Wyrd, Acte II

En faisait-il trop ? Oui. Se lassait-il ? Jamais et quoi qu’on lui dise, qu’on lui fasse Abel ne changerait pas de mode de fonctionnement. Il était trop jouissif de provoquer des remous, torturer psychologiquement de pauvres brebis égarées ou même de créer un conflit entre différentes factions. Peu de personne, si ce n’est personne ne l’aimerait aux enfers mais il n’en avait cure. Le borgne avait été conditionné pour servir Hades et si l’occasion de « grandir » encore plus se présentait il n’hésiterait pas.  Le Dieu qu’il aimait provoquer poussa un petit rire, envoyant une pique sur le comportement d’Elyn. Elle lui aurait échappé ? Le sourire d’Abel se faisait plus fin, plus discret à ce moment. Il lui donnait toute sa confiance, même si elle semblait hésiter, se poser des questions la demoiselle à la chevelure auburn restait son bras armé. Il ne répliqua pas, à quoi bon partir dans des échanges interminables ?

« Hum l’envoyer en Asgard ? Peut-être que j’y ai déjà semé des graines ou peut-être pas, vas savoir. » Répondait-il en toute simplicité à la divinité nordique qui semblait s’agacer de plus en plus.  

Les bras croisés il écoute encore les propos du fils d’Odin. Il semblait vouloir jouer avec l’esprit d’Elyn lui aussi. Peu importe, il était certain qu’elle ne se rebellera pas contre lui ou du moins elle serait incapable de lui faire le moindre mal. La Chimère avait passé les trois quarts de sa vie à tout faire pour le protéger, elle n’allait pas intenter à sa vie simplement parce que le Dieu du pays des glaçons ne lui en faisait la demande.

« On peut faire le test si tu veux. Ma petite Chimère se sacrifierait pour moi et je l’assume complètement. Et oui je n’ai pas tellement envie de me salir les mains bien qu’il faut être réaliste, ni elle, ni moi sommes capable de rivaliser avec une divinité. » Il marqua une pause avant de reprendre, des traits que l’on pourrait qualifier de « sadiques » se formant sur son facies. « Mais l’idée de provoquer une nouvelle guerre ou plutôt un génocide des Asgardiens est tellement excitante que pour le coup je suis prêt à souiller mon surplis de ton sang. »

Méphistophélès était prêt à quitter son trône pour défier lui-même le Dieu lorsqu’une nouvelle personne s’invita dans la prison. Auteur d’une entrée fracassante, le spectre se déclara comme celui du Basilic et venant sous les ordres de Perséphone… encore elle. Il n’y a pas à dire la divinité gérait les enfers d’une main de maître provoquant d’une certaine manière l’admiration du borgne. Abel allait donc répondre avant que Thor ne le devance. Une fois son petit discours terminé le spectre céleste éclata de rire avant de descendre de son trône qu’il fit disparaître.

« Moi, Abel spectre de Méphistophélès de l’étoile céleste du commandement ne tient ses ordres que du Seigneur Alessio ou de nos divinités infernales bien sûr. » Il effectua une petite révérence à l’intention d’Arbhaal alors qu’une idée lui traversa l’esprit. « Le Seigneur Thor ici présent souhaite nous faire payer les évènements d’Asgard et j’avais justement donné l’ordre au Spectre de la Chimère de l’attaquer. Je ne veux prendre aucun risque, hors de question que les Asgardiens ne s’approchent d’avantage de Dame Perséphone et de l’Empereur Hades. Leur sécurité est ma priorité. Et cela devrait l’être pour tous nos Soldats…. »

Ignorant totalement les propos du dieu à son sujet, il adressa uniquement un regard à la Chimère elle espérait qu’elle se bouge enfin, que les choses sérieuses commencent. A moins que le nouveau venu n’en décide autrement.

L’entendre lui parler ainsi, l’appeler par son étoile protectrice, avait donc de blesser la demoiselle à la crinière auburn, mais pourtant, elle n’en laissa rien paraître, préférant ignorer la colère de son acolyte de toujours. Oui certains obstacles mettront du temps à tomber si l’on considérait Abel comme l’un d’eux. Mais la Chimère était incapable de le considérer comme tel en y réfléchissant. Etait-elle vraiment en droit de se retourner ainsi contre lui aux premières paroles sympathiques d’un étranger ? Ce guerrier du Nord, bien que d’apparence noble, pouvait également se jouer d’elle, s’amuser de son statut et de sa faiblesse. Et pourtant, elle n’y croyait pas une seconde. Mais il ne fallait guère baisser sa garde aussi facilement. Elle était loin d’être bête.

La conversation prenait de nouveau un tour étrange. Elle ? Etre envoyée à Asgard ? Si Mephistophélès acceptait une telle chose, ce serait bien entendu à des fins personnelles, à visée d’espionnage sans l’ombre d’un doute. Après tout, il ne lâcherait pas si facilement son jouet préféré comme il le mentionnait très régulièrement. Et malgré sa qualité de servante, le borgne avait également pris soin d’elle à sa manière. Jeu ou non, Elyn ne pouvait renier cette affection réciproque, ce lien si fort qui les unissait tous les deux.

A cet ordre drastique, impérieux, la jeune spectre détourna le regard vers son maître. Elle ? Défier un demi-dieu ? Cette fois, elle ne pouvait dissimuler cette stupeur marquant ses traits. A aucun niveau, elle ne pouvait rivaliser avec Thor, elle en avait bien conscience et Abel le savait lui aussi. Faisait-il cela pour la punir ? Vulgairement, son cher maître l’envoyer directement au casse-pipe en lui ordonnant un tel acte. Alors que son esprit commençait à s’emmêler, faisant contraste à son air impassable et indifférent habituel, l’échange se poursuivit entre les deux hommes.

Le laisserait-elle chuter ? La douce ne répondit pas à la Divinité. Ce fut de nouveau Mephistophélès qui lui coupa l’herbe sous le pied, ne lui laissant guère le temps de s’exprimer. Pourtant, comme toujours la concernant, il tapait dans le mille. Car malgré ces quelques doutes l’assaillant depuis quelques minutes, la belle restait une personne loyale, fidèle. Son bras armé. Un fin sourire presque imperceptible vint ourler ses lippes. Sa petite Chimère.

La servante devait réfléchir, prendre une décision. Certainement qu’Abel lui en voudrait d’avoir hésité aussi longuement. Mais il l’avait déjà reniée, n’est-ce pas ? Il l’avait accusé de trahison. Etait-ce par jeu fourbe ou était-il empreint d’une colère sincère à ce moment, lorsqu’il avait prononcé le mot « traîtresse ». Un fracas la sortit de ses songes. La jeune femme était rarement aussi dissipée qu’à cet instant, elle devait se reprendre.

Ses iris écarlates se posèrent sur le nouveau venu. Elle l’avait déjà rencontré, ce spectre à l’arrivée spectaculaire. Encore un qui savait soigner son entrée chez les guerriers du Seigneur des Enfers. Dire qu’elle était plutôt du genre discrète. Devait-elle en prendre de la graine ? Respectueuse, la demoiselle au surplis s’inclina vers Arbhaal. Il était normal de saluer ses frères d’armes. Quelques paroles théâtrales furent prononcer par Méphistophélès, les propos du Dieu ne l’ayant guère chiffonné le moins du monde. Pourtant, Thor réclamait sanction pour son maître. Etait-ce à des fins nobles ou une simple manière de se débarrasser d’un rival gênant ?

Son regard sanguin croisa la pupille unique d’ambre du borgne. Ce fut à cet instant que la gracieuse spectre entra en scène, se plantant devant le guerrier nordique.

« Vous êtes sans l’ombre d’un doute un noble et fier guerrier. Et sachez que mes remerciements envers vous étaient sincères. Mais pour répondre à votre interrogation … Non, je ne le laisserai pas sombrer, je risquerai ma vie pour lui épargner la moindre souffrance. Vous penserez sans doute que mon esprit est corrompu, ce qui est peut-être bien le cas, mais la loyauté est un principe fondamental pour moi. Aussi … Seigneur Thor … Si vous ne daignez pas nous donner le motif de votre visite, permettez-moi d’être votre adversaire, en tant que guerrière à part entière. »

Du haut de son frêle petit corps féminin aux courbes généreuses, Elyn tenait tête à ce grand homme aux pouvoirs divins, le regard déterminé. Elle avait parfaitement conscience de son infériorité, mais n’avait-elle pas pour projet de suivre les conseils du demi-dieu : devenir une conquérante. Elle était désormais prête à l’affronter avec dignité.

Il s’agissait là d’une petite victoire que de voir Elyn défier le Dieu. Brave petite, elle jouait son rôle dans la pièce à la perfection ! Toutefois après que l’acte soit clôturé il sera nécessaire que le borgne ait une petite discussion avec la Mademoiselle. Même si elle jouait la comédie elle avait été un peu trop loin à son gout. Il écouta ensuite les paroles du Spectre du Basilic qui ne semblait, lui aussi, pas aimer son attitude, décidément à ce rythme il allait se mettre tous les enfers à dos ! Portant une nouvelle fois son regard sur le fils d’Odin qui venait de le piquer à nouveau tout en acceptant le défi de la Chimère, il glissa malicieusement à son comparse :

« Patience mon ami. »

Cette fois le ton de sa voix était complètement différent comme si le spectre de Mephistopheles était on ne peut plus sérieux. Il avait semble-t-il fini de jouer car tout allait accélérer. Il n’avait plus réellement besoin de se cacher maintenant et pouvait exposer son plan à son frère d’arme sans la moindre hésitation. Ne quittant toujours pas les deux combattants des yeux, il déclara :

« Je suis fourbe, manipulateur et calculateur Arbhaal. Toutefois je ne suis pas un idiot. Dis-moi quel aurait été l’intérêt de combattre le premier guerrier des troupes d’Asgard aux portes de nos enfers ? Aucun si ce n’est que tous ses petits copains auraient pu intervenir et nous gêner. De plus étant seul face à un Dieu qu’aurais-je dû faire ? Gagner du temps était la meilleure des solutions, alors j’ai joué encore et encore mon rôle et décidé de profiter de mon esclave pour l’emmener plus loin dans les enfers. Ainsi nos troupes pouvaient bénéficier de plus de temps, d’ailleurs toi-même tu as réussi à venir à notre rencontre non ? »


Abel venait de se stopper, ne quittant toujours pas les deux combattants du regard. Même si cette stratégie était pour les enfers, il se promettait de faire payer le moindre dégât que le dieu de la foudre pourrait faire à son jouet aux terres d’Asgard. Il reprenait ensuite pour son compagnon :

« Et aussi je n’ai pas la prétention d’être le plus fidèle serviteur de Dame Perséphone. J’ai été élevé et j’ai grandi dans le but de servir notre Empereur et les enfers, rien de plus, rien de moins. Pour ce qui est de prétendre que certains spectres ne sont pas concernés par la protection de nos divinités c’était simplement pour qu’Elyn attaque. Je sens que la Chimère est en proie aux doutes surtout depuis que ce Dieu de la foudre lui ait fait des compliments. »


Il tourna la tête vers Arbhaal, lui montrant son regard qui était pour une fois très sérieux.

« Si tu doutes de moi, je suis prêt à peser mon cœur dans la balance du Sphinx, Basilic. Mais en attendant nous n’avons plus qu’à gagner du temps afin que d’autres de nos camarades préparent nos défenses en cas de problème. »

« J’avoue que l’idée ne me serait pas déplaisante. » Répondit-il en toute franchise au Spectre du Basilic. Lui dire le contraire aurait été contreproductif surtout si Abel voulait gagner la confiance de ses frères et sœurs d’armes. Evidemment le borgne était encore tombé sur un guerrier puant l’honneur et s’il n’était un spectre il aurait fort à parier que cet Arbhaal change de costume pour défendre la veuve et l’orphelin. Et puis s'il pouvait envoyer Arbhaal se battre avant lui, il ne s'en priverait pas. D’ailleurs ce même Arbhaal ne tarda pas à l’attaquer sur le fait d’utiliser Elyn pour affaiblir un peu la divinité et demanda même des comptes sur sa stratégie, sur les éventuels ordres qu’il aurait reçu. Là encore inutile de mentir.

« Il s’agit là rien de plus que la chaine alimentaire. Prenons l’exemple de ces chers chevaliers d’Athéna… Globalement ils envoient en premier les Bronze, les Argents pendant que les chevaliers d’Or se la coulent douce non ? Oui j’avoue c’est assez imagé comme principe mais on en est là. Et de toute façon Elyn a été élevée pour être mon bras armée que ça te plaise ou non Arbhaal. »


Mephistopheles croisa ensuite les bras, regardant une nouvelle fois sa petite Chimère combattre. En réalité cela lui coutait de l’envoyer au casse-pipe contre une divinité mais il n’en avait pas le choix. Il ne pouvait pas se battre tout de suite contre lui, il devait en apprendre un peu plus, collecter quelques informations, peu importe leurs natures ou leurs sources. Apprendre pour évaluer, évaluer pour agir.

« Pour ce qui est des ordres je n’ai pas de compte à te rendre mon ami. Simplement ce cher Thor n’a pas voulu daigné nous dire les raisons de sa venue et donc à partir de cet instant il est devenu un ennemi. » Il marqua une pause avant de se reprendre : « Il ne faut pas se mentir, si jamais nos supérieurs voulaient le rencontrer ils l’auraient déjà fait savoir et puis… comme nous gagnons un peu de temps ils peuvent toujours le faire. »

Il tourna la tête pour adresser un sourire à son frère d’arme avant de regarder de nouveau la petite Chimère. Oui il était évident que les divinités infernales étaient déjà au courant qu’un étranger foulait le sol des enfers, de plus les cosmos grandissant des deux guerriers allaient sans doute les alerter sur les évènements. Donc elles pourraient aussi faire en sorte de tout stopper si jamais elles le désireraient. Cependant il ne put s’empêcher d’ajouter :

« La moindre blessure, la moindre éraflure sur mon petit jouet les Asgardiens le paieront au centuple, ça je peux te le promettre. »

Abel soupira suite aux paroles de son frère d’arme. Ne voulait-il pas comprendre ? Pourquoi personne n’arrivait à le comprendre ? C’était pourtant simple. Elyn était son jouet, son soldat et comme tout enfant il se servait de son jouet seulement il était hors de question que l’on lui abime. Etait-ce si compliqué ? Ou alors était-ce lui le problème ? Le borgne commencerait-il à douter ? Pourquoi vouloir venger Elyn alors que c’est lui-même qui l’a envoyé ?

« Arbhaal… si je te disais que je sais que je dois le faire mais que je sais aussi que c’est stupide, illogique et complètement absurde ? J’ai besoin de voir Elyn se battre. Puis ne sommes-nous pas des spectres ? On se joue de la mort. »


Oui Mephistopheles avait besoin de la voir se battre. Simplement parce qu’il y avait eu cette seconde d’hésitation avant de prendre la vie du personnel du manoir familial puis aussi parce qu’elle avait désormais ce surplis. Combattait-elle pour lui ou pour Hades ? Ou les deux ? Décidément la représentation ne se déroulait absolument pas comme les répétions qu’il avait imaginé à maintes reprises.

« Je t’ai dit que c’était simplement une idée. Tu as eu des consignes de nos supérieurs ? Moi non. Qu’aurais-je dû faire selon toi ? Vas-y je t’écoute Basilic ! »


Il n'attendit pas de réponse, à quoi bon. Frère d'arme ou non, ils avaient tous les deux du mal à communiquer et le jeune homme commençait réellement à perdre son sang-froid tandis que plus loin Elyn affrontait Thor sans succès. La divinité était bien trop forte pour la spectre céleste, réussissant à parer tous ses coups. Il fallait tout de même admettre que la démonstration de la Chimère était agréable à regarder.

« Faut tout faire soit même… » Marmonna-t-il avant de s’avancer de quelques pas. « Elyn je t’ordonne d’abandonner. Je vais m’occuper de ce Dieu moi-même ! » Il intensifia alors sa cosmo-énergie, une aura sombre et ténébreuse l’entourant un peu plus. Abel semblait différent, plus direct et presque incontrôlable. Matérialisant une boule d’énergie sombre, il la lança en direction des deux combattants prenant soin d’être assez loin pour ne pas les toucher mais la détonation produite devrait attirer leur attention.

« Thor viens m’affronter. On va régler notre petit différent. »

Un héros. Bien sûr, les mérites de Thor étaient bien loin d’être exagérés. Même l’auburn qui était pourtant recluse en avait entendu parler. Pourtant, elle n’aurait jamais pensé avoir ce type de personne devant elle. Quelqu’un de bien, dans le fond. Certainement tout le contraire d’elle dont les mains étaient souillées de sang innocent depuis bien longtemps. Des meurtres gratuits, Elyn en avait fait office, la plupart du temps sous les ordres de son maître. Celui-ci en prenait d’ailleurs plein à son grade par le guerrier nordique qui ne manquait de le rabaisser à chaque parole. La situation aurait pu en être comique si la tournure ne pouvait devenir mortelle. La belle jeta un coup d’œil à son acolyte, simplement pour avoir peut-être le plaisir de percevoir un petit élan de jalousie de sa part. Parfois, il fallait savoir se satisfaire de peu.

Le Dieu du Tonnerre révéla une part des raisons de sa présence, ne serait-ce qu’infime, mais il semblait faire un effort de son côté. La provocation du borgne trouva ensuite réponse, si l’affrontement venait à s’initier, la Chimère doutait qu’il ressemble à cette esquisse de combat s’étant déroulée un peu plus tôt entre eux. S’il n’avait aucune raison de corriger la demoiselle, Abel lui avait donné toutes les raisons de l’attaquer lui. Si tout protagoniste écoutant la conversation pourrait retenir son souffle en attendant la réponse de Méphistophélès, la jeune spectre, elle, ne pouvait que deviner ce qui allait suivre.

Son maître était fort, bien plus fort qu’elle, mais serait-il de taille à se mesure à un Dieu ? Non, il n’en avait pas encore la puissance. L’auburn déglutit, son instinct protecteur reprenait le dessus. Il était si contradictions aux doutes qui l’envahissaient et pourtant, elle se devait d’agir, même si de nouveau il le prendrait comme une rébellion ou une désobéissance.

Dans le silence, l’air se réchauffa lorsque le cosmos de la demoiselle refit surface alors que d’un petit geste de la main, une boule de feu s’envolait gracieusement devant son maître. Elle prit un peu plus d’ampleur, formant une masse informe avant que devant eux se matérialise un majestueux lion de feu, semblable à Regulus, le fauve d’ombre qu’Abel lui avait envoyé comme messager un peu plus tôt.

Elyn n’avait guère besoin de mots pour communiquer avec le jeune brun, ils n’en avaient jamais réellement eu besoin au vu de leur lien. Cet animal élémentaire n’était qu’un avertissement, pour le supplier de ne pas se mettre en danger, pour le raisonner comme elle le pouvait, sans le contredire ouvertement. Si le spectre se tournait vers sa servante, il ne pourrait que percevoir ce regard perçant à la fois inquiet et suppliant. Après tout, c’était son rôle, de s’inquiéter pour son maître.

Elle n’offrit que cette scène muette à ses interlocuteurs, sans quitter des yeux le destinataire de son message.

Abel bouillonnait, sa tête lui faisait subitement un mal de chien. Pourquoi tout allait ainsi de travers ? Bien que nouveau venu dans l’armée de l’Empereur le borgne ne se sentait pas à sa place surtout au regard des réflexions de son frère d’arme du Basilic. Et cette divinité imbue d’elle-même qui aimait se la jouer moralisateur…. Il était prêt à ouvrir la bouche, lui répondre et le provoquer une nouvelle fois lorsque cette fois Elyn s’en mêla. Qu’avait-elle donc pour lui désobéir continuellement ? Puis pourquoi avait-elle obtenu un surplis si c’est pour toujours aller à l’encontre de ses décisions ? C’était uniquement par obligation qu’elle était devenue la Chimère et là elle se la jouait super spectre au service des divinités infernales. N’étaient-ils pas tous des pions pour les dieux ?

« Toi aussi donc…. » Lâcha-t-il machinalement avant de se reculer. Toutes les personnes présentes en ces lieux semblaient contre lui, même son si précieux jouet. Il avait donc perdu devant Thor qui pourrait sans doute s’en vanter allègrement. Il ferma les yeux, soupirant avec néanmoins un petit sourire de dépit sur son visage. Première interaction en qualité de spectre céleste et première défaite, cela commençait très bien. Regardant une dernière fois la jeune femme à la chevelure auburn, il déclara :

« Ne t’avises plus de me suivre. Je n’ai pas besoin d’un bras inutile. Fais ce que tu veux cela ne me regarde plus. »

Cette fois il était on ne peut plus sérieux dans ses propos. Dire qu’ils étaient à peine arrivés aux enfers et que déjà le lien était rompu. Le rideau venait donc de s’abaisser pour le jeune Méphistophélès qui n’avait plus rien à faire en ces lieux. Sans aucun autre mot, il quitta les lieux.

C'était quitte ou double, bien qu'Elyn espérait que son maître prenne cet avertissement comme une bienveillance, mais au vu de sa réaction, il en était tout autre. Son lion de feu et le Basilic lui-même se mettaient entre les deux potentiels combattants. Un ordre de Perséphone ? Sauvés par le gong ? Non, pas vraiment. Elle le comprit dans son attitude, dans ce regard qu'il lui adressait. La Chimère n'avait pas besoin de ces mots pour qu'elle comprenne, seule l'expression du borgne en disait long. Elle était suffisante pour la blesser. Les paroles ne furent qu'enfoncer un peu plus cette lame imaginaire qui lui perçait le coeur. Oui, c'était douloureux, comme si elle venait de perdre tout ce qu'elle avait.

Et cette fois, bien que silencieuse et immobile, son air triste n'était guère dissimulé. Abel ne cherchait pas à jouer, à manipuler, il était on ne peut plus sincère. Si ce n'était pas clair pour les autres, cela l'était pour elle. Le coeur serré, la gorge sèche, elle ne quittait pas le spectre des yeux alors que déjà, il lui tournait le dos. Le retenir maintenant ne servirait à rien, elle l'avait blessé dans son orgueil à n'en point douter. La belle n'était pas assez sotte pour offrir une scène à leur invité et leur frère d'armes spectre.

Abel disparaissait, alors que les pupilles sanguines de la demoiselle ne quittait plus le dernier endroit où elle avait pu le voir. Ce ne fut que lorsque la voix du nordique s'éleva qu'elle daigna revenir à la réalité. Elle ne lui lança qu'un regard triste, avant de le détourner. Encore et toujours, elle resta muette, non par manque de respect, plutôt par souhait de ne pas vouloir étendre ses sentiments actuels. Elle avait été bien apprise et n'était guère du genre à pleurnicher dès que la vie lui donnait un coup de fouet. Elle préférait tout garder en elle, jusqu'à ce qu'elle pourrait s'épancher un peu plus devant le principal concerné.

Les deux hommes embrayèrent leur route, laissant la Chimère emprise de doutes et d'hésitation. Son maître venait bel et bien de la renier et de la sommer de ne plus la suivre. Ce n'était guère le moment de désobéir à cet ordre direct qui semblait être le dernier. Soupirant, elle finit par leur emboîter le pas, restant quelques mètres derrière eux pour profiter de cette solitude forcée qui lui était offerte.



-> Palais d'Hadès