveillé bien avant l’aube, il recompta pour la dixième fois la somme contenue dans la bourse qu’Angèle lui avait confié. Pas de quoi pavoiser mais peut-être de quoi ouvrir quelques portes et se faciliter la vie. Alors qu’il vit le Sagittaire sortir de sa tente, travestie en homme, il ne put s’empêcher de penser que c’était du gâchis. Mais l’heure n’était pas aux considérations esthétiques. Les dernières instructions étaient claires. Il les répéta pour marquer son approbation

« Bon, le temps est venu d’y aller. Je vous retrouve à la nuit tombée comme prévu. Helmwig, il y a un arbre creux sur la berge près de la sortie. Caches-y ta Cloth Box. C’est sans doute le meilleur endroit. Soyez prudents. Et si vous croisez un Spectre, faites-moi le plaisir de le renvoyer à son patron avec un majeur en guise de salut de ma part…»

A ces mots, Kalen tourna les talons. Pour la première fois, il s’inquiétait pour quelqu’un. Mais il ravala bien vite cette pensée et commença à remonter les rives du fleuve en toute discrétion.

Helmwig avait bien compris que les armures étaient quelque chose de sacré pour les chevaliers d'Athéna, en plus de disposer d'une puissance propre et de facultés surprenantes. Mais il n'appréciait pas outre mesure se retrouver affublé d'une armure rutilante et ostentatoire, lui qui avait pour habitude d'agir dans la discrétion et de se faire petit. Il n'en négligeait pas les bienfaits pour autant, et savait considérer que ces armures étaient en quelque sorte l'uniforme du sanctuaire ; mais s'il allait falloir s'en passer, il n'en serait pas chagriné pour autant. Pour autant, les paroles de dame Angèle lui mirent la puce à l'oreille.

- Je me passerai sans problème de mon armure. En revanche, dame Angèle, j'ignorais qu'il était possible de "réduire" les armures. Si vous me le permettez, une fois la mission terminée, je me permettrai de requérir votre assistance pour ce faire. Ces boîtes sont bien encombrantes.

Mais l'heure n'était pas à ces considérations secondaires. Helmwig le sentait, son camarade n'était pas ravi de voir ses délais aussi raccourcis. Il comprenait bien sa position, malheureusement, leurs options étaient limitées.
Après une nuit qu'il passa à ne dormir que d'un oeil, Helmwig se leva aux aurores afin de se préparer au mieux. Revêtant sa plus belle tenue de chasse, un uniforme n'étant pas le plus à propos, il prit soin de glisser le sceau royal et le laissez-passer dans la poche intérieure de son veston. Il accrocha également à son ceinturon une dague prussienne règlementaire, afin de donner plus de crédibilité à son mensonge. Une fois fin prêt, il constata que ses camarades étaient au moins aussi matinaux que lui. Le chevalier d'argent lui donna quelques ultimes conseils.

- Je ferai ainsi, messire. Pour l'armure comme pour les spectres.

Un salut à son compagnon, et Helmwig se mit en route, suivi de près par dame Angèle qui n'avait pas fait les choses à moitié. L'on pouvait reconnaître des traits féminins si l'on regardait de près et attentivement, mais les subalternes n'attiraient que rarement l'attention. De surcroît, les femmes n'étaient pas interdites. Seulement mal vues, et cible de railleries machistes. Cela n'arriverait que si le masque tombait, mais c'était tout de même une possibilité à envisager.

- Dame Angèle, si jamais l'un des gardes remarque que vous êtes une femme, vous subirez probablement l'une ou l'autre remarque indésirable. Je vous prie de me laisser gérer une telle situation le cas échéant, bien que je doute que cela arrive. Sur un autre point, si vous êtes amenée à croiser un officier autrichien, n'hésitez pas à lâcher un "Guten tag" et à saluer. Nous autres prussiens sommes reconnus pour notre discipline. Nous sommes aussi connus pour notre discrétion, cela dit. Nous pourrons donc limiter nos interactions avec les gardes au maximum, sans risquer d'éveiller les soupçons. Enfin, je vous présenterai sous un nom factice, disons... Goldpfeil. Avec le grade de lieutenant. Les mercenaires ne se privent pas de se donner des grades, mêmes factices.

Chemin faisant, et après avoir dissimulé son armure à l'endroit prévu, le binôme finit par parvenir près de l'entrée de la prison. Helmwig réajusta son col, et s'approcha des deux gardes postés autour de la lourde porte de bois renforcée par d'épaisses traverses d'acier.

- HALT ! Déclinez votre identité.

Helmwig sortit le laissez-passer du capitaine autrichien, et s'approcha du planton.

- Obersleutnant Von Stauffenberg et Leutnant Goldpfeil. Nous sommes chargés de participer à la garde des prisonniers, sur ordre de Son Altesse Frédéric II de Prusse, et avec la bénédiction de votre Hauptmann.

Pour appuyer ses propos, Helmwig tendit le laissez-passer au garde, qui le vérifia, et le lui rendit en hochant la tête. Il salua militairement, et ouvrit une porte cochère afin de les laisser entrer dans l'édifice.

- Obersleutnant, Leutnant, je vous en prie.

Helmwig opina du chef, rendit son salut au garde, et s'avança. Une fois hors de portée des oreilles du garde, il souffla à dame Angèle :

- Bien. Par où commence-t-on ?

Il remontait le fleuve depuis maintenant plusieurs heures. Le paysage avait légèrement évolué. Pas de quoi faire frémir un aventurier en voyage initiatique ou un cartographe venu s’imprégner de la région mais néanmoins, les contreforts escarpés avaient laissé place à un vallonnement plus régulier ce qui s’avérait d’ailleurs assez surprenant vu qu’il se dirigeait vers l’amont. Mais l’heure n’était certainement pas aux considérations paysagères. Il avait une mission à remplir et bien trop peu de temps pour rêvasser.

Alors qu’il franchissait les portes de la cité, il chercha à s’orienter. La place n’était pas bien grande. Loin des grandes villes comme Londres ou Istanbul qui hantaient les rêves des hommes. Mais elle l’était suffisamment pour passer inaperçu dans le flot de marchands et de camelots venant y faire commerce. Il e dirigea vers les quais qui bordaient la rivière. Il espérait y trouver de quoi pouvoir embarquer une centaine de personnes.

Le quartier était loin d’être le plus noble et luxuriant. Il grouillait d’une activité besogneuse et sale, un peu comme si un nid de cafards avait décidé de s’y installer. Malgré sa discrétion habituelle, il constatait que des regards en coin suspicieux le suivaient à chacun de ses pas. Il n’était certainement pas dans le coin le mieux famé de la cité. Bien au contraire. Le nombre de tire-laines au mètre carré semblait bien supérieur à ce qu’il avait déjà pu constater au Pirée. Il allait devoir se méfier. Mais son aura de mort avait au moins un avantage : elle mettait mal à l’aise la plupart des humains normalement constitués et s’avérait donc particulièrement dissuasive quand il s’agissait de repousser d’éventuels agresseurs. Aussi, malgré les airs interrogateurs et mauvais, nul ne s’était aventuré à venir lui chercher querelle.

Il arriva enfin au niveau d’un groupement de gabares détenues par des bateliers. Deux d’entre elles, relativement grandes, devaient pouvoir contenir à peu près soixante personnes chacune. Une aubaine. Restait à connaître leur vitesse et négocier avec leur propriétaire. Kalen s’adressa donc à leur propriétaire. La première information le rassura rapidement. Bien qu’il ne s’agisse pas de navires de poursuite, les gabares étaient néanmoins des trois mâts et le faible poids d’un chargement humain, comparé aux matériaux lourds qu’elles pouvaient transporter, leur assurait un gain de vitesse non négligeable.

Cependant le second point, la négociation, s’avérait bien plus ardue. Les gabariers se méfiaient de cet étranger masqué venu leur demander assistance pour transporter des humains, de nuit, en se dirigeant vers la mer. Ils le prirent d’abord pour un ottoman venu faire officieusement du trafic d’esclaves  dans l’empire en toute discrétion et ils ne voulaient certainement pas être mêlés à de telles affaires. Il allait falloir la jouer serré. Kalen s’attela donc à les convaincre du bienfondé de ses intentions. Quitte à jouer avec la xénophobie de ses braves gens.

«Réfléchissez messieurs… Un ottoman n’aurait-il pas volé vos embarcations en pleine nuit plutôt que de chercher à traiter avec vous ? Ne croyez-vous pas qu’il aurait plutôt cherché à vous égorger dans la nuit pour s’emparer de votre bien ? Je suis là pour vous proposer un marché… Je vois bien que vous êtes des hommes d’affaires et que l’argent est un langage que nous avons en commun…»

Kalen jouait un jeu dangereux. Il sentait bien que ces gars-là n’étaient pas le summum de l’honnêteté. Bien au contraire. Ils avaient tout de marins d’eau douce trempant dans la contrebande. Exactement le profil qui lui convenait. Il y avait deux choses qui fonctionnaient avec des types comme eux : l’argent et la violence. Mais la bourse fournit par Angèle suffit à les persuader. Les ravalements de façades attendraient donc une prochaine occasion.

Alors que l’après-midi était bien entamée, les deux gabares quittèrent la ville en toute discrétion et descendirent le fleuve. La nuit se leva alors qu’ils arrivèrent sans bruit quelques lieues en amont du point de rendez-vous. Kalen fit éteindre les lampes. Les navires glissaient désormais sur l’eau comme des serpents attendant leurs proies. Ils vinrent se dissimuler derrière une rangée d’arbres que le chevalier de Cerbère avait repérés, quelques centaines de pas avant le quai d’accès à la forteresse. Là, dans le silence le plus absolu, ils attendirent un signal.

Repérer les lieux, les issues, et prendre contact avec l'objectif. Voilà qui était dans les cordes de Helmwig. Après un rapide tour du côté des cachots, prétextant un tour de garde, il leur avait été très simple de souffler quelques mots aux prisonniers, qui savaient désormais à quoi s'attendre pour peu qu'ils fassent passer le message entre eux. Les connaissances du prussien en terme de protocole militaire aidant, il lui fut relativement simple de circuler parmi les gardes autrichiens. Les regards qu'ils lui lançaient n'étaient, du moins il le pensait et l'espérait, dûs qu'à son accent de l'Ouest ; et il dût montrer patte blanche à quelques reprises. Au moins les gardes faisaient-ils bien leur travail.

Alors que la journée se terminait, les esprits se détendaient et le plan d'Angèle avança d'un pas supplémentaire. Jouant la carte de la sympathie, Helmwig avait réussi à s'attirer l'amitié de quelques gardes, qui l'avaient invité à leur table. Le prussien, jouant allègrement des clichés dont son peuple était la cible, ditribuait les godets et les chopines, prenant lui-même soin de feindre les gorgées afin de ne pas être affecté par le poison du chevalier d'Or. Riant à gorge déployée, il encourageait les autrichiens dans l'excès de boisson, et lançait même quelques défis les poussant à consommer plus que de raison. Même sans somnifère, la seule consommation de schnaps de la soirée aurait suffi à elle seule à rendre tout un régiment inopérant.

Passant de table en table, Helmwig se fit un point d'honneur à ce que chacun termine son verre. La soirée avançait, et peu à peu, l'intensité sonore de la fête improvisée diminuait, les gardes perdant peu à peu pied. Les moins solides s'endormirent les premiers, et il ne fallut pas longtemps pour que la quasi-totalité de la garnison se trouve dans un état second. Si certains n'étaient pas encore totalement endormis, ils n'étaient même plus capables de se lever ou d'articuler une phrase complète.

D'un hochement de tête, il fit signe à Angèle. La voie était libre. Les deux saints se dirigèrent vers les cachots en rasant les murs. Un garde était toujours de faction, mais il ne fallut pas longtemps à Helmwig pour l'envoyer au pays des songes d'un coup de pommeau de sa dague. Par précaution, il emprisonna ses pieds et ses mains dans des blocs de glace, eux-mêmes soudés au sol de pierre de la prison, et le baïonna avec son propre foulard.

- Je libère les prisonniers. Je vous laisse ouvrir la voie.

Pour crocheter une serrure, rien de mieux que la glace. Helmwig emprisonna le lourd loquet de la porte dans un bloc de glace, qu'il fit se comprimer sur lui-même jusqu'à ce que le mécanisme saute. La porte s'ouvrit en la poussant du bout du doigt.

- Sortez, un par un, et dans le calme ! Ce soir, vous dormirez libre. Raus !

Helmwig prit soin de vérifier qu'il n'avait oublié personne, et bientôt, une conséquente colonne de prisonniers fit route vers les égouts. Il fallait espérer que son camarade d'argent avait rempli sa part du contrat, mais étrangement, il n'en doutait pas.

Les mains posées sur la grille, elle accumulait du cosmos pour faire monter la température. Il fallait un feu assez puissant pour faire fondre le métal. Même si les hommes ronflent et que leur sommeil est lourd, il n’aurait pas été prudent de sortir une colonne de feu géante. Alors avec patience, ce qui n’est pas son point fort, pendant qu’Helmwig libérait les prisonniers, elle fragilisait de part à d’autre, avant de pouvoir forcer pour rompre le fer. Quelques secondes plus tard, l’ouverture vers la sortie était prête. Timing parfait les premiers « prisonniers » arrivaient, d’un geste de la main, elle les invitait à prendre le chemin des égouts, et de l’autre posa son index sur sa bouche pour ordonner son silence.

La colonne d’homme, de femme et d’enfant, prenait le bon chemin, Angèle emboîta le pas pour prendre la tête. On ne sait jamais, même si cela semblait trop facile, il ne fallait pas baisser sa garde. Ses sens en éveillent, il n’y avait rien aux alentours qui semblait anormale. Finalement le sanctuaire se mêlait bien des affaires des pays, sans forcément qu’un autre clan olympien soit de mèche dans ces histories. L’odeur des égouts commençait à torde les estomacs, les mains se plaquaient contre les visages, le rythme de marche ralentissait. Il ne restait pourtant plus beaucoup de mètres à faire. Les poussant pour avancer plus vite, il arrive enfin vers la sortie.

Sur le quai d’accès de la forteresse, tous reprenait un peu d’air, malheureusement, il ne pouvait pas contenir d’un seul coup tout le monde, il fallait les faire patienter, et le bruit de la foule commençait à monter, difficile à deux de les calmer. Elle devait se contenir pour ne pas leur hurler dessus. Scrutant l’horizon dans la nuit, les yeux plissés, dans sa main apparu une sphère de feu, éclairant légèrement, il ne fallait pas attirer les mauvaises personnes. Elle distingua deux masses sombres se diriger vers eux….Kalen avait réussi dans le délai imparti.

Elle desserra le poing, relâcha un peu la pression quand un frisson désagréable lui parcouru le long de la colonne. La foule commençait à paniquer quelque chose venait d’arriver du fond du tunnel. Le premier navire était assez prêt pour commencer l’embarquement. Tenir la foule calme était le plus difficile. Un homme tomba dans l’eau et si l’Ange n’eut pas le reflexe et assez de force pour le retirer rapidement hors de l’eau, il aurait finir brouiller entre le quai et le navire.

Comme la foule avançait finalement plus calmement, mais l’ultime menace n’allait pas tarder à arriver. Il fallait se dépêcher, quelle était donc cette menace. En un bond, elle put traverser la folle pour arriver au côté d’Helmwig, était-il blessé ? En face, un homme vêtu d’une armure noir ébène. Malédiction, un chevalier de l’ile de la reine morte. Ces maudites crapules qui ont reniées Athéna pour une armure, oubliant les valeurs du sanctuaire. Le Saint empire avait donc engagé mercenaires. En un claquement de doigt, l’armure du sagittaire apparu sur son dos. Lorsqu’il posa les yeux sur l’armure dorée, une lueur de désir traversa son regard.

Une position difficile à défendre, une grande partie des prisonniers étaient encore sur le quai. Déclencher le combat maintenant, et la mission était un échec. Il fallait peut être profité de son envie.

Tu la veux ?

L’envie de combattre semblait le perdre et son ennemi était trop concentré sur le précieux métal. Elle avait capté son attention. Cela lui permettait de gagner quelques secondes, quelques minutes. Assez pour libérer le quai. Mais ils ne seront pas plus en sécurité, être sur un bateau n’est pas la meilleur des situations. Enfin, ils sont trois assez pour lui bloquer le passage.

« Je vais la prendre sur ton cadavre encore chaud ! et j’apporterai à mes copains celle de tes amis, je vais revenir en héro »

Sérieusement, il pensait vaincre 3 chevaliers d’Athéna, qu’avait-il de plus pour avoir autant de confiance ? Quel était donc le détail qu’elle n’avait pas remarqué ? Après tout, il avait réussi tous les 3 à ne pas sentir sa présence. Il lui manque une donnée dans l’équation.

Tout ça avait été simple… Trop simple. Dans la nuit noire, la colonne d’individus s’était ébrouée silencieusement d’abord, puis dans un bourdonnement de plus en plus oppressant. Cerbère goûtait peu ce genre d’ambiance. Pour lui, les ténèbres devaient être synonyme de calme et de sérénité. Le rassemblement l’inquiétait et l’agaçait à la fois. Cela risquait d’alerter les gardes de la forteresse. Il ne doutait pas qu’Helmwig et Angèle avaient fait le boulot correctement. Seulement, il suffisait d’un abruti un peu moins saoul que les autres pour donner l’alerte voir faire tirer les canons sur les bateaux qui attendaient leur précieuse cargaison.

Kalen laissa l’équipage aider les prisonniers à embarquer. Chacun montant deux par deux sur la passerelle déployée pour éviter que les gabares ne s’enlisent dans la vase qui bordait le fleuve. Soudain, un mouvement parcouru la foule au même moment qu’une décharge sembla parcourir tout le corps du jeune écossais. Une menace. Quelque chose arrivait par le tunnel. Et ce n’était certainement pas le capitaine des gardes venu prendre le thé. Un cosmos, il avait ressenti distinctement un cosmos. Hostile, agressif, suintant de colère. Certainement pas un allié du Sanctuaire.

Il vit le Sagittaire décoller d’un bond. La foule était trop dense pour qu’il puisse la traverser ainsi sans risquer de provoquer un accident. Et si son aura venait à se voir des murailles de la citadelle, il pouvait aussi bien allumer un feu de Saint Jean au milieu du quai et souffler dans une corne de brume. Soudain, c’est près des bateaux qu’une deuxième aura similaire à la première se fit sentir. Kalen fit volte-face au moment opportun. Un homme dans une armure noire se dressait devant lui. Un géant qui le regardait d’un œil mauvais.

La foule commençait à paniquer. Alors que les derniers civils situés au plus près des navires avaient embarqué, une dizaine de personnes restaient bloquées entre Cerbère et ses deux acolytes. Kalen devait les protéger à tout prix et leur permettre de passer.
 
«Désolé de te décevoir mon gros, mais le thème paint it black c’était le mois dernier… C’est une croisière sur réservation. Et dans ton cas, je crois que ça va pas être possible…»

Un poing comme une massue associé à un grognement guttural servit de piètre réponse à sa réplique. Kalen l’esquiva aisément. A y regarder plus minutieusement, l’armure de son vis-à-vis avait quelque chose de familier. Comme s’il l’avait déjà vu quelque part. Mais ça ne lui revenait pas. Il esquiva à nouveau un coup de pied, s’interposant entre l’agresseur et le reste des prisonniers sur le quai. Ce gars-là voulait en découdre, c’était certain. Heureusement qu’il avait pensé à revêtir son armure. Mais il avait l’air de clairement le sous-estimer. Kalen allait donc tenter de gagner du temps. Il fallait absolument éviter un combat qui risquait d’attirer l’attention.

«Hum… Avant t’envoyer présenter tes respects à l’abruti au casque d’invisibilité, j’aimerai au moins savoir sur qui je frappe. Et qui a pu te faire une armure aussi moche… »

Tout se passait comme prévu. Helmwig avait beau avoir pour précepte de ne pas sous-estimer ses ennemis, il ne pouvait s'empêcher de constater avec amusement qu'un régiment de gardes Autrichiens ne valait vraiment pas grand-chose. La rivalité entre prussiens et autrichiens n'aidant pas à faire la part des choses, il est vrai.

Les prisonniers avançaient dans un calme relatif, partagés entre le soulagement de leur libération et la méfiance que leur inspiraient ces deux officiers qu'ils ne connaissaient pas. Mais l'opération se poursuivait, sans plus d'accrocs. Jusqu'à présent.

Un sifflement dans l'air alerta l'oreille du vieux chevalier. Du coin de l'oeil, il perçut un mouvement rapide, et eut à peine le temps de lever un bras. Massif comme il l'était, parer le coup d'un humain lambda avait toujours été une formalité pour Helmwig. Mais même si ce coup-ci ne l'avait pas atteint en plein visage, qui était manifestement sa cible initiale, il le força tout de même à reculer de quelques pas sous l'impact. Levant les yeux, il vit un homme en armure noire se tenir droit devant lui, un air vindicatif au visage. Une armure similaire à celles des chevaliers du sanctuaire, mais sans le moindre éclat que les Saints arboraient d'ordinaire. Une armure mate comme de la pierre, sombre comme la nuit.

Aussitôt, Angèle apparut, et revêtit son armure d'or. Un dialogue rapide s'engagea entre les deux combattants, tandis que Helmwig, lui, surveillait du coin de l'oeil la foule qui commençait à paniquer. Son regard revenant sur l'assaillant, il se concentra pour faire croître en lui son énergie cosmique glaciale. Se mettant en position, il pointa ses deux mains ouvertes vers son ennemi, et libéra son énergie d'un seul coup.

- Nordenwind !

Un souffle glacial s'abattit sur le chevalier noir. Rapidement, ses pieds et ses tibias furent emprisonnés dans une gaine de glace épaisse, le soudant ainsi au sol. Un moyen de leur faire gagner un peu de temps.

- Puis-je vous laisser vous occuper de lui, pendant que je vais m'assurer que les prisonniers embarquent sans encombre ?

Il perçut à cet instant que Kalen, qui avait amené comme prévu deux bateaux à quai, était lui aussi aux prises avec un autre chevalier noir. Après tout, il fallait bien des imprévus dans toute mission, même les plus simples. Le Prussien s'élança, intimant aux prisonniers de presser le pas, sans pour autant se précipiter. Il se posta sur l'embarcadère, et débuta l'embarquement. Du coin de l'oeil, il surveillait que, ni les chevaliers noirs n'aient l'idée de s'en prendre aux civils, ni ces mêmes civils ne se blessent dans la panique. Et par-dessus le marché, il fallait s'attendre à ce que le vacarme que l'attaque des chevaliers noirs avait provoqué n'aient réveillé les autrichiens...

- Raus ! Raus ! Feuer frei !

Il suffisait de le demander. Une poignée d'autrichiens titubants et débraillés firent leur apparition. Ceux qui avaient bu le moins, probablement. Maladroitement, ils levèrent leurs mousquets en direction de la foule. Helmwig était à peu près persuadé que, dans leur état, ils manqueraient un éléphant dans un couloir. Mais par pure prudence...

- Eisenkugel !

Une volée de projectiles de glace jaillit des poings du vieil homme, et frappèrent les gardes de plein fouet. Ceux qui ne tombèrent pas inconscients étaient déjà trop amochés pour pouvoir se relever. Mais si ces quelques gardes avaient entendu le combat, d'autres allaient certainement arriver à leur tour. Il fallait presser le pas.

Le combat faisait rage. Et bien évidemment, ce n’était pas passé inaperçu. Après tout, avec l’arrivée de ces chevaliers mercenaires, c’était somme toute logique. Mais pour l’instant, le Sagittaire et le Cygne avaient l’air de gérer. La volée de pics de glace que le chevalier de bronze venait de balancer sur les sacs à vins qui tentaient de débouler avait suffi à refroidir leurs ardeurs. Le chevalier d’or venait d’ériger un mur de feu pour éteindre toute velléité de poursuite. L’alliance du feu et de la glace. C’était un mélange détonnant. Mais il n’avait pas le temps de s’arrêter à de telles considérations. Un chevalier au cosmos agressif lui faisait toujours face. Et un sourire carnassier se dessinait sur son visage pour toute réponse aux invectives de Cerbère.

Soudain, comme un flash, la forme de l’armure lui revint. Elle ressemblait à s’y méprendre à l’armure de bronze de la Grande Ourse dont Kalen avait vu la gravure à la bibliothèque. Etrange… Des chevaliers aux armures de ténèbres, copie de celles des chevaliers d’Athéna… Quelle merde… Ne pas avoir eu de maître le laissait dans l’ignorance de ce genre de subtilités qui, dans le feu de l’action, pouvait s’avérer d’une importance vitale.

Le chevalier d’argent esquiva une nouvelle attaque. Un coup d’œil par-dessus l’épaule de son adversaire lui permit de constater que tous les civils avaient embarqué. Helmwig y avait veillé. Il avait donc les coudés franches pour régler définitivement  la question sans risquer de dégât collatéral. Il sentait bien que son adversaire ne faisait pas le poids. Pour autant, il ne prendrait aucun risque. Se mettant en garde, l’écossais déclencha son cosmos qu’il avait laissé en veille jusqu’alors.

«Bon…Tu ne sembles pas décider à coopérer. Et moi je n’ai pas le temps de jouer à qui-est-qui. On en rediscutera donc après ta mort… Enfin, sauf si tu es muet…Bref…

EDGE OF A BROKEN HEART !!!! »

Sans davantage de formes et d’avertissement, il avait lancé son attaque. Son adversaire se figea. Ses yeux s’écarquillèrent et son teint devint cireux. Comme si, en un éclair, le souffle de la mort l’avait étreint. Il tomba à genoux puis face contre terre dans un bruit sourd. Terminus. Tout le monde descend. Son armure le quitta quasi instantanément, se reformant à ses côtés avant que sa cloth box ne vienne la rejoindre. Aussi noire que l’armure. Kalen s’en saisit en observa la gravure. La Grande Ourse. Il la passa sur son épaule. Il devrait la faire examiner au Sanctuaire. Pour comprendre. Il embarqua donc avec l’armure mystérieuse. Il se posta aux côtés d’Helmwig. Angèle ne tarda pas à les rejoindre. Kalen fit signe aux gabariers de lever l’ancre.  Les navires se mirent en mouvement dans la brume. La mission était rempli.

Citation :

HRP : Helm, tu clotûres ?