[FB Styx/Atma] Sillage de haine

Quelque part en Turquie...

L'odeur dans le hall du temple était épouvantable, et les membres de l'expédition de fortune ne purent réprimer leurs instincts primaires, vomissant à même le sol maculé de sang et de restes humains. En ouvrant les grandes portes de bronze, ils avaient découvert cette scène d'horreur indicible, bien loin de s'attendre à trouver les lieux dans un tel état. Parmi eux, Atma s'était accroupi aux côté de ce qui semblait être un tronc démembré dont le visage était déformé par la souffrance d'une mort des plus violentes. Vêtu de sa longue cape de voyage qui dissimulait son armure de protecteur des hommes et de la justice, le chevalier s'était couvert le nez de sa main gauche pour limiter les effets sur son organisme de la suintante odeur de sang séché et de cadavre en décomposition. Même pour un sage comme lui, il était difficile de demeurer dans ce hall tout en gardant la pleine possession de ses moyens. Prenant sur lui, il s'adressa aux autres, qui n'osaient s'avancer plus dans cette horreur.

"- Ce sont bien les moines du temple. Voilà qui explique pourquoi votre village n'avait plus de nouvelles d'eux depuis des jours."

Affolé, l'un des villageois ne réprimer plus longtemps ses inquiétudes, et cria à l'assemblée :

"- Par les divins ! Quels monstres ont pu faire un tel massacre ? Ces moines étaient pacifistes, ils ne faisaient que vivre en paix dans ces murs !"

Un lourd silence s'installa tandis que le chevalier poursuivait tant bien que mal son analyse. Il avait connu les guerres et les pillages dans sa région natale, et il avait malheureusement une certaine expérience des décors que pouvaient engendrer l'horreur des hommes. Et pourtant, quelque chose ici ne collait pas avec ce tableau. La disposition des corps, l'ultra-violence qui se dégageait de leurs postures et des leurs expressions d'après-mort à peine discernables sur ce qu'il restait de leurs visages, sans parler de cette étrange odeur... presque imperceptible. Il y avait clairement ici quelque chose d'étrange, de quoi faire froncer les sourcils du sage.

Son voyage en direction du Sanctuaire l'avait conduit à un village au sein duquel il n'avait prévu que de passer une nuit tout au plus, mais le destin en avait décidé autrement, lorsqu'au petit matin, des hommes du peuple affolés étaient venus le supplier de les accompagner dans une expédition pour rallier leur temple dans les montagnes, et dont ils étaient sans nouvelles depuis près d'une demi-lune. Fort de son devoir de guide, il n'avait pu se résoudre à leur tourner le dos, et avait accédé à leur requête. Tandis qu'il s'efforçait de reconstituer dans son esprit ce qui avait pu se passer entre ces murs en semblant maudits, la tension montait d'un cran parmi les autres membres de l'expédition, le ton montait entre eux et peu à peu une étrange folie se dessinait autour de leurs yeux. Atma, qui était trop concentré sur les corps des moines, reprit son analyse et prononça son verdict glaçant, dans un ton parfaitement calme et monocorde :

"- Je crains qu'aucun monstre ne soit coupable, ils se sont vraisemblablement massacrés entre eux, animés par une haine que je qualifierais de surnaturelle et dont je peux encore sentir les relents. Restez dehors et éloignez-vous de ce lieu, vous ne pouvez me suivre dans le temple, l'endroit est encore dangereux."

Estomaqués par les révélations du chevalier, les hommes s'exécutèrent non sans grogner à la fois de colère et de panique et prirent leurs distances du hall en allant se réfugier dehors. Mais jugeant que cela ne suffisait pas, Atma se redressa prestement et alla refermer les lourdes portes de bronze derrière lui... il était désormais enfermé parmi l'horreur, et très vite les ténèbres naturelles du lieu, habituellement signes de recueillement et de paix, entourèrent le chevalier. Elles étaient cependant dorénavant présages de quelque chose de terrifiant.

D'un simple geste de la main, Atma invoqua une lumière psychique qui lui ferait office de torche pour progresser dans ce décor horrible. Aucune peur ne l'animait dans ce genre de situation, car il appréhendait la situation avec la sagesse et le stoïcisme du sage. Après tout il était le grand maître d'un autre temple bien loin dans les terres de l'Est. En outre, il était le porteur d'une puissante relique des temps passés, présents, et futurs :  l'armure  d'argent du Lotus confiée par une déesse au cœur bon et lumineux. Cette lumière, il s'en servirait de guide pour s'aventurer dans ce temple et tirer au clair ce qui avait conduit ces pauvres moines à s'entre-massacrer de la sorte.  

C'est d'un pas lent mais néanmoins serein qu'il s'enfonça dans les couloirs de pierre, n'écoutant que ses sens en parfaite alerte pour le guider. Sur le sol, d'autres cadavres se présentaient, avec toujours la même expression de haine dans leurs visages, comme si les démons des enfers eux-mêmes les avaient possédés le temps du massacre. A chaque nouveau regard de mort croisé, sa volonté était mise à rude épreuve, sans compter que cette étrange odeur se faisait de plus en plus présente et de plus en plus inquiétante.

En parvenant au détour de l'un des couloirs, la lueur de la torche cosmique éclaira une autre grande pièce, visiblement un lieu de prière à en juger par les bancs éclatés qui jonchaient le sol. Mais en lieu et place de ce qui devait être à l'origine un autel se trouvait une immense marque sombre, comme si le sol avait été brûlé en cet endroit précis par quelque pouvoir. Atma prit le temps de se pencher sur la marque et de la toucher tout en cherchant à faire résonner son cosmos avec elle. L'espace d'un flash, il se retrouva traversé par une onde de haine, qu'il parvint in extremis à repousser à l'aide de ses puissantes barrières mentales. Nul doute qu'un homme normal aurait été littéralement consumé par une telle vague. Le chevalier d'argent fronça les sourcils. C'était comme si ces marques correspondaient à l'apparition de quelque chose ici-même : une chose qui avait été invoquée, intentionnellement ou non, et qui était à l'origine de toute l'horreur qui s'était abattue sur le temple et ses habitants. A en juger par la très faible trace résiduelle d'énergie négative qui était encore présente sur la marque, la chose avait disparue depuis un moment. Néanmoins, il y avait encore cette étrange odeur qui parsemait l'air au sein du temple.

Non.... il en était à peu près certain, cette chose devait encore se trouver quelque part dans le temple ou bien dans ses abords. Et son devoir de chevalier d'Athéna était de tirer cela au clair. Reprenant ses esprits, il se redressa et entreprit de poursuivre son exploration des lieux. Plus il s'enfonçait dans les couloirs et les salles en pierre creusées à même la roche du flan de la montagne, et plus il se tenait en alerte de tout ce qui pourrait surgir face à lui et tenter de le posséder à son tour ; fort heureusement, ses barrières mentales n'étaient pas en reste. Pour les quelques hommes de l'expédition qui étaient restés dehors en revanche, on ne pouvait malheureusement pas en dire autant...

Apparence de Styx pour tout ce sujet:

Qu'est-ce que vous vous imaginiez franchement... Sa fille avait été abattue sans qu'elle ne puisse s'y opposer, sous le regard de SON père, dans SON propre royaume, et il n'avait pas levé un putain de petit doigt pour la défendre. Puis elle s'était rendue en Enfers pour réclamer son dû : la tête de cet empaffé de Dante qui avait osé s'en prendre à Niké. Dans l'idée folle d'y parvenir, elle s'était précipitée tête la première vers une mort certaine, en affrontant une guerrière de l'épaisseur d'une crevette, qui était malgré tout bien plus forte qu'elle. Une pauvre humaine... rien qu'une humaine... qui avait failli venir à bout d'un Titan mille fois centenaire. Comble de la honte, Lenalee avait tellement eu pitié d'elle qu'elle avait fini par l'épargner. Le déshonneur n'aurait pas pu être plus cuisant que celui-ci.
Puis elle avait joué les gardienne pour les Saints, elle ne sait même plus pourquoi maintenant. Pour finalement assister à la pathétique scène de guerriers censés être forts et valeureux, pleurant leur déesse protectrice comme des enfants de 4 ans.
Et puis elle avait décidé d'aller chercher son père, qui se trouvait en Asgard. Mais avant cela...

C'était vraiment, mais vraiment une journée de merde.

Alors ouais, je ne sais pas ce que vous vous imaginiez, mais les choses ne pouvaient clairement pas se dérouler ainsi. Trop de frustrations, trop d'accumulations. Il fallait lâcher du leste, vite, et faire en sorte qu'Océanos n'en sache jamais rien, car sinon elle se retrouverait scellée encore une fois en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Alors ouais... fallait que quelqu'un paye. N'importe qui, peu importe qui, au final. Mérité ou pas, cela n'avait pas la moindre importance.

Comme ça lui était déjà arrivé à plusieurs reprises, et presque à chaque fois qu'elle avait besoin de relâcher la soupape qui se remplissait bien trop vite à son goût parfois, elle laissa ses ombres la mener à un endroit au hasard. N'importe où dans le monde, avec n'importe qui. Et là où elle rouvrirait les yeux, sonnerait l'heure du trépas de tous ceux qui avaient le malheur d'être au mauvais endroit, au mauvais moment. La faute à pas de chance, on dira.

Un vacarme de tous les diables résonna dans le temple profondément niché au coeur de la montagne. Ne sachant pas à quoi ils avaient à faire, peut-être était-ce là l'apparition divine qu'ils avaient toujours espérée, la dizaine de moine rassemblée dans la vaste salle de prière fixait avec une certaine appréhension l'épicentre de tout ce bruit.
S'ils s'attendaient à voir apparaitre une belle vierge entourée d'un halo d'or et vêtue d'une tunique immaculée, ils ont du être bien déçus. Car trônant au centre d'une marque d'ombre, se tenait Styx, ensanglantée d'à peu près partout vu qu'elle n'avait pas eu le temps ni l'occasion de panser ses blessures, les vêtements sales et à moitié déchirés, le visage souillé de sang et de poussière. Une fois n'est pas coutume, ses très longs cheveux d'or qui trônaient normalement en un épais chignon au-dessus de sa nuque, croulaient sur ses épaules, partiellement en bataille.

"Putain... sérieusement..." Murmura-t-elle alors que son regard mordoré balayait l'assistance qui la fixait d'un air médusé, ne sachant visiblement pas trop quoi faire.

De tous les endroits où règnent des tas et des tas de pourritures en ce monde, il avait fallu que ses ombres la conduisent dans un lieu Saint... Un lieu où les humains ne font que prier pour le salut de l'âme des autres. Styx n'était pas particulièrement fan des humains, mais la plupart du temps, elle ne leur faisait du mal que dans deux circonstances. La première parce qu'ils l'avaient mérité. La seconde parce que la Haine faisait bien souvent des dommages collatéraux... et en l'occurrence.

"Bon bah on va voir si vous êtes aussi dégoulinants de compassion que ça... Désolée, le prenez pas personnellement" Lâcha-t-elle d'une voix dans laquelle ne pointait pourtant aucune once de remords, comme si elle savait déjà quel serait le résultat.

Elle prit place sur une grosse pierre, unique vestige de l'imposant autel de marbre qui se tenait là quelques secondes plus tôt, et elle assista au massacre sans broncher. Ces prêtres, moines, enfin appelez ça comme vous voulez, n'étaient pas des combattants. S'ils l'avaient été, ça aurait été moins dramatique que ce qu'elle avait sous les yeux à cet instant.
Car un guerrier sait où frapper, sait parer, sait se battre, tout simplement. Aucune des personnes rassemblées ici n'avait ce genre de connaissances. Donc... le spectacle aurait difficilement pu être plus atroce que celui-ci. Tous les coups étaient permis, et surtout les pires. Oeil arraché, morsures, griffures, objets de fortune qui percutaient tout ce qui passait à leur portée. Et cela... jusqu'à ce que plus un seul d'entre eux ne se tienne debout.

Du début jusqu'à la fin, la fille d'Océanos fixa la scène sans détourner le regard. Elle observa chaque boyaux extirpé d'un abdomen tendre, chaque doigt virevoltant dans la pièce comme une abeille, chaque filet de sang s'écoulant sombrement sur le sol. Rien ne lui échappa, et pour cause. A chaque fois, à chaque moment de dérapage comme celui-ci, elle avait toujours regardé, elle n'avait jamais baissé les yeux ni clos ses paupières. Pour une seule raison.
Ne jamais oublier ce que jamais elle n'avait révélé à personne, même pas son père. Ne jamais se pardonner d'être ce qu'elle était : un monstre. Et à chaque fois que le sceau se brisait, elle se rappelait. Elle se rappelait que si son père avait créé ce sceau, c'est bien parce qu'il pensait la même chose d'elle, sans jamais oser le lui avouer.

"Vous ne vous en êtes pas trop mal sortis pour des débutants" Lâcha-t-elle en se relevant, un sourire en coin, avant de tourner les talons pour s'enfoncer un peu plus avant dans les profondeurs du temple.

A chaque fois qu'elle croisait quelqu'un, cela se terminait toujours de la même manière. Car il était rare que les moines ne se déplacent pas minimum par deux. A chaque fois la même chose se reproduisait, inlassablement, encore et encore. A sa simple approche, le coeur des humains se gangrénait, se corrompait avec une facilité tellement effrayante. Et c'est bien pour cela qu'elle les détestait. Il était si facile de noircir leur joli coeur tout rose. Même les plus aguerris, même les plus croyants. Ils étaient peu nombreux, ceux capables de résister à l'essence de la Haine dans sa plus pure origine. Et ce faible nombre... ne méritait pas que l'on sauve toute l'humanité à lui seul.
Preuve en était encore aujourd'hui. Dans un lieu saint, empli d'hommes ayant juré de servir l'humanité par leurs bonnes ondes et autres foutaises débiles, même eux, n'avaient su résister à la haine. Et si eux ne le pouvaient pas... qui le pourrait.

La Titanide s'arrêta d'un mouvement sec, sans pour autant se retourner. Ses sourcils se froncèrent brièvement alors que la pénombre d'un four l'entourait. L'aura qui venait de se matérialiser à l'entrée du temple était aussi criante qu'un phare en pleine nuit de Nouvelle Lune. Une grimace s'afficha sur le visage de Styx alors qu'elle reprit sa route.
Et voilà, encore un boulet. Un chevalier, sans le moindre doute. Son cosmos dégoulinant de lumière rayonnait déjà bien plus avant que la position qu'il tenait pour l'instant. Et sur ce coup là... elle ne s'en sortirait pas, c'était certain.
Lenalee l'avait mise dans un état pitoyable et elle avait dépensé ses dernières forces pour se téléporter jusqu'ici. A la base, le plan s'était de se coller dans un lit, pas confortable vu le lieu mais tant pis, et de pioncer un peu en attendant que ses forces reviennent. Du moins assez pour qu'elle rejoigne son père sans avoir à se taper toute la route par les voies normales.

Mais là... ça allait encore compliquer ses plans. Il n'y avait pas d'issue. Plus elle s'avançait dans les profondeurs du temple et plus elle s'éloignait de la surface qui était la seule sortie dans ce genre d'endroit. Donc... eh beh quitte à crever, elle crèvera non sans un coup d'éclat supplémentaire. Ou à défaut, non sans envoyer royalement chier son adversaire.
Elle se plaça donc dans la pièce la plus éloignée du temple, s'assit en tailleur sur un lit, le dos adossé contre le mur, et attendit.

Il n'était pas difficile de suivre l'avancée de celui ou celle qui venait à sa rencontre. Il était tellement rayonnant qu'on aurait dit un éclat solaire se reflétant dans un bout de verre. Même de loin, il en était aveuglant, et par conséquent déjà relativement pénible au regard de la Titanide.
Lorsqu'il arriva aux abords de la pièce dans laquelle elle avait pris place et qui ressemblait à un mélange entre une cuisine et une chambre... une petite table, deux chaises, un lit qui accueillait Styx et une armoire sans âge ; les deux prunelles dorées de la Haine brillaient comme celles d'un chat caché au coeur de la pénombre.

"Eh beh... t'en as mis du temps. Lumineux mais pas vraiment le sens de l'orientation hein." Lâcha-t-elle d'une voix pleine de sarcasmes.

Quitte à se faire buter, autant que ça ne soit pas pour rien, hein.
Et puis elle vit... et voilà, putain, encore une armure d'Athéna. Mais qu'ils sont collants !

"Putain... Mais vous êtes casse couilles les Saints ! T'es venu me chercher jusqu'ici ?! Quoi, je ne vous ai pas assez aidés à faire le portier au Bélier ?! Vas pleurer ta déesse et lâche moi la grappe tu veux." Lui dit-elle, partant logiquement du principe qu'il l'avait suivie jusqu'ici, même si elle ignorait totalement comment, et qu'il savait parfaitement de quoi elle parlait.

Plus le chevalier progressait au milieu des couloirs délabrés du temple, et plus les ténèbres se faisaient oppressantes. A peine guidé par la faible lueur cosmique qui lui faisait office de phare, il avait conscience de s'engouffrer dans une situation des plus inconfortables. Les cadavres avaient cédé la place à la poussière et à la crasse, il comprit alors qu'il atteignait la partie la plus profonde de ce lieu maudit. Même les murs s'étaient rapprochés, signe que l'on se trouvait profondément enfoui sous la roche de la montagne. Le silence était très pesant, et l'impression d'être épié par les ombres était venue se greffer sur l'échine du Saint  à la manière d'une seconde peau glaçante. Très honnêtement, le sage s'attendait à ce qu'un démon lui saute purement et simplement à la gorge au détour de la prochaine salle. En vérité, il n'était pas si loin que ça de la vérité.

A peine s'était-il engagé sur le parvis de la grande chambre que deux yeux sibyllins le fusillèrent. Atma se figea brusquement face à cette apparition, dont les premières paroles peu loquaces parvinrent à ses oreilles sans pour autant faire mouche. Car par delà cette silhouette et ce regard au beau milieu des ténèbres, ce fut bien l'invisible qui s'attaqua immédiatement à son être, le projetant en dehors du temps et de l'espace. Quelque chose venait de le prendre à la gorge de sa psyché, sans concession et dans une violence inouïe. Cette haine à l'état pur, cette aura à faire pâlir le plus rouge des cœurs, cette corruption cosmique à la pression insoutenable : Atma en fut pris par surprise, lui qui avait pourtant dressé sa barrière mentale à un niveau critique pour pallier à toute attaque. Son corps ne bougeait pas, figé comme une pierre, ses yeux rivés sur ceux de son agresseur, dont les traits étaient encore voilés dans les ombres.

Atma se vit alors mentalement céder à cette haine pure : bondissant comme un lion affamé sur le lit, saisissant sa proie à la gorge et pressant ses doigts crochus dans sa chair, se délectant d'un sang qui n'était pas le sien, et finissant par se consumer de lui-même dans sa propre énergie destructrice : du feu à l'état sauvage pour purger ce monde d'une bête non moins sauvage; tel serait alors le sort qu'il mériterait. Tout sage qu'il pouvait bien être, il en serait dès lors réduit à un simple amas de chair putride et nauséabonde dansant autour de quelques os pourris jusqu'à la moelle. Il ne se passa qu'une brève seconde d'inaction la plus totale dans cette chambre, et pourtant le Saint venait de contempler sa triste fin s'il cédait ne serait-ce qu'un iota de terrain à toute cette haine qui s'en prenait à lui, de par la simple présence de cette entité.

Puis ce furent les nouvelles paroles de cet être qui ramenèrent le chevalier à l'instant présent et le sortirent de cette terrible torpeur. Encore une fois, les mots étaient d'une acidité à l'image du tourbillon de haine qui se déchainait sur son esprit :

"Putain... Mais vous êtes casse couilles les Saints ! T'es venu me chercher jusqu'ici ?! Quoi, je ne vous ai pas assez aidés à faire le portier au Bélier ?! Vas pleurer ta déesse et lâche moi la grappe tu veux."

Pour toute réponse, Atma reprit alors les rênes de son être et opta pour la seule option qui le sortirait de cette entrave auto-destructrice. Il regarda sa main encore crispée de colère et forma lentement un sceau devant son plexus solaire avant de fermer les yeux. Le son de sa voix trancha au vif :

"- Om..."

Tout à coup, une fine onde sonore à la teinte dorée naquit de sa main et se volatilisa dans toute la pièce, jusqu'à atteindre la silhouette elle-même. Dans une douceur évidente et néanmoins avec une force imperceptible, le son primordial de l'univers instaura l'équilibre des forces autour de son émetteur,  car telle était la capacité première de cette arcane mystique. Il ne s'agissait pas ici d'une attaque, mais bel et bien d'un rétablissement pur et simple de l'équilibre. Et là où les ombres et la haine s'étaient auparavant rendues maîtresses des lieux, une douce lumière chargée d'un sentiment de calme absolu se propagea et se maria avec elles pour former une atmosphère non pas pure, mais équilibrée et vivable, tout du moins pour Atma. L'onde permit même d'allumer quelques bougies qui étaient disposées ça et là sur une table centrale, sur un meuble plus conséquent au bord de la pièce, et même sur un guéridon de fortune qui se trouvait à côté du lit.

Cette faible lumière fut suffisante pour détailler enfin l'être qui lui faisait face. Atma en fut surprit lorsqu'il rouvrit lentement les yeux, à présent calmé grâce à son pouvoir. Il s'agissait d'une jeune femme, pas loin d'une enfant au demeurant. Très loin du démon auquel il pouvait s'attendre, il était confronté à ce corps à l'allure chétive, recouvert de vêtements en piteux états, les cheveux couleur de l'or en bataille pour ne pas dire ébouriffés, et par dessus tout couverte de sang. C'était bien simple, dans son état elle serait presque passée inaperçue au milieu des cadavres de l'entrée du temple. Et pourtant il n'y avait aucun doute à avoir : c'était elle la source de toute cette histoire. Le chevalier en avait désormais le cœur net : elle était la raison qui avait conduit ses pas de voyageur jusqu'à cette chambre poussiéreuse. Tout en affichant un visage parfaitement neutre et dépourvu de la moindre émotion, le Saint pénétra plus en avant dans la pièce et se dirigea calmement vers le grand meuble sur le côté. Il répondit enfin à sa "trouvaille" dans un ton non moins calme :

"- Je ne suis pas venu te chercher. Je ne suis qu'un voyageur et je vais où mes pas me guident, en l'occurrence ici et maintenant, avec toi."

Tandis qu'il s'adressait à elle, il ouvrait paisiblement les tiroirs de la grande commode à la recherche de quelque chose, chose qu'il trouva rapidement. Un très léger sourire de satisfaction s'afficha dès lors sur son visage. Il sortit un mortier et son pilon et quelques herbes séchées et épices qui l'accompagnaient dans l'un des tiroirs. Bien que n'étant absolument pas de la même confession religieuse que les moines de ce temple, il savait qu'il s'agissait de moines, et de ce fait il savait aussi quoi trouver dans une chambre de mentor en cas de besoin. Tout en commençant à broyer un mélange au mortier, il reprit :

" - Tu as cependant raison, je suis bien un Saint, bien qu'encore un étranger pour eux. Tu dis que je devrais pleurer ma déesse, j'imagine que tu veux parler d'Athéna. Si je dois comprendre par là qu'elle nous a quittés, alors je ne peux que me réjouir. Le cycle de la mort et de la vie est primordial, elle nous reviendra plus forte d'avoir connu un autre de ces cycles."

Une fois son mélange d'alchimiste terminé, le chevalier se retourna vers la jeune femme et s'approcha, le mortier rempli d'une espèce de pâte à la main. Il se tint alors juste au bord du lit, dévisageant une nouvelle fois celle qui lui faisait face et dont l'état ne l'avait pas trompé, et posa le mortier sur le matelas. Puis, sans plus de procession, il arracha quelques bouts de sa cape de voyage pour former des bandes de tissu, qu'il trempa dans la pâte et malaxa avant de les tendre à son interlocutrice.

"- Ces bandages apaiseront tes blessures. Je m'appelle Atma Apalanka, de Yumbulagang. Et toi, qui es-tu ? Et que s'est-il passé  ici ?"

Pour la seconde question qu'il posait, Atma avait bien évidemment son idée, mais il se devait de questionner la seule âme encore vivante et dont l'aura de haine surnaturelle encore latente ne laissait guère de place aux doutes.

Elle le fixe sans sourciller.  Il est grand ce con... et baraqué... ça promet tiens. Au moins ça sera peut être rapide. Car on a beau être la Haine, elle en avait assez bavé pour aujourd'hui. Donc plus ça serait court et mieux ça vaudrait. Enfin... si tant est qu'elle puisse espérer qu'on lui fasse cette faveur. Rien n'était moins sûr.
Il s'arrête, interdit. La voit-il ? Elle n'en a même pas la certitude. Elle baisse légèrement la tête, alors que son épaisse frange d'or couvre en grande partie ses yeux et qu'un sourire de dépit se dessine sur son visage. Et voilà, c'est reparti. Encore un qui n'aura pas dépassé la minute.
A quoi s'attendait-elle... Sans doute à rien d'autre. Alors elle attend. Elle attend que son visage se couvre de veines bleutées, que sa mâchoire se crispe sous la colère et que son regard finisse par être injecté de sang. Comme les autres. Comme tous les autres.

Sa main se contracte, s'élève vers son thorax. Et Styx attend, sans bouger. Cette fois ce n'est pas un petit moinillon qui se tient face à elle, mais bel et bien un chevalier, dont la puissance est équivalente à la sienne, qui plus est.
Elle va encore avoir droit à un aller simple pour le Tartare. Ce n'est pas vraiment pour l'enchanter, surtout qu'on ne peut pas dire qu'elle s'entende à merveille avec le maître des lieux. D'ailleurs... qui pourrait bien s'entendre avec cette abomination qui est l'une des rares à être pire qu'elle...

"Je te demande pardon... papa."

Ces quelques mots sont à peine murmurés alors que le cosmos de l'étranger commence à se manifester dans la pièce sombre, Styx fermant ses paupières, attendant que le coup final ne soit asséné.
Mais à sa place c'est une lumière prodigieuse qui inonde la pièce comme un raz-de-marée, obligeant la Titanide à rouvrir brusquement les paupières de surprise avant, bien évidemment, de se retrouver aveuglée par cette lueur qui, pour elle, équivaut à une douleur bien plus effrayante que les feux de l'enfer pour les mortels.
Un hurlement strident se mêle au mantra qui résonne de toutes parts dans la pièce, alors que la Titanide plaque sèchement ses paumes sur ses oreilles, dans le vain espoir d'atténuer un peu l'impact de ce son.

Ce qui n'était que douceur pour le chevalier, était d'une violence inouïe pour la fille des Courants. Douce lumière... son léger mais vibrant... revêtaient pour elle la forme d'une lumière brûlante et d'un son aussi strident que celui d'une banshee en colère.

"LA FERME !"  Vociféra-t-elle en tentant assez vainement de lever la voix.

Il lui fallut de longues secondes pour calmer le feu qui lui brûlait la poitrine. C'était bien sa vaine. Elle qui avait pensé que ça se conclurait par une, voire deux attaques, et hop basta histoire terminée ; se retrouvait à souffrir le martyre sans crever en plus. La plaie absolue.
Quand l'onde de choc finit par se calmer et que l'étranger reprit la parole, Styx leva vers lui un regard aussi épouvantable qu'un Cronos au delà des limites de la rage.

"Et beh si t'es un voyageur, voyage et dégage de là." Lâcha-t-elle d'une voix d'outre-tombe.

Et voilà qu'il se met à farfouiller dans la pièce. Parce qu'il compte s'installer en plus ?! Non mais on rêve là.
Quand il lui adresse de nouveau quelques mots, la lumière de sa nature percute violemment la Titanide. Le cycle de la vie et de la mort... se réjouir de la fin d'Athéna, et ce son... auquel elle n'avait pas pu prêter attention auparavant étant donné l'effet que ça avait eu sur elle.
L'ironie de la situation aurait presque pu être drôle. Presque.

"Putain un Bouddhiste... c'est bien ma vaine." Lâcha-t-elle plus pour elle-même qu'à son attention.

Et vas-y que je fais la popote d'un mélange qui sent tellement fort que les traits de la blonde se meuvent en une grimace écoeurée.
Quand il se retourna vers elle et s'approcha du lit où elle était assise, la Titanide lui adressa un regard furibond, relativement dissuasif pour faire rebrousser chemin à quiconque. Mais non, le voilà qui prend ses aises, tranquille, en s'asseyant au pied du lit. Non mais c'est une blague vivante cet humain.

"Vas plutôt dispenser tes bons enseignements à tes petits copains. Parce qu'au Sanctuaire en ce moment c'est la symphonie pour pleureuses en relous majeurs." Cracha-t-elle en repoussant sèchement son bras, les bandages valdinguant sur le sol.

"J'en ai rien à foutre de ton nom, en plus il est imprononçable. Va t'en, j'ai rien à te dire, je ne veux pas t'entendre et encore moins te parler ni voir ta sale gueule."

A ces mots elle saisit fermement son poignet et le dévisagea de ses prunelles dorées. Certes elle n'était pas au mieux de sa forme... mais elle restait malgré tout un Titan. L'une des premières créatures à voir le jour en ce monde, parmi les entités les plus puissantes qui existent. Il restait un petit humain... fragile, corruptible... et il lui avait vraiment, mais vraiment tapé sur les nerfs.

"Je t'ai dit..."

Une aura d'un violet aussi sombre qu'une nuit sans lune se développa doucement autour de Styx. Une aura de Haine à l'état pure. Soit il partait, soit il la tuait. Aucune autre alternative n'était envisageable.

"DE TE BARRER !"

Face au comportement altruiste et bienveillant d'Atma, la créature aux allures mi-fille mi-femme se montrait des plus haineuses et dédaigneuses. Bien qu'il était en droit à s'attendre à une telle réaction, il avait mésestimé la violence dans laquelle cette enfant (au demeurant) pouvait s'exprimer. Tout dans ses paroles et dans ses actes semblait ne répondre qu'à une seule corde sensible, un seul son sur lequel bâtir tout ce qu'elle était : un son brut et assourdissant. Elle n'était que haine. Elle avait ainsi refusé de lui donner son nom et avait même rejeté les bandages au sol en balayant le bras du chevalier d'un revers méprisant. Cela n'avançait guère le sage dans son enquête sur la nature de cette étrange créature monochromatique. Elle était habitée par ce qu'elle dégageait et cela était une évidence. Mais la question était : ce pouvoir corrupteur omniprésent était-il contrôlé par elle, ou bien le contrôlait-elle ?

Il suffit d'un regard de la jeune fille transperçant le sien pour y trouver la réponse, alors qu'elle s'était fermement saisie de son poignet. Atma vit alors le démon et non la femme : l'être destructeur et non celui qui allait être détruit par ses innombrables blessures corporelles. Ce n'était dès lors plus une mourante mais bel et bien un être des plus puissants : éveillé au cosmos tout comme lui. Oui...l'énergie de l'univers coulait dans ses yeux et dans ses veines, et la force impressionnante qui lui maintenait le poignet en était le témoin.

"Je t'ai dit..."

Très vite, une aura violacée s'empara des deux êtres : l'une sombre, l'autre radieuse. Elle augmentait son énergie mais le Saint ne pouvait qu'en faire de même. Les yeux dans les yeux, le cosmos contre le cosmos, la haine contre l'harmonie; l'espace de cet instant tout s'opposa chez l'un et chez l'autre. Les deux énergies montèrent en flèche. Atma soutenait le regard de braise de son interlocutrice sans laisser transparaître la moindre émotion. Il savait qu'elle était sur le point d'exploser, de laisser s'échapper un fragment de sa puissance brute sur lui. Cette haine corruptrice allait jusqu'à déformer son visage pourtant d'ange. Savait-elle seulement que depuis l'instant où le son primordial avait retenti...elle n'était déjà plus là où elle pensait être : assise sur ce lit face à son agresseur, le tenant à sa merci et prête à lui crier dessus. Le sage le savait, et c'est à l'instant précis de son cri de haine que tout se révéla :

"DE TE BARRER !"

Elle y mit tout son cœur et se retrouva non face au Saint, mais à elle-même, face à un immense miroir ne reflétant que son propre visage. Le cri de haine eut l'effet escompté sur son pâle reflet. Le miroir s'effrita avant d'éclater puis de s'évanouir dans le néant. Ainsi venait-elle de se voir se briser elle-même dans sa propre haine : une image que le Saint espérait suffisamment forte pour lui faire comprendre ce qu'elle faisait en s'en prenant à lui de la sorte. Elle était désormais assise au milieu de nulle part : un sol étrange sans la moindre texture s'étendait à perte de vue. A l'horizon, répartis dans les différentes directions, d'immenses fleurs de lotus fermées, chacune d'une couleur différente, faisaient office d'unique décor. Ils semblaient à la fois proches et distants, inatteignables au demeurant. Au dessus d'elle il n'y avait aucun ciel ni aucune étoile : seulement le néant avec pourtant une très fine lueur à la teinte violette. Derrière elle, à quelques mètres à peine, Atma se tenait en position du Lotus : les yeux fermés. Il lévitait et son aura violette l'entourait tandis qu'il semblait chuchoter d'étranges mantras : à peine perceptibles. Il était à la fois ici et ailleurs, et pourtant l'entièreté de son attention était fixée sur celle qu'il venait dont il avait emmené l'esprit dans l'arène des sept Lotus. La voix du Saint retentit alors en provenance de toutes les directions, alors même qu'il poursuivait lui-même ses mantras et sa méditation :

"- Si tu continues ainsi tu ne feras que te détruire toi-même."

Le chevalier d'argent savait ce qu'il avait à faire avec cette créature que le destin lui avait mis sur son chemin. Il en avait désormais la certitude : il devait tout faire pour juguler le terrible pouvoir de haine qui dévorait tout sur son passage, y compris elle-même. La tâche ne serait vraiment pas aisée, car le rituel qu'il s'apprêtait à accomplir présentait un grand risque autant pour lui que pour elle. La Capitulation du Démon n'était pas à prendre à la légère, d'autant plus que malgré ses quelques tentatives par le passé pour libérer des hommes possédés qui étaient venus quérir l'aide de son temple, jamais il n'était parvenu à réussir cette technique interdite des âges anciens. Mais l'heure n'était plus aux doutes : il s'était embarqué dans cette voie et jamais il ne s'en détournerait. S'il voulait avoir une chance de réussir dans cette folle entreprise, il devait respecter trois étapes clés, et la première consistait à affaiblir cet être pour l'amener dans un état proche de la mort. Bien qu'affaiblie par ses blessures, cette jeune femme avait montré qu'elle renfermait un immense pouvoir cosmique : ou bien était-ce la haine pure qui lui fournissait cette puissance. Dans tous les cas, Atma devait s'y attaquer en premier.

Afin d'ajouter une dimension de fatalité à ses actes pour pousser un peu plus sa cible dans ses retranchements psychologiques, il décida de ne pas plus s'expliquer sur ce qu'il faisait, et passa directement aux choses sérieuses. Sa voix devenue impérieuse résonna une nouvelle fois tout autour d'eux :

"Eclosion du Jinkai..."

Au loin le lotus à la couleur bleue se mit à éclore lentement, laissant émaner une immense vague d'énergie en provenance du monde des humains, et symbolisant l'impossible survie de l'espèce au sein des océans constituant la majeur partie de la planète. Tout à coup l'énergie entoura le corps de la jeune femme et la priva de tout oxygène, comme si cette dernière était piégée dans une bulle d'eau invisible. Si elle ne trouvait pas la force de s'extirper de ce mauvais pas elle suffoquerait lentement. Toujours en position du Lotus Atma guettait ses réactions face à la menace qu'il représentait sur elle. Il n'aimait guère ce qu'il était en train de faire mais il n'avait pas le choix : il devait d'abord affaiblir un peu plus le corps et l'esprit de cette créature avant d'envisager de s'attaquer au cœur de haine qui l'habitait.

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