[Novembre 1755 - Flashback] [PV Vranek] Jouons, dansons sur les cadavres et les cendres blanches.

Novembre 1755 - Sur une île perdue dans la Mer de Norvège

Qu’importe où se pose mon regard, je ne distingue que des cendres et des ombres. Ici-bas, la poudre blanche devient grisâtre, tandis que s’élève une odeur reconnaissable entre mille. Elle brûle mes narines, autant que la pourriture s’infiltre dans les pages de mon livre. Mes souvenirs sont encore vifs, n’en déplaise à ceux qui préfèrent l’oubli. J’en fais partie.

Des Hommes et des Dieux ; des joueurs et des pions qui évoluent sur un plateau cosmique.

Autour de moi, tout se teinte de noir. La brise salée me remémore de belles années, des erreurs que j’ai commises, l’insouciance qui, parfois, les désespérait tant. Ce miroir, je l’ai brisé de mes mains. Ils ne sont plus là, à présent. Comment pourraient-ils se retrouver sur une telle île, de toute manière ? Ces réflexions, je m’en accommode, quand bien même je les redoute encore.

L’Impératrice déchue ; cette nomination illustre parfaitement le cas présent. Elle aussi, a disparu.

Je m’avance à travers les arbres enneigés, écarte les branches d’une main. La seconde maintien ma cape et ma capuche en place, dont les contours en poils grisonnants dansent avec le vent. Puis, subito, mes pas cessent. Dans ma tête, la mélodie ne tourne plus en rond ; elle se tait à mesure que les bruits humains se renforcent et, peut-être se rapproche. Qui penserait qu’une âme se trouverait dans ce bout de terre perdu au milieu de la mer ? Une illusion, probablement. Comme souvent.

Un haussement d’épaule, et déjà la marche reprend-elle, aussi lente qu’auparavant. Nous verrons bien ce que nous dénicherons en continuant par là-bas. Peut-être aurais-je dû la prendre avec moi, au lieu qu’elle reste à surveiller le campement…

Et toujours cette bourrasque dans mon cœur qui me souffle : quand joueras-tu de nouveau ?

Depuis combien de temps était-il ici ? Le temps était devenu une chimère. Son carnage, pourtant encore ancré parfaitement dans son esprit, lui semblait si loin à présent. Pour l'enfant des eaux, chaque jour depuis qu'il a échoué sur ce rocher se ressemble ; s'entraîner sans relâche jusqu'à l'épuisement. L'armure qu'il a aperçu brièvement en arrivant ici l'obsède, jusqu'à en rêver. Vranek le sait, il doit devenir plus fort, maîtriser sa nouvelle force. Alors seulement elle reviendra, et avec elle, les réponses sur sa nouvelle condition, sur ses nouveaux objectifs. Pour l'instant, il n'est qu'un jeune homme perdu sur une île, en pleine toundra norvégienne, le froid mordant sa chair à chaque bourrasque.

Bien heureux si il le faut que son tuteur, avant la trahison et la tragédie qui s'en suivit, ait eu la présence d'esprit de lui apprendre les rudiments de la survie, sans quoi il n'aurait pas vécu bien longtemps en ces terres inhospitalières. Cette pensée lui fit bouillir le sang, si bien qu'il se redressa d'un bond, se massant les tempes. Jetant un dernier coup d’œil aux braises mourantes de son feu d'infortune, il s'empara de sa cape en peau de bête et l'enfila. Si grande qu'elle lui arrive aux chevilles tout en ne laissant que quelques mèches blondes dépasser de l'habit. Par dessous, Vranek porte encore les preuves de ses méfaits. Sa chemise de lin grise est largement noircie par endroit, le sang séché et coagulé des villageois. Le porte t-il encore comme un trophée ou un souvenir ? Lui même n'en est pas certain.

Aujourd'hui n'est pas parti pour être différent d'hier. Vranek posa sa main sur un arbuste enneigé, puis concentra son énergie noire dans sa paume. Alors, l'arbuste déjà pas bien vigoureux, commença lui même à noircir, puis à craqueler par endroit. Une dernière pression et celui-ci éclata. Ses pouvoirs son réels, pas de doute. Il a depuis le temps, appris à les contrôler. Il semble pouvoir apporter la mort assez facilement à ce qu'il touche, comme la bête qu'il porte maintenant sur le dos. Autant dire qu'à cet instant précis,l'enfant béni se sent invincible. Et il le sera encore plus lorsqu'il aura accompli son objectif en ces terres. Il se mit à rire doucement, tout seul. Tous paierons le prix de l'opposition.

Soudain, un bruit lointain le tira de son songe mégalomane. Le jeune homme vit ici depuis assez longtemps pour reconnaître un bruit animal et cela ne semble pas être le cas. Tout sens aiguisés. Il fit un bond en arrière, le temps de se calmer quelques secondes. Est-ce que des villageois l'avaient retrouvé ? Ce ne serait pas un soucis,il les tuera. Est-ce quelqu'un d'autre? Peu probable, impossible de voir pourquoi quelqu'un serait là, si ce n'était pas pour lui. La respiration lourde,Vranek commença à s'enfoncer vers la source du bruit. Il n'eut pas à vagabonder bien longtemps lorsqu'il aperçu du coin de l’œil une silhouette, au loin, parmi les arbres enneigés. Une seule personne, c'est déjà ça. Le garçon allait montrer son bon côté, avant d'en savoir plus sur l'inconnu. Sait-on jamais.

« - Dites moi » Commença t-il, d'une voix portante, toute en continuant de s'approcher de la silhouette. « - Que faites vous sur mon île ? Vous êtes perdu ? » L'enfant des eaux s'arrêta, à quelques pas qu'il considérait suffisant pour sa sécurité, puis appuya son coude au premier arbre. Il affiche alors un grand sourire, très amical. Presque enfantin. Sa façade tandis qu'il évalue la situation.

Elle ne manque pas d’odorat ni de ressources ; je ne m’inquiète pas, parce qu’elle retrouvera ma trace sans mal si cela s’avère nécessaire. Pour l’heure, je préfère que ma partenaire reste en arrière et, comme à son habitude, veille. Ce havre blanc, je l’imaginais plus reposant, mais il ne cesse de me rappeler l’avant. C’est stupide, en un sens : cet avant n’est pas bien différent de l’enfance.

Entre les poudrins et la brume, leurs sombres silhouettes se dessinent. Elles ont perdu leur éclat et je peine à raviver la flamme. Certains l’acceptent, d’autres pas. C’est comme cela. Je n’ai pas le droit de m’en plaindre.

Elles s’engouffrent entre les branches nues, sans même toucher le manteau blanc de la terre. Leurs voix sont tues et leurs visages insaisissables. Aujourd’hui encore, elles ne me montreront rien des sentiments, ressentiments qui les habitent ; elles guident, vers l’obscurité comme vers la lumière. Alors, je m’avance, sans véritablement me soucier de ce que je trouverai, car il y a toujours des raisons cachées derrière leurs agissements. Or, les bruits semblent se rapprocher, m’indiquent qu’il est temps de m’arrêter. Tant mieux, je préfère contempler la forêt enneigée.

Une tête blonde m’interpelle de manière peu conventionnelle, mais je tarde à la comprendre. Il n’a pas l’air farouche, bien que prudent. Coite, mes lèvres restent silencieuses, tandis que mon regard s’évade autour. Celui-là même qui trahit mon incompréhension. Je penche la tête, incertaine, ce qui libère quelques mèches sur mon épaule.

— Votre…île ?

Un brin circonspecte, je m’interroge de vive-voix. Aussi, il ne me semble pas qu’elle porte un nom. Je n’ai rien remarqué de tel, en tout cas. Cependant, les Hommes sont exigeants, parfois irrationnels, lorsqu’il est question de « territoire ». Visiblement, j’ai pénétré dans le sien.
« Non, je pensais qu’elle était inhabitée. »

Vraiment désolée, c’est la suite à prononcer. Toujours dans le calme, faire le nécessaire pour éviter les conflits, pour ne pas déranger plus.

— Vraiment désolée, j’ignorais que cette île était un territoire occupé…

Oh, je suis curieuse, oui, mais je n’ai aucun droit de le questionner sur ses activités, sa présence ou sur ce que j’ai pu ressentir. Elles ne me guident jamais au hasard, mais me heurtent fréquemment à des murs comme celui-ci. Je le détaille toutefois, sans pour autant le fixer. Cet air, je n’y suis plus habituée et le noir sur ses vêtements m’interpelle un peu. Sales, peut-être effectue-t-il des tâches salissantes, manuelles, que sais-je. Je ne veux pas m’imposer, alors, à la place, mon expression change. Sans surprise, tout ce lit sur mon visage, y compris cette aide que je n’ose proposer.

— Ah, évidemment, je ne dirai rien sur cet endroit. Je n’ai rien vu…

En retrait, éternellement. Essaie de retenir la leçon, Marja. Pour une fois.

Lorsque le voile se leva sur l'inconnue, le jeune homme se détendit bien vite. En face de lui, une femme, l'air pas bien farouche. Son interlocutrice, aux cheveux de feu à en juger par les mèches dépassant de sa cape, se confondait en excuse envers l'enfant béni, dans une confusion pas vraiment maîtrisée. Fragile. C'est la seule façon dont il se qualifie l'individue devant lui. L'étiquette placée, Vranek ria chaleureusement une petite seconde. Au final il n'a rien à craindre. Si il y a une proie ici, ce n'est pas lui. Cependant un mystère subsiste pour le garçon : que diable fait-elle ici ? Préférant se confondre d'excuse, elle ne lui a pas donné la réponse qu'il attend réellement. Vranek mis rapidement cela de côté cependant. A en croire ses paroles, elle est prête à partir sans rien dire.

Mais ce n'est pas le projet de Vranek. Trop de raisons pour lui de la retenir ici. La plus raisonnable et simple à comprendre, c'est sans doute cette solitude qui le prend aux tripes. Bien sûr, le jeune homme répudie ses congénères et préfère les voir mort, mais la solitude est réel. Après avoir passer plusieurs mois seul sur une petite île, le contact manque. Bien sûr, cela il ne dira jamais à personne, lui même y compris. Il est devenu fort, physiquement et mentalement. Il veut se jouer des gens comme ils se sont jouer de lui. Apporter la souffrance, voilà une meilleure explication.

Au delà de ça, Vranek veut en apprendre plus sur son invitée surprise. Il saura ce qu'elle fait là, même si il doit employer la force. Pour deux âmes, se retrouver dans un coin aussi perdu et reculé de tout, au même endroit où il a décidé de s’entraîner pour revêtir l'armure, ce n'est pas normal. Le garçon aux cheveux d'or le sait, rien n'est laissé au hasard. C'est bien pourquoi il a échoué ici en premier lieu, d'ailleurs.

Vranek porta sa main gauche sous son menton, l'air pensif quelques instants, alors toujours appuyé sur son arbre. Il dévisagea la femme de bas en haut. « - Vous avez sûrement fait long voyage. » un simple état de fait, sous entendu, dans quel but. Mais Vranek tût ces mots, il se sent en position de force, rien ne presse.

« - Excusez mes manières. J'imagine que ne pas avoir de contact pendant un moment nous rend un peu désagréable ! » Le jeune homme ria de nouveau. « - Venez dans mon abri. Vous pourrez vous reposer et vous réchauffer avant de partir. Il n'est pas loin, et ça ne vous fera pas de mal »

Comme si la nature elle-même accompagnait son plaidoyer, une violente bourrasque frappa Vranek de face, envoyant en arrière son couvre-chef. Les longs cheveux d'or du garçon se découvrirent complètement, descendant jusqu'à sa poitrine. Pareillement, son visage légèrement creusé par la malnutrition de sa vie sur l'île, tandis que de larges cernes entourent des yeux d'un ambre profond dont il s'efforce de garder un air bienveillant. Vranek pointa du doigt une direction quelque part vers la gauche de la jeune femme. Là bas se trouve une grotte, pas bien profonde certes, mais qui protège du froid et permet de passer les nuits. C'est le domicile de l'enfant des eaux.
Plus qu'à espérer qu'elle vienne de son plein gré, se dit-il une dernière fois.

Un long voyage, mais pas tant que cela. Tout dépend de quel point de vue l’on se situe. À vrai dire, je n’en suis pas sûre alors, pour unique réponse, un hochement de tête hésitant, à mi-chemin entre l’approbation et l’infirmation. Juste un faible mouvement, comme toutes mes interactions jusqu’à présent. La question pourrait aisément être retournée, si je voulais me montrer indiscrète. J’ai du mal à croire que cette île lui appartient. Il ne s’y est probablement qu’installé, tant elle a l’air encore sauvage.

Dommage qu’elle soit restée au campement ; elle aurait sans aucun doute adoré partir en vadrouille.

Je m’étonne de ses excuses, chose que je n’attendais pas de prime abord. Les changements dans son comportement sont brusques, mais compréhensibles jusqu’à un certain point. En soi, il n’a pas tort, même si ne pas avoir de contact pendant un moment peut également être plaisant. Effectivement, c’est ce que je lui réponds alors à demi-mot, dans un semblant de sourire. Moi non plus, je n’ai plus l’habitude de croiser du monde. Je ne le cherche pas non plus.

— Faisons comme cela alors, merci pour votre offre.

Je l’accepte pour un temps. De toute manière, il ne m’acceptera pas éternellement sur son territoire. Il serait étrange qu’il en soit autrement. Après tout, ne sommes-nous pas des animaux réputés territoriaux ?
Une rafale déplace son chapeau et, après avoir ramassé mes propres mèches, je tends rapidement ma main pour essayer de rattraper quelque chose qui, somme toute, n’est pas tombé. Un geste que j’arrête finalement, comme figé dans le temps, me sentant un peu bête. Suivant tout d’abord son doigt vers la gauche, je me décide finalement.

— Avant cela, trouvons de quoi faire un repas si vous le voulez bien. Vous n’avez pas l’air de manger à votre faim.

Pas de chasse, évidemment, mais peut-être trouverons-nous des baies, des glands, des noix, des pommes sauvages, des champignons ou des graines d’asclépiades s’il y en a. Je ne suis pas certaine que l’on trouve tout cela, tentons quand même. Dans l’attente de son acceptation ou de son refus potentiel, je furète dans les environs pour dénicher quelques champignons et châtaignes ensevelies sous des couches de neige.

— Vous…êtes ici depuis longtemps ?

Décidément cette rencontre n'en devenait que plus pénible pour le futur marina lorsque son interlocutrice lui proposa de trouver quoi faire un repas car « il n'a pas l'air de manger à sa faim » pourquoi cette bonté soudaine ? Vranek grimaça. La dernière personne à avoir montrer de la bonté envers lui a fini au fond de l'océan, le corps mutilé par les coups de poignard. Autant dire qu'avec son peu d'interaction avec le genre humain, le jeune homme ne salua guère la proposition comme une idée alléchante. Haussant les épaules, il la regarda commencer à chercher dans la neige.

« - Je suis ici depuis quelques mois.. Je pense. Difficile de garder la notion du temps. » Bien qu'il lui répondit, il ne se joint aucunement à son effort. Si elle trouve quelque chose, tant mieux. Sinon il se débrouillera, comme à l'accoutumée. Il se montre déjà bien assez hospitalier envers l'inconnue.

Tournant les talons, il commença à se diriger vers la grotte, sa belle demeure lui ayant sauvé la vie durant mainte intempérie. Il ne vérifia pas si la femme le suivit, elle a accepté son invitation après tout, elle saura bien suivre le mouvement. Pas plus d'une cinquantaine de pas dans la poudreuse plus loin, Vranek arriva à l'entrée de la grotte. Bien que la nuit semble arriver, quelques lueurs du jour percent la sombre cavité. Le fond n'est pas visible, la grotte étant trop profonde. Mais une bonne partie l'est ; l'aménagement de Vranek est bien visible : au centre un cercle de pierre, avec en son centre du bois frais récupéré ce matin. Un tas de petit bois à côté, prêt à faire du feu. Sur la gauche, un vaste tapis de feuillages en tout genre, son lieu saint de repos.

Pénétrant à pied plein dans l'édifice, Vranek inspira un grand coup. L'odeur de mort qui l'envahit le ravit. En effet, en ces lieux, l'enfant des eaux étudie ses pouvoirs morbides, avec la plus grande innocence du monde. Tout animaux y passent, rongeur, gibier... Au plus profond de la caverne, dans l'obscurité, les os des victimes de ses entraînements jonchent le sol. C'est comme ça qu'il se sent bien, en compagnie de la mort. Ainsi, on ne peut pas lui mentir.

Usant du petit bois, le jeune homme s'attela à faire du feu tout en tournant son regard vers l'inconnue. Un grand sourire traverse son visage alors qu'il prend la parole. « - Je m'appelle Vranek. Et vous ? » Le feu commençait déjà à prendre. Il faut dire qu'après ses années auprès de Sven ou avec son année en solitaire pour accomplir son rite au passage adulte, le jeune homme est au moins très débrouillard quand il s'agit de survivre en milieu hostile. Il s'éloigna alors, pour s’asseoir sur son tapis de feuillages, s'adossant contre le mur froid de la grotte.

« - Venez donc vous installer près du feu » dit-il en l'invitant d'un geste de la main. Maintenant qu'elle avait rejoint sa demeure, il l'espère tout aussi à l'aise que lui. Après tout, ils vont passer un moment ici.

Inclinée, agenouillée pour dénicher quelques mets, je lance toutefois une œillade derrière moi ; il ne semble aucunement partager mon idée pour un bon repas. Pour autant, sans doute grignotera-t-il un bout lorsque les aliments seront sous son nez. Alors, je continue un peu plus longtemps, m’éloigne un moment pour attraper des baies recouvertes d’une fine couche blanche. La sacoche remplie, je me redresse et m’étire, toujours pensive. Difficile de garder la notion du temps dans un tel endroit, il est vrai. Cela étant, quelque chose me taraude encore.

Sans piper mot, je le suis à travers les arbres jusqu’à parvenir à cette fameuse grotte, plus hospitalière qu’il n’y paraît de prime abord. Au moins, elle est utile. Sans attendre, je le remercie d’un hochement de tête, puis vide mes trouvailles près du bois. L’odeur, bien que forte, ne me dérange pas véritablement. Elle ne me ravit pas, mais je m’en accommode avec facilité, puisqu’elle fait partie intégrante de moi. Lui aussi, doit en avoir l’habitude, s’il s’en sert de refuge depuis plusieurs mois. C’est silencieux, mais c’est bien comme cela.

— Marja

D’une simplicité déconcertante, tant mon attention est fixée sur le bois qui chauffe doucement. Je préfère également éviter les questions dérangeantes. À son invitation, je réponds par un nouveau signe de la tête, puis m’installe près du feu. Du regard, je cherche ce qui me permettrait de faire cuire les glands et les champignons, tandis que les baies et les quelques pommes survivantes restent sur le côté.

— Je suis surprise de trouver quelqu’un ici, ce n’est d’ordinaire pas le genre d’îles sur laquelle on rencontrerait autre chose que la nature. On y vient rarement sans raison… Si vous me permettez de vous le demander, comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ?

Dans un premier temps, j’exclus l’hypothèse du hasard. Bien que possible, il ne me donne pas l’impression d’envisager de quitter l’île, ni même d’avoir essayé de s’en éloigner. J’en conclus donc que l’explication est ailleurs, peut-être d’une nature similaire. J’esquisse les prémices d’un sourire morne ; peu de chance que ce soit le cas.

J’écarquille les yeux aux crépitements, puis retire le contenant en évitant les brûlures autant que possible. Un semblant de douleur pour une maladresse, le rebord que je touche s’en m’en rendre compte. Je grimace sur l’instant, mais cela passera bien assez tôt, et lui tend le tranchoir de fortune – qui n’est heureusement pas en bois. Pour ma part, j’aurai le temps de manger plus tard.

— Puisque nous sommes ici, dites moi si je peux servir de quelque manière que ce soit.

Évitons de prononcer les mots qui fâchent.

Le sang de Vranek se mit à bouillir, pourquoi ne pas profiter de l'instant présent sans se questionner ? Il est prêt à tout moment à bondir et l'amener dans la mort. Marja, comme elle se présenta, lui demandait comment il est arrivé sur l'île. Qu'est-il sensé dire ? « J'ai assassiné mon village d'adoption ait pris le large avec leurs corps pour échouer ici » ? Sans façon. Son accès de folie restera sous silence. Toujours prostré contre le mur, l'habituel sourire du jeune homme s'efface lentement pour laisser place à un visage empreint de mélancolie, le cœur toujours à vif, blessé par son père adoptif qui croupit au fond de l'océan en ce moment. Il lui fallait du temps pour rassembler ses pensées afin de trouver une réponse adaptée, aussi il ne bougea pas d'un pouce. Cet événement rend le garçon profondément triste et dévoré par la haine. Un mélange le rendant instable, imprévisible. Lui même ne sait pas ce qu'il va faire de la jeune femme. S'en débarrasser ? Se confesser et la tuer ? Faire comme si de rien était ? Plongé dans ses pensées, il ne s'occupait plus de ce que pouvais bien faire son invitée, jusqu'à ce que sa voix la tire une nouvelle fois de ses songes.

Relevant la tête, il se saisit du tranchoir tendu. « - Me servir.. » prononçant ces mots à demi voix, il se dressa alors de tout son long. Son sourire de façade a depuis disparu ; laissant place à un visage lugubre, sans émotion, si ce n'est du dégoût. Il a fait son choix. Vranek commença alors à augmenter son cosmos – toutefois, sans aucun contrôle – puis fixa son invitée dans les yeux.

« - Je suis arrivé sur cette île après un naufrage. Depuis, une armure m'appelle. » Après ces informations plus que concises, le prochain Charybde enflamma son cosmos. C'est la première fois depuis cette nuit maudite où il fait face à un humain. Il peut-être intéressant de voir ce dont il est réellement capable. Son corps est maintenant entouré d'une large aura d'un noir très profond, allant jusqu'à obscurcir les derniers rayons de lumière. Il lui fait face, apparaissant et disparaissant au gré des flammes dansantes. Difficile pour Vranek de distinguer bien plus qu'une silhouette, mais ce sera suffisant.

« - Si vous voulez me servir... Alors je vais devoir vous tuer. » Comme si le mot tuer avait un effet quelconque sur lui, cette phrase ramena un large sourire sur le visage du futur Charybde. Puis il lança le tranchoir, non pas en direction de la silhouette, mais de ses pieds. Son intention meurtrière se fit plus discrète, tandis que son cosmos s'allégea dans l'atmosphère. Bien que les contradictions de Vranek peuvent sembler incompréhensible, il décida de repousser la mort de la femme de quelques instants. Simplement car il est perdu. Lorsque le village a découvert les pouvoirs du garçon, ils ont essayés de le tuer. Est-ce que ce sera le cas de tout le monde ? Il doit savoir. Il en disposera après.

« - Alors qu'en pensez vous ? » Un sourire bienveillant. Est-ce de la joie à l'idée de faire une victime ? Ou est-il simplement redevenu lui même ? Lui seul le sait.

Vranek est pourtant toujours en position de combat, comme le lui a enseigné feu Sven, entouré d'une très fine couche de cosmos. Il sent la mort. Mais n'affiche plus l'intention de tuer Marja.

J’ai touché un point sensible, semble-t-il. Je hausserais volontiers les épaules, mais cela n’est guère approprié dans le cas présent. Je ne suis pas bête au point d’être étanche aux expressions ni à ce qui m’entoure. Chacun ses raisons, disons. Connaître le pourquoi et le comment ne me parait pas d’une importance capitale en l’état. Somme toute, je n’insiste pas davantage.

Autant être utile, un minimum, pour le temps qu’il me reste à passer sur cette île ; une utilité pour laquelle ce garçon a l’air d’avoir une idée bien concrète derrière la tête. Il s’enflamme et, cette fois, un soupir accompagne le faible haussement d’épaules que je retenais jusqu’à présent. Une chose est sûre : il devra apprendre, en douceur ou par la force.

— Une armure, c’est-à-dire ?

Pas que cela ne me dise rien, bien au contraire, mais la question se pose quant au type d’armure dont il est question ici. Nous n’avons pas le droit de dévoiler d’informations sensibles, pas si facilement, pas à ceux qui n’en soupçonnent pas l’existence. Ça m’intrigue, forcément ; qu’il précise donc sa pensée.

Dans un deuxième temps, je ramasse le tranchoir qui est planté à mes pieds, tranquillement, sans pour autant le sous-estimer ni me moquer. Si je ne m’attendais pas à trouver ce genre de gamin dans le coin, il en faut toutefois plus pour m’inquiéter. Ses intentions sont bien différentes des guerres que j’ai menées. Dans tous les cas, c’est mon avis le concernant.

Celestyna lui aurait renvoyé le tranchoir dans la seconde ; tu te ramollis, Marja.

À mesure que son aura oscille, mes réponses viennent d’elles-mêmes. Au final, c’est une méthode comme une autre pour expliciter ce qu’il qualifie d’armure. Autant lui montrer quelque chose de similaire et d’incomplet ; quelque chose qu’il pourrait reconnaître, d’une manière ou d’une autre. L'incomplet n'est qu'une façade, mais qu'importe. Alors, ce que j'en pense...

— Que vous pouvez essayer, si vous vous sentez d’attaque… Je ne peux pas vous aider à trouver votre armure, quelle qu’elle soit, mais semble-t-il que je puisse enseigner dans une certaine mesure…

Comme je le disais, apprendre en douceur ou par la force ; le choix de la méthode lui revient, et pas uniquement par le biais des mots.

Citation :: Vranek peut l'attaquer ou non ; Marja agira et répliquera en fonction :)

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