[Quête de camp] L'effet papillon (avec Hyujae)

Si son acolyte attitré prenait un plaisir certain à se couvrir tantôt de sueur tantôt d'eau, la jeune femme préférait de loin consacrer son temps presque libre à parfaire quelques enseignements d'ordre cosmiques ainsi qu'à faire connaissance d'une personnalité ... disons, multiple.

Elle avait eu maintes fois l'occasion d'assister au manège ritualisé du Bénou. Chaque fois qu'elle avait essayé de l'interroger... tenté de lui demander de devenir son élève, elle le trouvait dans la même posture d'entrainement acharné, sa silhouette déformée par les nimbes de chaleur émanant de la prison en elle-même. Il dansait à travers les brasiers, générant d'intense flammes noires et bleues, s'évertuant à devenir encore et toujours plus fort... visant à devenir une machine imbattable se disait elle alors en rebroussant chemin.

Sa mort... sa vraie première mort, n'avait pas été un sujet abordable depuis lors. Dejà taiseux de nature, il avait adopté comme stratégie d'évitement un silence pesant qui ne semblait pas l'incommoder, ou pire, lorsque sa jeune subalterne se montrait trop pressante, il tournait purement et simplement les talons.

Le voir ici, aussi fidèle à ce qu'il était avant cette guerre sainte, la surpris quelque peu mais chaque fois qu'elle constatait qu'il la regardait de trop près et trop longtemps, planté dans ses iris anormales, elle en oubliait d'aborder les sujets importants, déroutée.

« Les Fairies ? »

Cette espèce hybride entre les papillons et les feu follets étaient à Hadès ce que les corbeaux étaient à Odin. Découverte inquiétante donc mais était-ce si évident qu'il faille déranger sa majesté ?

« Est-ce que vous les avez chercher ? C'est une disparition certaine ? »

Elle se désintéressa de son activité, se concentrant sur le nouveau dilemme amené sous son nez.

« Je ne veux pas donner l'impression d'amoindrir l'information, mais sans une preuve formelle d'une disparition complète, je doute que déranger notre souverain soit une brillante idée. »

Elle fit une pause, inspirant légèrement en portant son regard sur la salle où devait se trouver le couple VVIP. Ce faible brassage de l'air amena à ses sens olfactifs le parfum étonnant du savon utilisé par son supérieur. Boisé et rafraichissant par ses notes acidulés surement dues au yuzu.

Elle se racla la gorge, baissant son visage vers le sol en souriant. Ce n'était vraiment pas le moment de jouer de l'amélioration de ses sens. Elle en apprenait tellement depuis qu'elle avait enfin pu étudier ce qu'impliquait d'être ce qu'elle était devenu en rendant son dernier souffle.

« Je vous propose de nous assurer que cette perte est véritable, ainsi que de trouver une piste à étudier si cela devait être le cas. Je refuse de simplement édicter un fait au seigneur Hadès, sans pouvoir lui proposer immédiatement une solution valable. »

Décidément ce parfum lui envahissait les sens.

« Qu'en dites vous ? »

La jeune femme regardait avec circonspection son ainé et supérieur donner libre cour à son humeur colérique. Un véritable bambin de 2 ans tapant du pied pour obtenir une sucrerie sur le marché local.

A ceci près que l'enfant, même en crise, ne faisait pas monter la température ambiante au point culminant d'un four en activité. Pour Hyujae plus à l'aise avec le froid et la glace, cette sale habitude du Bénou était réellement inconfortable.

Bien-sûr que la disparition des papillons infernaux était un drame particulièrement important sur lequel il fallait se pencher avec la plus grande attention, mais l'impétuosité de son partenaire ne ferait pas avancer leur quête...

… quoique...

Disparu sous les flots, fusant dans ce qui ressemblait à une plaie béante d'un géant de roche, le lieutenant parvenait à la joindre, l'enjoignant de le suivre.

Elle soupira, blasée.

« Pourquoi faut il toujours que tout se complique avec lui... »

A tout hasard, elle se força à donner de la voix en réponse à cet appel.

« J'arrive ! N'avancez pas trop ! »

A contrecœur, elle s'élança dans le Styx, direction Ryûichi.

* * *

Son « atterrissage » se fit à l'abri de hauts murs sombres, au cœur d'une nuit paradoxalement lumineuse. Cette lumière ne venait ni de torches, ni de feux, ni d'un phénomène de cosmos quelconque.

Non, cette lumière orangée provenait de sphères surmontant un tube de matière noire, dure et brillante. Elle avança d'un pas... puis de deux, sa surprise et son ébahissement augmentant à mesure qu'elle s'avançait dans la lueur.

Il faisait nuit, mais sur la place en face d'elle, déposées régulièrement, les sources de lumière éclairaient des silhouettes tantôt assises seules, tantôt discutant et riant avec d'autres silhouettes et ce dans un brouhaha d'un bruit rythmé tentant de mimer de la musique.

Elle ne connaissait rien de ce qui se déroulait devant ses yeux.

Ces êtres semblaient humain. Des humains habillés de tenues improbables. Leurs cheveux surprenants... leur dialecte incompréhensible... mais des humains.

« qu'est ce que... »

Des sortes de symboles étaient dessinés sur des murs, des maisons, des papiers... rien qu'elle ne sache déchiffrer. Peut être ici et là des chiffres reconnaissables.

1987 revenait souvent sur des panneaux de lumière ou des colonnes de papier présentant des images et des textes illisibles.

A y regarder de plus près, ils avaient surgis dans une ruelle à l'écart, et heureusement parce qu'à en juger par les tenues aperçues plus loin, leurs armures, ainsi que leur vêtements traditionnels au dessous feraient d'eux des cibles inratables.

Sans quitter du regard la scène de la place devant ses yeux, elle s'adressa au Bénou resté statique et muet, sérieux et impassible.

« Je ne sais pas où nous sommes mais si nous devons y circuler, il va falloir emprunter leurs tenues à deux passants. »

Visiblement la situation ne le privait pas de son sens de l'humour, ni de sa capacité à délester les autres pour se servir. À ce sujet, elle aurait préféré choisir elle même le sujet portant sa tenue pour les heures à venir mais le Bénou avait agis avec une vélocité déconcertante. Tant pis. Elle s’accommoderait de cet accoutrement … plutôt... inhabituel.

Elle portait une paire de jambes serrées noir, avec un hanbok rouge criard outrageusement court et serré lui aussi. Les chaussures étaient hautes sur ses chevilles et une sorte de gilet lourd et décoré de pointes de métal aux épaules lui permettait de cacher ses bras et d'avoir moins froid.

En marchant aux côtés de son supérieur, elle ne put s'empêcher de relever que la tenue qu'il portait avait de nombreux avantages. Le principal étant d'être bien moins flou quant à la silhouette du nippon et il avait raison sur une chose... son fessier était particulièrement visible … agréablement visible.

Sa contemplation ne l’empêcha pas de relever le jeu de mots vaseux … comme le parfum émanant d'eux après leur passage dans la boite à ordure … bien que son honneur lui intima de ne pas même sourire face à la nullité de ce calembour.

Contrairement à lui, elle ne sentait pas réellement les espions infernaux. Son attention était portée sur les us et coutumes des gens autours d'eux, cherchant à les copier aussi parfaitement que possible afin d'evoluer dans un milieu inconnu, donc hostile. Une chose revenait courrement : l'utilisation d'une monnaie pour acheter nourriture et boisson, en tout cas les gens portaient ses drôles de choses à leur bouche.

« Personne ne nous aidera si on dégage cette odeur... de plus, cet endroit semble être un ville dépourvue d'espace où dormir à la belle étoile. On va avoir besoin d'un endroit où se laver, être à l'abri des regards … manger si ça s'éternise... »

Devant le haussement de sourcils de son acolyte, elle baissa d'un ton.

« je sais que les spectres n'ont pas besoin de manger, mais ça me plait à moi de faire comme de mon vivant. »

Ils arrivèrent peu à peu dans une rue plus grande, plus lumineuse, bordées de grands murs transparents et limpides comme de l'eau. De l'autre côté il y avait des objets à vendre, de la nourriture... des choses dont le nom lui était inconnu... tellement d'inconnus...

« Peut être qu'on devrait se concentrer sur les preuves du passages des fairies ? Des perturbateurs cosmiques de cette puissance, forcément, ça doit créer des altérations relevées par les autochtones. »

Sentant une lourdeur sur ses flancs, comme un déséquilibre de charge à la marche, elle tâta le gilet, y découvrant des poches qui n'étaient pas vides. Un rangement visiblement ... des clefs ? ... un paquet de tubes blancs accompagné d'un objet à la fonction inconnue... un carré de métal mou et souple semblant lui aussi contenir quelques chose.

Cest à la vue de cet objet visiblement qu'un passant, jeune, semblant ivre et plutôt joyeux leur adressa la parole en débitant un flot de mots incompréhensibles. Des sons en désordre tout au plus.

« Mianhae'yo... uri... »
« aaah ! Hangukmalhae ? »

D'accord, ce n'était pas du coréen formel et il n'était pas grammaticalement correct mais la jeune femme sauta sur l'occasion. Le jeune homme semblait les avoir pris pour un couple de touristes en recherche d'un endroit pour … s'unir. Elle ne nia pas, s'appuyant sur le fait qu'une chambre d'auberge serait parfaite comme QG. Il leur indiqua un lieu visiblement attrayant et les quitta en leur souhaitant un bon moment.

L'endroit ne payait pas de mine mais il avait l'avantage de proposer des chambres à un tarif compatible avec les pièces et billets trouvés dans leurs poches et le rangement carré trouvé dans la poche du gilet. Quand on leur octroya une chambre pour deux, avec un seul grand lit, ils s'en accommodèrent, s'émerveillant silencieusement de ce qu'ils appelaient « la salle de bain ». D'ailleurs une fois seuls, ce fut la premier passage obligé. Elle y passa la première, servant d'utilisateur test pour trouver les mécanismes qui feraient couler l'eau tiède. Les crèmes sentaient bon... les savons aussi.. tout sentait terriblement bon et faisait de la mousse. Malgré tout, ce monde n'était pas le sien et dès le lendemain il faudrait se pencher sur les nouvelles locales, ou mondiales … peut être que des gens avaient vu les fairies ? Peut être les fairies avaient elles bouleversé ce monde ?

Ils avaient échangés leur place, lui sous la douche, elle assise sur le pied du lit, occupée à décortiquer chaque détail inconnu, et il y en avait beaucoup. Des dessins simplistes expliquaient aux gens qui ne lisaient pas cette langue, de comprendre le fonctionnement des objets. Lorsqu’elle compris l'utilité du carré de métal mou qui avait amusé le jeune homme ivre, elle rougit vivement, le balayant sous l'oreiller.

Il fallait faire vite. Trouver les espions infernaux et rentrer aux enfers. Rapidement. Ce monde avait de drôle de coutumes et puisque l'adage disait que qui ne tentait rien n'avait rien, elle laissa son cosmos se diffuser autour d'elle, signifiant aux protégées du Bénou qu'ils étaient là eux aussi, venus les aider et les ramener.

Les yeux plissés pour supporter les vives lumières saccadées et le bruit que les autres semblaient prendre pour de la musique sur laquelle danser, elle restait absorbée par les déambulations spasmodiques des « danseurs ». On aurait dit qu'ils avaient tous pris cette décoction d'herbes chamaniques que les religieux de son village absorbaient pour entrer en contact avec les défunts.

Il y avait pourtant un côté positif à ce lieu d'escapade incongrue... Ici, et ce depuis leur arrivée dans la ruelle qui lui semblait lointaine, ses yeux dit du démon n'avait été relevés par aucune personne rencontrée, pas même un regard étonné. Quel sentiment agréable...

Un aigüe plus haut que les autres lui vrilla les tympans, la retranchant un peu plus loin des basses, là où d'autres personnes étaient assises sur de hautes chaises face à un homme servant des liquides colorés après les avoir secoués comme un damné.  

« Qu'est ce que je te sers ma belle ? »

Elle plissa le nez, marque d'une réflexion intense, muette.

« Ok. T'es pas du coin ? Tu parles pas ? On va dire que t'es pas du coin.»

Et il avança vers elle un petit verre étroit rempli d'un trio de couleur franchement jolies.

« Tiens »

Nul besoin de comprendre le dialect du coin pour saisir l'invitation. Elle s'assit à une place libre, et trempa ses lèvres dans le breuvage intrigant.

Savoureux. Plutôt doux bien qu'elle puisse sentir l'alcool en second plan. Elle aurait bien voulu lui demander la recette mais la barrière de la langue stoppa net ce début de prise de contact.

« C'est bon hein ? »

Sa deuxième lampée plus franche fut une réponse plus nette qu'une phrase de remerciement, entrainant le rire bonhomme du barman.



Préférant de loin l'activité boisson à celle de la danse, elle avait descendu quelques verres de plus, se réjouissant des goûts suaves et sirupeux variant du makeoli et du soju.

C'était peut être dû à ces couleurs ingérées qu'elle butait sur un tableau féérique depuis de longues et sublimes secondes. Un tout jeune homme, plus jeune qu'elle, dansait différemment des autres. Il était à l'écart, presque dans une réalité autre. Ses yeux clos donnaient à son visage encore poupin une expression de béatitude touchante. Ses mouvements étaient souples et graciles, hypnotisant de beauté tandis qu'il se balançait d'une manière presque mélancolique. L'espace d'un instant elle avait cru qu'il portait sur lui une pièce de tissus faite d'ailes de libellule ou d'écailles de poisson et de nacre, mais non, en plissant les yeux, la vérité se dévoila.

Les Faeries accompagnaient sa danse... se lovant autour de ses membres comme l'onde glissant autour d'un rocher impétueux décidé à ne pas quitter le lit de la rivière. Parfois il n'y avait à la vue que leurs ailes miroitantes dissimulant tout à fait le rêveur esseulé puis il apparaissait, inconscient de ce qui se jouait.

Le message télépathique de son supérieur la tira de sa contemplation sans qu'elle ne sursaute, prouvant qu'elle s'habituait à ce mode de communication.

« C'est magnifique.... »

Consciente que là n'était pas la question et qu'elle avait laissé échapper une bribe de pensée involontaire, elle quitta son poste de surveillance pour se rapprocher de son accolyte, s'adressant à lui dans le même vecteur.

télépathie:

Courir avec ces foutues chaussures bizarres était sacrément glissant et problématique mais elle finit par rejoindre son supérieur sans s'être cassé la figure, exploit si on devait compter les verres absorbés.

En arrivant sur les lieux, un sentiment oppressa son cœur instantanément. De la peine sincère et profonde... comme un élan d'empathie que le Bénou semblait incapable de ressentir si elle en jugeait par le ton de sa voix et sa posture dominante.

« Attendez... »

Elle se faufila devant le nippon, s'interposant entre lui et le jeune homme terrifié, tendant d'un main tremblante un lame ridicule. Elle souffla discrètement, portant son regard sur les Faeries alentour, spectatrices protectrices de la cible découverte.

« Je crois qu'elles nous aident à nous comprendre. Peut être même qu'elles essaient de nous guider vers quelque chose... ou quelqu'un ? »

Elle s’accroupit, allant aux devants de l'autochtone.

« Je m'appelle Hyu et voici Ryû. »

A y regarder de plus près, le presqu'adolescent était famélique... ses vêtements élimés et ses chaussures d'un autre âge. Quelque chose n'allait pas non plus dans son regard... comme un relent de malheur camouflé derrière une illusion opiacée.

« Aucun de nous ne te fera de mal..., Encore moins si tu voulais bien ranger ta lame. Ça rendrait les choses plus simples pour nous tous. »

Il hésitait.

Son regard rendu trouble pour l'abus de buvard allait de lui à elle en passant furtivement sur la ruelle menant à la boîte quittée précipitamment.

« Si tu commençais par donner ton prénom ? »

Peu à peu sa main se lassa d'être tendue et descendit peu à peu sur la cuisse habillée d'un jean's stone.

« G... » il se racla la gorge, déglutissant péniblement. « Günter. Je m'appelle Günter. »

Hyujae sourit, attendrie. Ce gosse l'émouvait véritablement. Ce n'était d'ailleurs pas seulement de son seul fait. A y réfléchir, elle commençait à se demander si les Faeries n'infiltraient pas dans son être une pulsion d'affection envers cet être somme toute inconnu.

« Merci. Tu as faim Günter ? »

La question aurait presque pu être grossière tant son état de santé semblait évident. Il n'eut pas le temps de répondre par l'affirmative que les espions infernaux voltigèrent autour de lui, irradiant de leur lueur nacrée sur les joues blafardes du jeune homme.

« J'ai... J'ai pas de thune. »
« Je sais. »

Elle sentait le Bénou s'agiter dans son dos. Agacée qu'il ne soit pas capable de rester patient face à un gamin en détresse, elle se retourna, lui jetant un regard noir ourdi de reproches cependant son air farouche s'effaça immédiatement.

Il lui tournait le dos, son aura violacée ourlée de noir se diffusant lascivement autour de lui. Non loin, un groupe d'hommes approchait, nerveux, grognant entre eux des mots qu'elle ne saisissait pas.

« Dieter... »

Günter gémit, se tassant sur lui même en cherchant à disparaitre dans les sacs d'immondices.

« Ryûichi... »
« Veilles sur lui … j'm'en charge. »

Il fallait se montrer honnête envers le lieutenant, il avait dans le sang cette facilité au combat. Hyujae n'aurait jamais cette spontanéité dans les empoignades. Elle, il fallait qu'elle travaille avec acharnement pour atteindre la cheville de son mentor.

Cette capacité au combat n'avait pas échappé au jeune homme resté incrédule, son regard perçant ne quittant plus l'abdomen du premier sbire ayant reçu le poing chargé d'énergie du Bénou. Brûlé et déformé, le type gémissait dans les détritus, ses mains n'osant pas toucher les bords de la plaie. En vérité, même durant sa vie de thanatopracteur, la blessure aurait été qualifiée de sale. En soit, la cautérisation évitait qu'elle ne le devienne réellement, mais à regarder, par effet miroir caractérisant la pensée humaine, ce cratère fumant était choquant.

C'était un tableau qui n'aurait pas ému quiconque aurait eu le moindre contact avec le monde qu'elle avait embrassé à sa mort mais visiblement le jeune Günter ne s'en remettait pas. Il ne donnait pas non plus l'impression de voir ou ressentir le ballet incessant des faeries autour de lui pourtant elles étaient là, comme inquiètes et nerveuses, se déplaçant tantôt lascivement tantôt par saccades désordonnées mais toujours... toujours... à moins de deux centimètres du jeune homme.

Hyujae profita de son absorption pour secouer la tête négativement face au nippon.

télépathie:

« Il faut appeler les secours. »

Aussi blême qu'une forme spectrale, Günter parlait bas, articulant à peine.

« Il faut surtout qu'on parte d'ici. Ses collègues sauront prendre soin de lui dès qu'ils sauront eux même en état. »

Le jeune homme ne bougea pourtant pas d'un iota, anesthésié durant de longues secondes. Alors que Ryuichi commençait à s'agiter, agacé, lentement, il cligna des yeux, détachant son regard du bourreau corrigé. Il sembla découvrir les deux spectres le couvant du coin de l'oeil, s'extirpant du bourbier où il végétait depuis sa sortie du club.

« Ma veste est à l'intérieur, j'en ai besoin, tout ce que j'ai est dedans. »

Comme à son habitude lorsque sa patience était mise à mal, le Bénou grimaça en levant les yeux au ciel, bottant en touche vers Hyujae qui accepta la mission de surveillance rapprochée. Günter semblait glisser au dessus du sol, vaporeux, les fairies le dissimulant parfois au regard du Tengu.

Cette dernière marqua une pause, rechignant à retourner dans les stromboscopes et les basses vrillant ses tympans. Elle ne perdit le visuel que le temps d'un souffle mais déjà à l'intérieur des voix s'élevèrent, antipathiques, clairement menaçantes. Elle s'élança, son propre cosmos bleuté abaissant la température au plus proche d'elle, transformant son souffle en une nuée de condensation.

Elle n'eut que le temps d'apercevoir chaque personne, chaque parcelle d'être humain disparaître sous un amas multicolore de faeries et finalement … parfaitement... sans laisser aucune trace … s'évaporer comme téléportés.

Il ne restait rien, pas même les vêtements. Purement et simplement … évacués.

Derrière elle, elle sentit la présence du Bénou mais rarement elle ne l'avait entendu exprimer sa surprise presque admirative.

« Le fairy thronging »
« Quoi ? »

Il n'eut pas le temps d'expliquer quoi que se soit que leur protégé s'effondra, inconscient, avachi comme un pantin désarticulé.

« Il faut qu'on se casse d'ici. Ramasses le et si on nous cherche des noises sur la route, files directement à la chambre. Je vous y rejoindrais. »

Elle acquiesça, le gamin sur le dos, et prit la direction de l'hôtel, Ryuichi ouvrant la marche, imperceptiblement sur ses gardes.

Restée seule avec celui que Ryu disait être le spectre du Papillon, elle s'assura qu'il ne pourrait pas s'enfuir – on ne sait jamais – et maudit l'inconfort de cette tenue décidément peu pratique pour bouger. Qu'est ce qu'elle aurait donné pour un hangbok...

Puisqu'il ne semblait pas apte à se réveiller rapidement, elle opta finalement pour s'asseoir sur le fauteuil à côté du lit, couvant du regard l'être chétif respirant si lentement qu'elle en arrivait à croire que chaque souffle serait le dernier.

En y réfléchissant bien, cette information expliquait sans doute le pourquoi de la présence des faeries en nombre et si proche d'un être humain. En attendant, elle ne comprenait pas pourquoi venir jusqu'ici, jusqu'à cette période éloignée de la leur qui plus est, pour un spectre qu'elle jugeait plutôt banal puisqu'il n'était ni Juge ni lieutenant.

Günter gémit, se tournant sur le dos, agité.

Comme chaque fois les faeries s'approchèrent un peu plus de lui, le couvrant de leur éclat irisé, l'apaisant dans la seconde. Ce n'est qu'une fois parfaitement éloigné de tout trouble qu'il ouvrit les yeux sur la chambre, incrédule.

« Je suis où ? »
« Dans notre chambre. Il faut qu'... »
« … où est l'autre ? »

Elle pinça les lèvres devant l'impolitesse.

« Il est parti chercher de quoi nous sustenter, toi surtout. »

Il ne répondit pas immédiatement, cherchant quelque chose dans la pièce et ne le trouvant visiblement pas, il s'attarda sur la jeune Coréenne.

« Toi et ton copain... »
« Ryûichi n'est pas mon copain, il est mon supérieur. »

Il se ferma, un pli soucis barrant son front.

« Vous êtes des genres d'agent secret ou expériences de l'armée c'est ça ? »
« Pardon ? »
« C'est ça non ? Comme dans les comics avec les mutants … votre chef … c'est un invalide chauve c'est ça ? »

Sourcils froncés, elle faisait un véritable effort de compréhension mais vraiment... réellement... Hadès ? Chauve ?

Elle éclata de rire.

« Ah non... non non... Hadès n'est ni invalide ni chauve. Les dieux ne sont pas chauves. »
« Bouddha si. »
« Peut être mais ça faut voir avec le chevalier de la Vierge. »
« Qu... Je ne comprends plus rien à cette conversation. »

Cette fois elle retrouva son calme, s'éclaircissant la gorge.

« Pour faire simple et court, Il est l'un des lieutenants de sa majesté Hadès, Dieu des Enfers et souverain des morts et avant que tu me coupes en me traitant de folle, tu l'as vu se battre, tu as vu la trace de son poing de feu sur le type dans les poubelles. Cette histoire de mutant prouve seulement que tu sais que nous ne sommes pas de simples humains. Et Ryûichi pense, en fait il sait qui tu es. »

Moins agité et enclin à nier tout en bloc qu'elle ne l'aurait cru, il hésita, l'air franchement intéressé.

« Et ? Je suis ? »
« Depuis que tu as fait disparaître la population entière de la maison à musique, il pense que tu es comme moi, un spectre au service de sa majesté, choisi par un surplis, une armure donc. »

La porte s'ouvrit sur un Ryû chargé de sacs de nourriture à emporter, certains libérant de la fumée.

« J'espère que c'est pas aussi imbouffable que c'est imprononçable. Allez, à table papillon. »

Il déposa sans ambages les victuailles sur le pied du lit, posant son regard cola avec tant d'intensité sur le jeune Günter que ce dernier se prit à rougir.

L'espace d'un instant une peine latente s'empara de ses sentiments devenus chaleureux et presque enjoués. Günter avait beau être le produit de son milieu et de son époque, constater que des siècles plus tard rien n'avait changé pour ceux au teint sombre la désola douloureusement, comme un coup physique transperçant son sternum, déposant quelque chose qui garderai intact le sentiment de cet instant.

Contrairement à son supérieur aux réflexes bouillant, sa bouteille de bière se constella d'un givre bleuté qui disparu presque aussitôt. Elle ne devait plus laisser ses émotions régir son cosmos. Elle avait « grandit » et Ryu le lui avait assez répété, « un spectre digne de ce nom puise sa force dans son contrôle. Tu ne peux pas laisser ton pouvoir être dominé par tes seules émotions. C'est peut être un moteur pour le moment mais quand j'en aurais fini avec toi, si tu n'es pas capable d'agir sans être submergée par la peur ou la colère, tu finiras en cendre. »

Il n'avait pas menti. Sa main à l'instant gelée, avait était vaporisée dans le souffle ardent du Bénou, la dévorant jusqu'à l'épaule. Le nippon pouvait se montrer d'une férocité atroce, impitoyable.

C'est sa voix pâteuse qui la ramena à Vienne, à cet instant précis où elle intercepta son regard vitreux surmontant un sourire imbécile, alcoolisé et libidineux. Hyujae était peut être vierge mais pas innocente de ses choses là et des expressions comme celle là, elle en avait vu bien souvent dans les maisons de Gisaeng qui l’hébergeaient contre quelques pièces. Les hommes, nobles, riches, du moine jusqu'au ministre, ils avaient tous ce visage lorsque les gisaeng les plus rusées ôtaient leur « gilet » de hanbok, dévoilant leurs épaules, bras et buste pâles. Ivres et hypnotisés par la peau nue, rares étaient les mâles capable de garder leur sang froid et la langue dans leur poche.

Elle baissa le regard sur sa tenue, pestant silencieusement sur la coupe du vêtement ne cachant rien de la forme de sa poitrine trop opulente … de ses hanches généreuses... de ses jambes aux cuisses charnues.

Visiblement le bénou en pinçait pour les silhouettes plantureuses. Information intéressante et possiblement exploitable.

D'un geste calculé, faussement ingénu, elle esquissa un geste de pudeur qui dévoila un peu plus ses charmes, allant jusqu'à envoyé un clin d’œil si furtif qu'il était peut être passé inaperçu. Elle allait en rire, s'amuser de leur ivresse mais, bien que ce ne soit pas la mission qui la ramène à de plus sages considérations, une pensée fugace la saisi. Elle n'aurait peut être pas repoussé le spectre s'il avait eu l'idée étonnante de l'attirer à lui.

A cette image, elle rougit, décidant fermement de se concentrer sur la mission encore inachevée .

« Günter... Tu dois venir avec nous. Je préfère que ça soit de ton plein gré mais s'il faut en arriver à des mesures plus musclées, ce sera fait. Les Enfers et sa majesté ont besoin des faeries et visiblement ces dernières affichent leur besoin de toi. »

Elle marqua une pause, surprise de son silence.

« Je n'avais pas plus de famille ou d'amis que toi lorsque j'ai été choisie pour rejoindre Hadès. A défaut d'y trouver père et mère, j'y ai une fratrie. Nous sommes loyaux les uns envers les autres et si certaines personnalités sont plus retorses elles n'en sont pas moins composantes de notre unité. Tu ne sera plus seul, livré à toi même. Tu n'auras plus à combler une existence creuse par tes substances trompeuses. »

« ça semble trop beau. »

Ryu émit un petit rire, mi amusé mi désabusé.

« Et encore, Hyujae ne t'as pas parlé de l'immortalité. »

Choqué, Günter se releva trop vite et perdit l'équilibre, retombant sur le bord du lit, hagard.

« L’immortalité ? »
« Ouais. »
« Ne jamais mourir ? »
« Ouais ... »

Elle hésita, se dandinant sur son fessier pour s'approcher un peu plus.

« en fait... disons qu'aucune mort n'est permanente. »
« On s'en fout Tengu. »

Il avait tellement grondé, qu'elle en baissa les yeux, consciente qu'il reprenait la main.